L’Express publiait en 2005 un très bon article sur le sujet dont l’introduction était:
“Acceptable et même encouragée lorsqu’elle est le moyen le plus efficace de protéger les victimes, la dénonciation s’avère détestable dans d’autres situations. Mais les frontières ne sont pas toujours très claires. Quels critères moraux retenir? Quand s’agit-il d’une affaire de conscience individuelle, quand cela relève-t-il de la collectivité?”
Contrairement à la dénonciation, la délation est par définition incivique et généralement mal vue notamment dans les pays ayant connu des formes de dictature invitant les uns et les autres à dénoncer leurs voisins, parents ou amis:
“Dénonciation, généralement secrète, dictée par des motifs vils et méprisables. Surprendre des confidences, c’est se rendre coupable d’espionnage; les publier, c’est se rendre coupable de délation (Jouy, Hermite, t. 5, 1814, p. 294)”.
La moquerie lui correspond bien, comme sur ce site pseudo-officiel delation-gouv.fr. “Pseudo” pour combien de temps encore, on peut se poser la question. La délation en France fit l’objet de cet article du Rue89 en 2007, qui s’inquiétait de la montée de la délation en France. Cela dit les mise en oeuvre de systèmes de dénonciation ne sont pas évidentes, les tribunaux ayant contrés certaines tentatives privées comme le rappelle cet article du Monde de 2009. Mais cette approche plait évidemment aux tenants de l’ordre et du flicage, notamment à l’encontre des sans-papiers comme on pouvait le lire en conclusion de cet article de L’Expansion de 2009 également:
“La stratégie du gouvernement est donc de faire peser sur les épaules de l’employeur la charge du contrôle de ses salariés. Les annonces de Xavier Darcos et d’Eric Besson ont donc vocation à organiser un véritable système d’autocontrôle proche de la délation. C’est d’ailleurs toute la politique de l’immigration qui est fondée aujourd’hui sur la dénonciation permanente. La preuve en est, il y a quelques mois, Eric Besson a fait passer une loi selon laquelle il serait accordée des titres de séjour aux personnes qui dénoncent leurs employeurs. Est-ce ça une bonne politique d’immigration ?”
Dans la même logique, la fameuse LOPPSI2 et son attaque frontale contre, entes autres, le droit fondamental de pouvoir choisir son mode de vie (ou de choisir en tout cas le moins pire) ouvre grand la porte à la délation, et nous savons bien qu’il ne faut pas grand chose pour (re)éveiller l’esprit collabo: tout habitat “suspect” pourra être dénoncé par n’importe qui, même la tente qui constitue pour certains le dernier rempart avant la rue. Voir à ce sujet ce récent article sur Agoravox ou l’affaire Léa et Tom qui se juge aujourd’hui à Toulouse.
Tout cela laisse posée la question de fond: dans quelle mesure les citoyens doivent-ils participer à la chasse aux “délinquants” en tous genres, et par quels moyens? Où se trouve le juste milieu entre la déresponsabilisation hyper-individualiste où l’on ne se retourne même plus sur la fille en train de se faire violer au coin de la rue, et le système orwellien où la non-dénonciation est elle-même un crime, tel le Cambodge sous Pol Pot? C’est en partie une question de culture, le flicage mutuel étant par exemple nettement plus admis dans la société anglo-saxonne que dans la société latine. Le clip ci-dessous, créé par la police de Los Angeles (LAPD) en est un exemple frappant:
http://www.dailymotion.com/swf/video/xb5de6?theme=none
Partant du principe que la délation n’est jamais admissible mais que la dénonciation peut l’être, quelle grille d’évaluation utiliser pour décider si tel ou tel évènement doit nous amener à faire acte de dénonciation? Pour le flic ou le bureaucrate c’est sans doute très simple, tout ce qui perturbe l’ordre public et/ou n’est pas strictement licite doit être dénoncé. Heureusement nous n’en sommes pas encore tous à ce niveau d’avilissement face à la dictature réglementariste et pouvons essayer d’y réfléchir en termes plus subjectifs. Il me semble y avoir quatre facteurs essentiels entrant en compte dans le décision de dénoncer ou pas un individu ou un groupe d’individus:
- Notre niveau de certitude quant à la réalité du fait.
- La valeur que nous attachons – ou pas – à la personne/entité victime de l’acte délictueux.
- L’acceptabilité relative, pour nous, de l’acte délictueux en lui-même.
- Le risque encouru par nous-même au travers de la dénonciation.
Ce dernier facteur est souvent dominant: combien de personnes aimeraient bien dénoncer des gens coupables d’actes inacceptables mais ne le font pas par peur de représailles? Combien de témoins de violences ne se font pas connaître par peur de se retrouver classé “présumé coupable” par la police, faute de mieux?
On ne peut pas non plus échapper à un conflit entre d’une part le désir d’une société moins légaliste, moins fliquée mais qui pour se faire demande une plus grande implication citoyenne, et d’autre part la crainte d’une société de milices et de délateurs obéissant à la loi du plus fort. Trouver le bon niveau d’implication citoyenne et le moment adéquat du passage de relais vers la force publique, voilà un exercice pertinent pour les mouvements d’éducation populaire!