Prolifération nucléaire et couverture du risque

Dans ce récent billet sur la géothermie je parlais de l’état alarmant du parc nucléaire, mais tous comptes faits on ne peut pas dire que Fukushima et l’actuel problème à Fort Calhoun au Nebraska aient tempéré les ardeurs de ceux jusqu’à présent exclus de la production d’énergie nucléaire. L’arrêt brutal du “revival” de l’industrie nucléaire en cours depuis une dizaine d’années ne vaut en fait que pour l’Allemagne (qui espère sortir complètement du nucléaire pour 2022), la Suisse (qui ne remplacera pas ses installations actuelles), l’Italie (qui renonce à s’engager dans cette voie) et, peut être, le Japon dont on ne sait pas vraiment ce qu’il compte faire.

Pour le reste du monde, l’IAEA recense 65 réacteurs actuellement en construction, et on arrive à plusieurs fois ce chiffre prenant en compte tous les projets de nouveaux réacteurs. Les Emirats Arabes ont par exemple un projet de construction de 4 réacteurs avec la firme coréenne Korea Electric power Corporation. Ce pays serait le premier nouvel entrant au “club” depuis la Chine en 1985. L’Arabie Saoudite a un projet de construction de 16 réacteurs d’ici à 2030, et la Turquie va ajouter 2 réacteurs à son parc actuel. Avec une trentaine de réacteurs en construction (sur les 65 de l’IAEA), a Chine a décrété un moratoire sur les nouveaux projets le temps de réévaluer la sécurité de ses installations, mais rien n’indique qu’elle compte sortir du nucléaire.

Les critères requis par l’IAEA avant toute approbation à l’entrée au club nucléaire sont, en toute logique: un réseau électrique solide, une gouvernance stable et une économie de taille suffisante pour absorber l’investissement de départ. Des 52 pays ayant récemment demandé à l’IAEA un ticket d’entrée, seules 10 rencontrent l’ensemble de ces critères. 10 autres disposent de l’infrastructure mais pas de la stabilité institutionnelle requise (voir Energy Policy), dont l’Egypte. Par les temps qui courent et la mainmise des grands prédateurs sur les leviers du pouvoir politique, on peut d’ailleurs se demander quels pays disposent encore d’une réelle stabilité institutionnelle.

Un grand avantage du nucléaire, du point de vue des nouveaux arrivants, est que c’est “relativement” bon marché – du moins tant que l’on ne prend pas en compte tous les coûts réels dont les déchets et le démantèlement des installations en fin de vie. C’est également moins directement polluant en termes de rejets, un facteur clé en Chine dont l’essentiel de l’énergie provient du charbon, avec les problèmes d’environnement que l’on sait. Par contre, en cas d’accident, la note est de plusieurs ordres de magnitude supérieure à toute autre source d’énergie et il est tout à fait incroyable que cela ne soit pas pris en compte, surtout après Three Mile Island, Tchernobyl et maintenant Fukushima. Le coût de ce dernier pour les Japonais va se chiffrer en milliers de milliards de dollars. En fait, pour Juergen Baetz de l’AP écrivant pour le Pittsburghlive , les gouvernements font des paris: que tout ira bien, que rien de ce qui n’a pas été prévu arrivera quand même.

En France, les centrales nucléaires sont assurées à hauteur d’une centaine de millions d’euros  seulement. En Suisse le niveau d’assurance obligatoire vient de passer de 1 milliard de franc suisses à 1,8 milliards (soit 1,5 milliards d’euros). Il est clair que la prise en compte de primes d’assurance couvrant le coût réel d’un accident nucléaire remettrait en cause toute la logique économique de la solution nucléaire. Le fait de ne pas le faire est de facto une manière de subsidier le parc nucléaire aux dépends d’autres formes d’énergie qui n’ont pas, ou nettement moins, de risque “cachés”.

Bien sur, en dernière analyse c’est une question politique: quel risque est-on disposé à prendre? les Allemands ont finalement décidé que le risque du nucléaire ne valait pas les avantages qu’il apporte par ailleurs. Et les solutions alternatives ne manquent pas, sachant qu’une énergie de base (électricité disponible 24h/24 et 7j/7) ne peut pas être dépendante de l’heure du jour ou de la météo: il faut passer à un mix énergétique incluant par exemple du nucléaire sous-critique tel les réacteurs à Thorium dont j’ai déjà parlé, et des installations géothermiques à grande profondeur.

A propos Vincent Verschoore

Animateur de Ze Rhubarbe Blog depuis 2008.

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