Décidément la matière noire a l’esprit malicieux ces derniers temps. Je parlais en début de mois dans le billet “La matière noire souffle le chaud et le froid” des incohérences dans les résultats des différents détecteurs actuellement en batterie pour détecter cette fameuse matière (censée constituer de l’ordre de 85% de la masse de l’univers). Et voici qu’une nouvelle étude publiée par des chercheurs de l’ESO au Chili et en Italie s’intitule “Aucune évidence de matière sombre au voisinage du système solaire“. Alors qu’évidemment elle est supposé exister là comme partout ailleurs.
Mais si on ne sait pas ce qu’elle est, comment peut-on dire qu’elle ne se trouve pas là où on la cherche? Simplement en calculant ce qui devrait se passer en l’absence de matière noire dans un secteur donné de l’espace, puis en mesurant ce qui s’y passe vraiment. Si les deux concordent, c’est qu’il n’y a pas de matière noire dans ce secteur. C’est exactement ce qu’à fait cette équipe dirigée par le prof. Christian Moni Bidin. Les mesures portaient sur le disque galactique centré sur notre système solaire, d’un rayon de 13 000 années-lumière et composé de 400 étoiles géantes. Jamais un espace si vaste n’avait été si minutieusement étudié. Donc si la matière noire n’existe pas dans notre région de l’espace, il n’est pas étonnant que les détecteurs ne trouvent rien de significatif, ce qui ferait une excellente conclusion posthume au billet cité en introduction.
Reste le problème fondamental qui est que pour que l’univers et les galaxies aient aujourd’hui la structure observée, soit la matière noire existe quand même – quitte à avoir déserté notre coin de l’espace – , soit notre théorie dominante actuelle (le Big Bang) de la formation de l’univers est fausse. La seule chose dont on semble certain est que l’univers n’aurait pas sa configuration actuelle si la seule matière était la matière visible, et si les constantes de base (constante gravitationnelle et vitesse de la lumière) n’étaient pas véritablement des constantes. Or il existe plusieurs théories qui s’attachent à décrire l’univers observable sans avoir recours à cette mystérieuse matière noire et sa cousine, l’énergie noire. En 2010 l’astrophysicien taiwanais Wun-Hi Shu proposait un nouveau modèle cosmologique doté d’un mécanisme de conversion de la masse en longueur et le temps en espace. Un autre modèle appelé Théorie MOND porte sur une modification de l’attraction gravitationnelle newtonienne, qui passerait d’un facteur 1/r² sur les courtes distances (galactiquement parlant) à 1/r pour les longues distances, donc beaucoup moins forte. Cette adaptation permet de faire coller le modèle MOND à l’univers observable, y compris pour le fond diffus cosmologique. Sans matière noire.
L’apparente impossibilité actuelle de détecter la matière noire pourrait faire revenir ces théories alternatives au modèle cosmologique standard sur le devant de la scène, mais il faudra encore attendre les résultats du satellite Gaïa qui doit être lancé l’an prochain par l’ESA pour passer au crible plus d’un million d’étoiles.
Communiqué de presse de l’ESO: http://www.eso.org/public/news/eso1217/
Synthèse de l’étude: http://arxiv.org/pdf/1204.3919.pdf
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