Voici un an, début 2013, je rencontrais Sunil, un grand bonhomme d’une trentaine d’années issu du Nord de l’Inde et arrivé en France en 2009, marié à une française à l’ambassade de France à Delhi suivi d’un mariage religieux réunissant les deux famille dans son pays natal en 2011 : rien à voir avec un mariage « blanc ».Début 2013 Il venait donc de divorcer, pas facile de concilier mentalités de l’Inde et de l’Europe au sein d’un couple… Il logeait dans un studio en bas de chez moi dans la bonne ville de Cluny (71), et parfois en rentrant dans l’immeuble cela sentait bon la cuisine de là-bas. Il avait même planté quelques herbes aromatiques dans le misérable demi mètre carré de terre entre sa fenêtre et la rue.
Sunil était plus que discret, pas un bruit sauf quand il démarrait son scooter le matin pour aller bosser. Il travaillait beaucoup et régulièrement dans les vignes du mâconnais et donnait aussi des cours de yoga depuis son arrivée en France. Il parlait fort bien le français, et bénéficiait d’une carte de séjour renouvelable chaque année, jusqu’à son divorce. En juin 2013, lors de la demande de renouvellement il reçut une autorisation de séjour valable jusqu’en novembre seulement. Le 25 novembre l’arrêté de la préfecture tombe et stipule l’obligation de quitter le territoire. Il forme un recours et pendant cette période ( 45 jours) il est assigné à résidence dans le Mâconnais assorti d’une interdiction de travailler. Il devait également pointer chaque jour à la gendarmerie, ce qu’il fit avec constance et régularité.
Il alla souvent à la préfecture à Mâcon pour essayer de savoir ce qui pouvait se passer, mais l’imminence de l’obligation de quitter le territoire semblait claire. Le recours n’eût pas de succès.
Ne sachant à quoi s’en tenir mais résigné au fait de devoir quitter la France à laquelle il s’était pourtant bien adapté, Sunil retourna une nouvelle fois en préfecture le lundi 6 janvier au matin. On lui appris qu’il était prévu qu’il prenne un vol pour Dehli le même jour, à 17h à l’aéroport de Lyon. Et qu’il était convoqué à la gendarmerie à 13h…
Il put boucler ses valises en catastrophe avec l’aide de ses ex-beaux-parents clunisois et de son ex-femme, avec lesquels il avait gardé de très bonnes relations malgré le divorce. Ils l’accompagnèrent à la gendarmerie de Cluny à l’heure dite, proposant d’emmener Sunil à l’aéroport. Les gendarmes refusèrent, ayant apparemment obligation d’escorter l’expulsé (qui dès lors n’est plus tout à fait un être humain) jusqu’à sa prise en charge par la Police aux Frontières (PAF) de Lyon. Mais les amis étaient libres de les suivre dans leur propre véhicule, ce qu’ils firent.
Arrivés à l’aéroport Saint-Exupéry de Lyon, Sunil fut détenu par la PAF, à la surprise et l’indignation des amis sur place, et même apparemment des gendarmes de l’escorte. Sunil, en effet, n’a jamais montré le moindre signe de révolte au cours du trajet, bavardant de l’Inde et de la France avec eux. Il fut traité, dans la bonne tradition de la PAF: isolé dans un réduit faisant office de cellule, sans égard, sans considération : l’étranger suscite la peur contre laquelle il faut se protéger, mettre à distance, lui ôter toutes possibilités de s’exprimer. On peut s’interroger sur les critères de sélection de ces agents que les critères de sélection de ces agents…
Ses deux sacs furent considérés trop volumineux, et il dû réduire ses effets personnels à une seule valise, derniers fragments de quatre années de vie ici, laissant le reste aux soins de ses amis qui ne purent même pas le saluer une dernière fois ensemble, mais juste un à la fois dans cette cellule, et pas plus de dix minutes. Tel un malfrat.
Ensuite il fut conduit au vol, qui faisait escale en Allemagne, où il fut repris en charge par la police allemande, avant le long voyage vers Delhi puis les douze heures de car vers ses terres natales. Il doit être arrivé au moment ou j’écris ces lignes, le 8 janvier.
L’objet de ce billet n’est pas de critiquer le fond de cette affaire. La loi – aussi inepte soit-elle – a été appliquée normalement et l’intéressé, Sunil, après avoir utilisé le recours prévu par le législateur, n’a pas cherché à s’y dérober. L’objet est de témoigner d’un fait et de ne pas oublier trop vite que derrière toute décision administrative concernant une personne existe un être humain. S’il y a une chose que l’on doit lui conserver c’est bien sa dignité mais qu’une administration vient de bafouer en le rayant purement et simplement de la carte.
Il ne méritait pas cela : il avait rempli toutes les conditions pour s’adapter dans notre pays, avait appris le français, accepté tout travail qui lui était proposé…il s’était constitué un réseau d’amis. Il s’était tout simplement intégré. N’est-ce pas ce que l’on demande à une personne émigrée ? Il a respecté notre loi, s’y est conformé toujours en tout point sans jamais l’enfreindre et il accepta volontairement, le cœur gros, le retour dans son pays. Nous devions, nous, Français, le respecter et lui redonner toute attention qu’il a su diffuser autour de lui.
La critique porte sur la forme: il n’est pas acceptable que les représentants de l’Etat, en l’occurrence la PAF de l’aéroport de Saint-Exupéry à Lyon (mais les témoignages des exactions de la PAF en général ne manquent pas), traitent des gens de telle manière. Le pouvoir qui leur est donné et son application au travers de comportements de la sorte n’ont rien à faire au sein de services d’un Etat supposément fondé sur le respect des droits de l’Homme.
Quelle triste réalité de constater que l’Humain n’est pas au centre de nos préoccupations, comme si la loi n’était pas faite pour protéger les hommes.