Rédigé en 2008 pour un public essentiellement américain, ce livre de l’économiste keynésien James K. Galbraith (fils du plus connu John K. Galbraith) tente de démontrer comment l’idéologie du libre-marché, lancée par Reagan en 1981 aux USA et en Europe vie Thatcher, est une illusion à laquelle plus personne ne croit même dans les milieux politiques conservateurs, mais à laquelle tout le monde fait semblant d’adhérer de peur de passer pour un irresponsable aux yeux de l’opinion publique. Il propose ensuite une solution sous la forme d’une gouvernance mondiale capable de discerner entre les secteurs de la société où la concurrence libre est intéressante, et ceux où la régulation est nécessaire.
Pour Galbraith, l’idéologie libre-échangiste a pu s’imposer grâce à une habile manœuvre de communication lui permettant de faire correspondre les concepts de décentralisation (donc de marché) et de liberté, par opposition aux exemples communiste basés sur la dictature et la centralisation (donc le non-marché).
Ce sophisme à donc créé la correspondance entre économie de marché et liberté dans l’opinion publique, et par extension plus il y avait de marché, plus il y avait de liberté – la voie était libre pour le libre-échangisme à tous les niveaux. A tel point que même dans les milieux universitaires (en tous cas américains) le riche débat économique s’est transformé en un ânonnement libre-échangiste et les quelques résistants keynésiens (ou pire encore) relégués du côté du placard à balais.
La décentralisation implique des politiques précises et cohérentes entre elles : une politique monétaire visant à juguler l’inflation, le libre-échangisme, l’équilibre budgétaire, la fiscalité légère, l’accumulation de capital privé limité, et l’Etat faible.
Ces principes furent les fers de lance de la gestion publique de Reagan à Clinton, mais Galbraith démontre comment en fait ils n’ont quasi jamais été réellement appliqués. Et comment sous Georges W Bush ils furent carrément remplacés par ce que Galbraith nomme l’Etat Prédateur : la capture des administrations publiques par la clientèle privée d’une élite au pouvoir. Dont l’exemple extrême est le secteur financier, et nous en voyons aujourd’hui les résultats.
L’idée d’Etat prédateur fait référence aux travaux de l’économiste américain Thorstein Veblen sur la théorie de la classe de loisirs, dont il est utile de rappeler ici le fondement : toute société structurée est basée sur la relation entre les guerriers et les travailleurs.
Veblen distingue au sein de la société actuelle d’une part les ordres industriels (tous ceux qui travaillent contre salaire, ou contre une rémunération intimement liée à leur activité) et les ordres non-industriels ou la « classe de loisirs » comprenant les guerriers, les gouvernants, les prêtres et les athlètes.
Les capitaines d’industrie sont une excroissance de la caste des guerriers, ce qui explique l’organisation quasi militaire de nombreuses entreprises. Je cite la suite du paragraphe : « La classe de loisirs ne travaille pas. Elle détient des charges. Elle accomplit des rites. Elle effectue des actes d’honneur et de vaillance. Pour elle, le revenu n’est pas une compensation du labeur, … Il s’agit plutôt d’un hommage de la communauté attestant le prestige qu’elle accorde aux classes prédatrices. »
La classe de loisirs est évidemment prédatrice des ordres industriels et ceci rappelle Marx, mais contrairement à Marx Veblen précise que l’objectif de la classe prédatrice (ou de loisirs) n’est pas de pousser les classes industrieuses (le prolétariat de Marx) au bord du minimum vital (l’exploitation) mais au contraire de leur permettre un niveau de vie suffisant à leur contentement : point de classe prédatrice sans une classe industrieuse bien portante, plutôt contente de son sort et collaborant au prestige des prédateurs.
En général, les membres des classes industrieuses savent ceci, elles savent que leur situation pourrait être pire, et de ce fait ne sont pas intrinsèquement révolutionnaires.
Pour Galbraith, l’approche de Veblen à été malheureusement occultée pendant 60 ans par deux grandes théories qui ont toutes deux démontré leur inefficacité : le marxisme d’une part, le marché (Hayek, Friedman) d’autre part.
Aujourd’hui, l’accumulation des pouvoirs aux mains d’intérêts privés (la finance, les grands patrons, les entreprises de haute technologie) a pour résultat « la réémergence de la prédation, du comportement prédateur et de la conduite prédatrice pathologique comme traits centraux de la vie des entreprises ».
Cette accumulation résulte du recul de l’Etat progressiste depuis 1980, notamment en matière de réglementation. Sous G.W. Bush, l’Administration d’Etat est devenue une simple alliance de représentants des secteurs réglementés – les mines, le pétrole, les médias, les industries pharmaceutiques et agro-alimentaires – cherchant à mettre totalement à genoux le système de réglementation.
Ce groupe est associé à un autre groupe, celui des individus qui regardent les activités de l’Etat comme de pures occasions de profits privés à l’échelle nationale ou internationale. Cette situation définit ce que Galbraith nomme l’Etat prédateur.
Le livre pousse évidemment beaucoup plus loin l’analyse du contexte américain et j’y reviendrai sans doute dans un autre billet, mais pour l’instant il me semble intéressant de voir en quoi ce concept d’Etat prédateur est applicable aujourd’hui en France. Vu de ma fenêtre, nous sommes bien dans ce cas : la classe de loisirs est omniprésente et bien distincte des classes industrieuses – distinction grandement facilitée par un système éducatif éminemment élitiste. Les lobbies font la réglementation à leur sauce, le pouvoir fraye allègrement avec les intérêts des grands patrons, les lois visent à soumettre l’individu au contrôle technocratique plutôt qu’a garantir ses libertés constitutionnelles, la finance gagne à tous les coups, et le grand miroir aux alouettes footbalistiques se prépare à nouveau à amuser le peuple pendant qu’il se fait gentiment enc….
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