Physique: Principe d’équivalence ou schizophrénie de masse?

En physique, la masse a une double personnalité: d’une part elle est ce qui cause l’inertie (la résistance à l’accélération), et d’autre part elle est ce qui cause la gravité. Mais ces deux aspects semblent équivalents sans que cela puisse s’expliquer, et cette observation a chagriné nombre de physiciens, aussi bien avant qu’après Einstein. Einstein, lui,  avait trouvé une parade qui donna naissance à la théorie de la relativité générale: un objet modifie la forme de l’espace-temps (plus il est lourd, plus il y a de compression de l’espace et donc plus nous mesurons un effet d’accélération vers l’objet, accélération que nous appelons “force de gravité”). Il n’y aurait donc pas de “masse gravitationnelle” en tant que telle, seulement une masse inertielle modifiant la structure de l’espace et créant l’illusion de la force de gravité.  Einstein a simplement appelé ceci le “principe d’équivalence”. Mais bien sûr, la gravité décrite de cette façon ne s’accorde pas avec la théorie quantique (qui nécessite un vecteur de transmission de la force) et est incompatible avec toute forme de Grande Théorie Unifiée.

Si l’on veut arriver à une théorie unifiée, dans laquelle la gravité serait une “vraie” force et non plus une simple illusion liée à la contraction de l’espace, il faut séparer les deux types de masses (inertielle et gravitationnelle), et néanmoins expliquer pourquoi elles sont à notre connaissance parfaitement équivalentes numériquement (et ce, à l’heure actuelle, jusqu’à la onzième décimale!). Pour se représenter les choses, imaginez-vous dans une pièce en ville et dans la même pièce au coeur d’un vaisseau interstellaire accélérant à la même vitesse que la gravité terrestre. Dans les deux cas, vos sensations de poids seront identiques, et pourtant deux types de masses différentes sont en jeu, gravitationnelle d’une part et inertielle de l’autre. Cette équivalence est un fait en termes de ce qu’il nous est actuellement possible de mesurer, mais rien ne l’explique. Est-ce vraiment “just a coincidence”, ou le signe de quelque chose de plus profond?

On ne sait pas vraiment ce qu’est la gravité, mais plus surprenant encore on ne sait pas vraiment ce qu’est l’inertie. L’effet est évident en lui-même (le fait de se retrouver collé à son siège dans une voiture de sport qui accélère ou un avion qui décolle) mais difficilement explicable: pourquoi il y a t’il une résistance à l’accélération? Des théories existent, basées sur l’idée qu’un corps en accélération dans un vide induit un effet sur toutes les particules constituant ce corps et produisant une force contraire, de la même manière qu’un objet électriquement chargé verra sa trajectoire modifiée dans un champs électrique (force de Lorentz). Rien n’est démontré expérimentalement, mais cette approche pourrait expliquer les comportements anormaux observés à la marge des galaxies que l’on attribue à la présence de matière noire  – matière illusoire qui serait en réalité la conséquence visible, dans ces conditions de très faible gravité, d’une réelle différence entre la masse gravitationnelle et la masse inertielle. Autrement dit, la preuve d’une rupture du principe d’équivalence de Einstein, et donc une remise en cause fondamentale de la relativité générale.

Le problème reste entier mais une chose semble certaine, du moins dans le contexte du modèle physique dominant actuel: soit la gravité telle que décrite par Einstein est correcte (il n’existe pas de masse gravitationnelle en tant que telle) et le monde quantique s’effondre en tant que chemin vers une théorie complète de l’univers, ou bien les masses gravitationnelles et inertielles sont bien deux choses distinctes et il faut sacrifier Einstein.

Et le Higgs dans tout cela? Après tout, l’an dernier on a clamé haut et fort que ce fameux boson avait été trouvé, et avec lui la cause fondamentale de la masse des particules. Certes, mais l’addition des masses de particules constituant un atome ne correspond pas à la masse de l’atome en lui-même: une partie de la masse atomique est constituée d’énergie, celle requise pour garder ces particules collées ensemble. Donc le champs de Higgs ne peut en lui-même expliquer la masse inertielle au-delà de la particule élémentaire (électron ou quark).

L’avantage d’Einstein est que sa théorie a toujours été validée par les expériences macroscopiques, mais elle ne décrit pas le monde microscopique. Ce dernier est très bien décrit par la mécanique quantique, dont les effets deviennent également mesurables dans le monde macroscopique, mais ces deux théories sont incompatibles en ce qui concerne la gravité. Partant de là, soit une théorie unifiant toutes les forces est possible et se fera sans doute au détriment de la relativité, soit une telle description est impossible et chaque théorie restera maître en son domaine,  mais il faudra alors expliquer pourquoi c’est impossible.

 

Source: New Scientist / Sacrificing Einstein: Relativity’s keystone has to go

A propos Vincent Verschoore

Animateur de Ze Rhubarbe Blog depuis 2008.

5 réponses

  1. Bradley

    Selon mon très humble avis, l’espace dans lequel un mobile évolue modifie le vecteur vitesse de celui-ci. L’espace peut être compressé de la même manière que peut l’être l’étendue d’eau à l’avant d’un navire qui se déplace. Le mobile qui se déplace dans un tel espace verra son vecteur vitesse diminué en proportion de cette compression. Sauf évidemment si son vecteur vitesse était égal à zéro. Dans ce cas, il reste immobile par rapport à l’espace environant et on ne constate aucun effet gravitationnel. La gravitation expliquée de cette façon ne rend pas compte de l’observation. C’est comme si l’on considérait que le navire déforme l’étendue d’eau située devant lui, même quand il est à l’arrêt. Osez tirer les conséquences de cette analogie entre un navire qui déforme l’étendue d’eau située devant lui quand et seulement quand il se déplace, d’une part, et une masse quelconque située dans un espace donné et vous comprendrez : 1) pourquoi l’espace se déforme en présence d’une masse. ; 2) pourquoi nous sommes soumis à une accélération et non pas à une force.

  2. Bradley

    PS : La photo en en-tête qui illustre votre article illustre parfaitement l’idée que je me fais de la gravitation. Plus vous l’observerez, plus vous serez amené à vous dire : “Et pourquoi pas ?…”

  3. […] Cela acquis, imaginons deux particules intriquées, Alice et Bob, qui s’approchent d’un trou noir. Alice décide d’y plonger, Bob observant de l’extérieur. Que se passe t’il? Selon les postulats généralement acceptés, il se passe trois choses: l’intrication entre Alice et Bob est maintenue (postulat de la conservation de l’information), Bob ne peut pas recopier toute l’information relative à Alice avant qu’elle ne disparaisse (principe de l’impossibilité du clonage quantique), et Alice tombe “normalement” vers le trou noir (principe d’équivalence, abordé dans ce précédent billet) […]

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