Voilà un slogan qui fait très bobo et anti-Sarko primaire (anti qui? Ben oui souvenez-vous, le petit nerveux, là, avec sa batterie de cuisine aux fesses…). Un slogan, donc, bassement anti-néo-capitaliste de base mais…. c’est pourtant ce qui ressort d’un article du très conservateur et néo-libéral The Economist.
Intitulé “Get a life“, sommairement traduisible par “Vivez votre vie”, cet article commence par citer les prédictions quelques peu oubliées d’économistes et philosophes du 19ème et début du 20ème tel Bertrand Russel, qui écrivait en 1932 que si la société était mieux gérée, chacun n’aurait à travailler que quatre heures par jour et pourrait dévouer le reste de son temps à la science, la peinture et l’écriture. A la même époque, John Maynard Keynes prédisait qu’en l’an 2030 les gens ne travailleraient plus que quinze heures par semaine. La réalité semble quelque peu différente, le stakhanovisme professionnel étant globalement bien considéré en société (du genre “quelle bosseuse celle-là, première arrivée et dernière partie, on peut vraiment compter dessus!”) et les groupes de Workaholics Anonymous en pleine expansion.
Néanmoins la réalité, telle mesurée au sein de l’OCDE depuis 1990 du moins, montre que nous travaillons en fait de moins en moins.
De plus, il s’avère que les personnes les plus productives sont celles qui passent le moins de temps à travailler. Les Grecs sont les plus travailleurs de l’OCDE avec 2000 heures par an en moyenne, contre 1400 heures seulement pour les Allemands – mais ces derniers sont plus productifs de 70%!
Si on lie la productivité au salaire (ce qui semble globalement vrai même si on peut trouver de nombreux contre-exemples), une question intéressante est l’effet du gain de productivité / salarial sur le désir de travailler plus – en supposant qu’il y ait un lien direct entre les deux, via les heures supplémentaires par exemple. D’une part le fait de gagner plus permet de couvrir ses besoins matériels en moins de temps, et donc de garder plus de temps pour soi. A l’inverse, le coût du non-travail (ce que l’on “perd” en ne travaillant pas) augmente avec le salaire. La peur de “trop perdre” peut être un facteur motivant pour travailler plus longtemps sans en avoir réellement besoin – ce qui relève sans doute plus de la psychologie que de l’économie…
Une étude menée par Colin Camerer & Cie sur les chauffeurs de taxis ne donne pas une réponse claire à la question, ces chauffeurs se donnant un objectif journalier. Si l’objectif est atteint rapidement, le chauffeur rentre chez lui tôt. A l’inverse, il pourra rester tard au boulot si nécessaire.
Une autre question est de savoir si c’est la productivité du travailleur qui lui permet de faire moins d’heures, ou au contraire c’est parce qu’il fait moins d’heure qu’il est plus productif. A nouveau pas de réponse claire même si la seconde proposition semble la plus commune. Avec de notables exceptions, le fait étant que les américains riches travaillent nettement plus (en termes d’heures) que les américains modestes. Par contre, les australiens sont plus productifs et travaillent moins que les néo-zélandais…
L’idée que travailler raisonnablement permet de garder un bon niveau de qualité ou de productivité n’est pas neuve, Adam Smith ayant déjà écrit que l’homme qui travaille avec modération non seulement préserve sa santé, mais au final travaille le plus.
Il faut se méfier des images trop simplistes en matière de travail, que ce soit le “travailler plus pour gagner plus” des uns ou l’idéologie étatiste des autres. Toute la question tourne autour de la notion de productivité, définie académiquement comme le rapport entre la richesse produite (en termes mesurables) et le temps de travail effectif. Un peintre qui mets 3 jours à faire un tableau mais n’en vend pas n’est pas productif économiquement parlant, mais le jour ou il arrive à en vendre un à très bon prix, il devient soudainement très productif – pourtant rien n’a changé. Le paysan qui gère seul 100 hectares de terres grâce à la technologie est considéré plus productif que le paysan qui emploie dix personnes et des chevaux de traits pour une même production. Alors que si on prenait en compte l’ensemble des prestations – y compris les heures de travail passées dans toute la chaîne de fabrication des outils modernes du premier paysan – la différence serait bien moins tranchée. Et cette définition de la productivité fait bien sûr l’impasse sur la question du non-marchand, du bénévolat et des activités gratuites en général. Activités dans lesquelles on retrouve aussi des stakhanovistes qui se tuent – parfois littéralement – au travail pour des raisons qui là encore relèvent plus d’un problème de méthode, de culture, ou dl’addiction que de l’analyse économique.
Comme toujours en matière sociale, dont l’économie n’est qu’un des sous-ensembles, l’analyse purement rationnelle n’apporte pas grand chose à la compréhension des phénomènes observés. La solution n’est pas tant dans la gestion du rapport entre travail et non-travail, mais dans l’intégration du sens au sein même du travail. Et, comme le regretté Albert Jacquard lui-même n’hésitait pas à le faire, considérer que le “travail” qui favorise la prédation, la destruction ou la spéculation n’est que prostitution dans le plus pur sens du terme.