Semer des graines de doute – Feuillet 6

Feuillet précédant                     Introduction

Troisième partie : Le doute en action

 Cette dernière partie traite de ma propre approche du doute au travers d’exemples concrets développés dans ma pratique, entièrement bénévole, de blogueur parfois polémique et de participants à un mouvement d’éducation populaire.

La posture critique

En août 2008 je publiais sur le site Médiapart un billet sur la liberté d’expression1 en m’en prenant à l’interdiction du livre du général Aussaresse: « Je prends un exemple politiquement incorrect: la publication par les éditions du Rocher du livre du général Aussaresse “Pour la France, Services Spéciaux, 1942-1954″. Je n’ai pas lu ce livre et n’ai absolument aucune sympathie pour le personnage, mais j’estime que ceux qui ont fait ce procès, notamment la Ligue des Droits de l’Homme, commettent un abus de justice: à partir du moment ou personne n’est obligé de lire ce livre, que ce n’est pas un exercice en flagrante diffamation, on ne doit pas l’interdire, et ce d’autant moins qu’il représente une certaine réalité historique, aussi horrible soit-elle. C’est une question de principe, soit on accepte la liberté d’expression, soit on ne l’accepte pas, il n’y a pas de situation intermédiaire». Le livre est interdit par la justice française, mais en janvier 2009 la Cour Européenne des Droits de l’Homme rejette cette décision, arguant ainsi : « La publication d’un témoignage de ce type s’inscrivait indubitablement dans un débat d’intérêt général d’une singulière importance pour la mémoire collective : fort du poids que lui confère le grade de son auteur, devenu général, il conforte l’une des thèses en présence et défendue par ce dernier, à savoir que non seulement de telles pratiques avaient cours, mais qui plus est avec l’aval des autorités françaises. » La Cour Européenne en profita pour rappelle sa jurisprudence établie depuis 30 ans, aux termes de laquelle la liberté d’expression vaut non seulement pour les informations ou idées considérées comme inoffensives ou indifférentes, mais aussi pour celles qui heurtent, choquent ou inquiètent.

Ce rappel par la CEDH est d’une grande importance car la liberté d’expression est ce qui permet l’expression du doute. L’interdit d’expression, donc de doute, est une mesure classique du degré de totalitarisme d’une ou d’un pays donné. Totalitarisme qui se décline de mille façons : religion, sécurité nationale, santé publique, valeurs républicaines, respect des minorités, etc… Il y a toujours une bonne raison pour un groupe de vouloir interdire l’expression d’autrui, et la pratique du doute implique de reconnaître l’offuscation, l’insulte et la haine que peuvent générer des propos remettant en cause la doxa de tel ou tel groupe.

Dans un monde de plus en plus « numériquement social » où nos agapes de jeunesse peuvent nous faire perdre un boulot trente ans plus tard à cause d’une photo compromettante sur Facebook, le questionnement des vérités officielles implique dès le départ un choix entre trois postures : Ne rien dire, le dire sous couvert d’anonymat ou sous pseudo (protection illusoire si elle n’est pas sérieusement organisée), ou le dire à visage découvert et donc en assumer pleinement les éventuelles conséquences. Le choix dépendra bien évidement de nombreux facteurs tels sa propre vulnérabilité sociale, le contexte et les risques encourus. J’ai toujours adopté la posture à visage découvert du fait d’une part de mon indépendance professionnelle qui en limite les conséquences malheureuses, et d’autre part du fait que la posture anonyme me semble souvent suspecte de ne viser que l’épanchement facile voir la provocation pure et simple. Ce qui n’empêche pas l’existence de très nombreuses et pertinentes critiques signées par des auteurs sous pseudo dont la compétence sur le sujet traité est démontrée par leurs écrits et commentaires : le fameux Maître Eolas pour ce qui est de la critique judiciaire est un exemple très connu des internautes, par ailleurs sur Médiapart existe un commentateur très averti des mécanismes financiers qui apparaît sous le pseudo Georges de Furfande.

Cas n° 1 : la question du Sida

 Je publiais à la même période (été 2008) et sur le même site un premier billet, relativement tranchant et agressif, sur la dissidence concernant la cause réelle du Sida2. Je ne rentrerais pas ici dans le vif du sujet3 sauf pour contextualiser très brièvement le débat : au moment de l’annonce par le Dr Robert en 1984 de la découverte de la « cause probable du Sida » sous la forme d’un rétrovirus appelé VIH (dont il avait auparavant tenté de voler la paternité à l’équipe française du Dr Montagnier), il n’existait aucune preuve tangible que l’état « Sida » était causé par un virus. C’est ce qui poussa un éminent oncologue de l’époque, le Dr Peter Duesberg, à publier un livre4 dénonçant la transformation de l’hypothèse virale en vérité définitive et l’accaparement pas le « lobby du VIH » de tous les fonds de recherche contre le Sida. Alors qu’il existait, et existe toujours, d’autres hypothèses sur les causes de l’état Sida. Le fait qu’aucun vaccin n’ai été trouvé depuis lors (alors que en promettait un pour 1986), ainsi qu’un grand nombre d’autres facteurs, me laisse penser que l’hypothèse virale est effectivement très peu probable. Entre-temps, toute une industrie hautement profitable s’est constituée autour de l’hypothèse virale et c’est essentiellement pour cela que les hypothèses « dissidentes » sont inaudibles et ridiculisées par l’establishment – c’est-à-dire par les institutions de santé publique qui ne peuvent prendre le risque d’une telle erreur, associées aux sociétés pharmaceutiques qui pilotent de facto l’essentiel des politiques de santé publique5 et une partie importante des revenus publicitaires des médias.

Ce billet signa ma première et principale confrontation avec les lignes de défense de la « vérité officielle » : le premier commentaire fut publié par Vincent Truffy, membre de la Rédaction de Médiapart : « Peter Duesberg, que vous citez, a émis l’hypothèse que ce qui est habituellement appelé sida, serait imputable non à un virus mais à un affaiblissement du système immunitaire provenant de l’exposition à différentes substances, drogues ou encore AZT. Je ne discuterai pas les relents hygiénistes de cette idée…  Je vous propose à mon tour de lire cet intéressant article6 synthétique paru dans PLoS Medicine sur le négationnisme et les théories du complot pour ce qui est du VIH.» L’article en question cherche essentiellement a associer les dissidents à des négationnistes, des créationnistes et des débiles mentaux, sans bien sûr s’intéresser au fond. C’est une ligne de défense classique : éviter la discussion de fond et tout faire pour amalgamer les contradicteurs avec ceux qui continuent de nier la Shoah. Truffy dans son commentaire exemplifie l’attitude anti-scientifique, quasi-religieuse  dont Georges Canguilhem nous mettait déjà en garde: refuser une hypothèse pourtant scientifiquement recevable sous prétexte qu’elle aurait des « relents hygiénistes »… On voit également apparaître sur son commentaire le terme de « complot », sur lequel je reviendrai. Ce billet fut repris quelques jours plus tard (le 5 septembre 2008), dans l’émission de Demorand sur France Inter, par Philippe Val qui s’en servit pour dénigrer Médiapart (Val étant anti-Internet en général et anti-Plenel en particulier). L’interprétation déformée7 de mes propos à des fins n’ayant rien à voir avec le sujet ne dérangeât personne et, bien que nommément cité, je n’eus bien sûr pas de droit de réponse. Médiapart s’empressa d’enfoncer le clou8, ne pouvant commercialement se permettre (le journal ayant été lancé quelques mois plus tôt) de paraître soutenir un propos aussi politiquement incorrect. Personne ne fit allusion aux aspects scientifiques du débat, que je suivais depuis le milieu des années 90 et que je suis encore, ayant par exemple réalisé un documentaire autour d’une conférence sur ce sujet en juin 9.

Je retire de cette expérience la réalisation du fait qu’une fois un propos émis, il suit une voie imprévisible (jamais je n’aurais imaginé que mon billet puisse être cité, même mal, sur France Inter!) qui souvent le déforme et le rend utilisable par toutes sortes d’intérêts, à commencer par le dénigrement du messager. Il faut donc, ce que je ne fit pas à l’époque, tenter de donner à son propos le plus de résilience possible : contextualisation, liens, références, terminologie adaptée au public visé, prise en compte des aspects qui peuvent générer des rejets émotionnels.

Cas n° 2 : L’affaire du 11 septembre 2001

Le monde géopolitique actuel est fondé sur les événements du 11 septembre 2001 et la politique de guerre « anti-terroriste » et de domination qui s’ensuivit et s’ensuit encore aujourd’hui. Le rêve d’un monde apaisé sous la protection d’une superpuissance progressiste, que certains prédisaient après la chute du mur (on parlait même de la « fin de l’histoire »), s’est transformé en cauchemar le 11 septembre 2001 sous le joug d’un fascisme américain personnifié par George W. Bush mais dont il n’était pas le créateur et qui lui survit parfaitement, même sous un Président noir, intelligent et théoriquement démocrate.

L’importance de l’évènement, associé à l’improbabilité des conclusions apportées par la Commission 9/11 qui constituent la « vérité officielle », ont dès le début soulevé un grand nombre de questions dont certaines trouvent aujourd’hui réponse mais dont les principales restent sans réponses. A nouveau je n’entrerai pas ici dans le vif du sujet, que beaucoup connaissent déjà dans les grandes lignes mais qui dépasse en fait largement de la seule question de la chute physique des trois tours du World Trade Center suite aux impacts de deux avions. J’ai participé au débat par la publication de billets sur mon blog, ayant développé une certaine connaissance du sujet au travers de lectures d’ouvrages d’investigation qui m’ont convaincu de la nécessite d’une enquête publique indépendante prenant en compte tous les faits connus, pas seulement ceux qui arrangent le gouvernement américain. La polémique autour du 11 septembre est, du point de vue institutionnel et médiatique, la « mère des théories du complot » et c’est également dans ce contexte que la posture du doute doit se structurer. En effet, douter c’est d’abord ne pas prendre position pour ou contre, c’est se garder une marge de manœuvre permettant l’analyse. Or le monde est devenu hautement binaire, manichéen : on est pour ou contre ceci ou cela, de gauche ou de droite, riche ou pauvre, écolo ou pollueur, in ou out, winner ou loser, religieux ou laïque. Ce rétrécissement intellectuel trouve son origine moderne dans le fameux discours de G.W. Bush du 6 novembre 2001, au cours duquel il prononce une phrase qui sur le coup semblait puérile, mais dont la portée devint rapidement universelle au sens où elle structura le mode de relation entre les USA et le reste du monde : « you’re either with us or against us10 ». Dans le monde post-11 septembre, il n’y a plus de milieu, seulement des extrêmes. Plus de neutralité, donc plus de place pour le doute. Il faut alors accepter le fait que douter impliquera de la part de ceux dont on met les convictions (réelles ou affichée) en cause, un étiquetage visant à rendre illégitime cette neutralité : c’est notamment l’étiquetage « théorie du complot », sorte de tapis sous lequel les institutions et les médias balayent tous les arguments qui ne vont pas dans leur sens et contre lesquels ils ne peuvent lutter autrement.

Du doute à la pensée complexe

 Ces deux cas illustrent le problème de la posture de celui qui doute, en l’occurrence de ma propre posture : Suis-je un militant d’une ou plusieurs causes, ou un transmetteur d’information ? Est-ce que je défends un ou plusieurs groupes, ou bien est-ce que je défends un principe, celui de faire connaître des positions minoritaires que j’estime méritantes ? Et en ce cas, méritantes selon quels critères ?

Aujourd’hui je me définis, dans le contexte de mon activité de blogueur, en tant que relais et vulgarisateur d’informations «méritantes » qui remettent au cause des hypothèses, voir des fausses certitudes. Parfois en m’en prenant directement aux rideaux de fumée de la communication institutionnelle au sens le plus large du terme, parfois en discutant tout simplement d’hypothèses nouvelles ou méconnues dans les sciences (surtout la physique) capables de modifier notre manière de voir le monde. Le doute n’ayant de sens que s’il se base sur certaines convictions (sans quoi on doute de tout, ce qui est futile), je suis régulièrement amené à redéfinir les axiomes qui me semble recevables et applicables à tel ou tel moment, pour tel ou tel sujet. Tout en sachant que la stricte rationalité que cette approche semble impliquer reste une illusion, et que l’ensemble des facteurs qui participent au doute, à la pensée critique, sont en fait intimement liés au travers de note propre subjectivité d’une part, et de l’indissociabilité fondamentale du monde. Tout se tient, ce qui ramène à la notion de pensée complexe développée notamment par Edgar Morin, qui la définit ainsi : « Quand je parle de complexité, je me réfère au sens latin élémentaire du mot “complexus”, “ce qui est tissé ensemble”. Les constituants sont différents, mais il faut voir comme dans une tapisserie la figure d’ensemble. Le vrai problème (de réforme de pensée) c’est que nous avons trop bien appris à séparer. Il vaut mieux apprendre à relier. Relier, c’est-à-dire pas seulement établir bout à bout une connexion, mais établir une connexion qui se fasse en boucle. Du reste, dans le mot relier, il y a le “re”, c’est le retour de la boucle sur elle-même. Or la boucle est autoproductive. À l’origine de la vie, il s’est créé une sorte de boucle, une sorte de machinerie naturelle qui revient sur elle-même et qui produit des éléments toujours plus divers qui vont créer un être complexe qui sera vivant. Le monde lui-même s’est autoproduit de façon très mystérieuse. La connaissance doit avoir aujourd’hui des instruments, des concepts fondamentaux qui permettront de relier11 ».

C’est ainsi que je tente de faire des liens ente des sujets, des hypothèses provenant de sources diverses dans le cadre de certains billets publiés sur mon blog. Par exemple j’écrivais ceci dans un billet12 traitant de physique quantique : « Sortant ici du cadre de la physique pour aborder un cadre plus philosophique, si notre perception du monde via nos cinq sens “classiques” est un ersatz d’une réalité fondamentale quantique dont les projections possibles sont en principe multiples, pourquoi nos autres perceptions ne serait-elles pas simplement des images d’autres facettes de cette réalité? Il existe dans les cultures humaines nombre de “sens” qui ne relèvent pas, à priori, de nos capteurs mécano-chimio-optiques mais dont rien ne permet de dire qu’ils sont pour autant moins valables. L’intuition, les rêves mais plusencore, par exemple,  les perceptions chamaniques attribuant une conscience à des éléments tels les végétaux et les pierres, ne sont-elles pas alors des manières complémentaires de percevoir “la” réalité? ».

3 Voir en annexe : Pourquoi la polémique sur le VIH ?

4 Duesberg P, Inventing the AIDS Virus, USA, Regnery Publishing, 1995

5 Voir la première partie de ce document, paragraphe Le contexte Institutionnel

11 Edgar Morin, La stratégie de reliance pour l’intelligence de la complexité, in Revue Internationale de Systémique, vol 9, N° 2, 1995.

A propos Vincent Verschoore

Animateur de Ze Rhubarbe Blog depuis 2008.

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