Consternation ce matin sur France Inter lors de l’émission de Pascale Clark “Les Chroculs“, dédiée aux limites qu’il faudrait imposer à l’humour – avec référence non dissimulée à l’affaire Dieudonné. Le panel des invités comprend des chroniqueurs “avisés” issus des journaux Le Monde, Le Figaro, L’Express et la Parisien.
Ceux et celles qui, comme moi, estiment que la liberté d’expression ne peut pas, par définition, avoir de limite en-deçà de la diffamation, et donc que la question des limites de l’humour – tête de gondole de la liberté d’expression – ne se pose tout simplement pas en seront pour leurs frais en matière d’argumentation. Pour ces intellos de l’humour, la banane doit avoir des limites et ces limites sont… et bien on en sait rien en fait, aucune norme objective n’a pu être proposée malgré les efforts de P. Clark pour faire expliquer pourquoi Desproges, par exemple, est recevable, mais que d’autres ne le seraient pas. Les invités ne proposaient que des réponses totalement subjectives: untel est acceptable parce que l’on sait d’où il parle, un autre par ce qu’il a du style et de la finesse, un troisième pare qu’il ne fait qu’imiter une situation vécue ou qu’il reste dans le cadre de la loi, etc…
Ce type de définition est l’essence même de la dictature, qui est l’imposition à tous des opinions, préjudices, névroses et croyances du Chef. Ces intellos parisiens, peut-être sans s’en rendre compte, préparent l’opinion à accepter la dictature de l’hypocrisie bien-pensante de la nomenklatura française:
– Nomenklatura: “Ah ça c’est un peu gras, ce n’est pas assez fin à notre goût donc c’est interdit. Aller, Manuel, au boulot!”
– Peuple: “Oui mais ça plait à plein d’autres gens que vous!”
– Nomenklatura: “Ceux à qui cela plait sont, par définition, des fachos ou des malades mentaux. Pas vrai Patrick?”
Hypocrisie, car bien évidemment, tout comme pour la fidélité en couple ou l’argent planqué à l’étranger, la règle pour ces gens-là est “faites ce que je dis, pas ce que je fais”. Et donc ils/elles vont nous rappeler avec nostalgie les humoristes hors-la-loi qui combattaient avec l’humour les dictatures d’antan, tout en appelant à l’interdiction des humoristes actuels qui dénoncent les dérives liberticides du régime dont ils cirent les pompes. La méthode reste la même: le pouvoir promulgue des lois qui limitent le cadre de la critique, permettant ensuite d’arrêter ceux qui enfreignent la “loi”. Tout comme le pouvoir Ukrainien qui impose des lois anti-manifestation pour juguler ses opposants – pour ensuite révoquer ces lois grâce à la volonté du peuple de ne pas s’y soumettre. Comme quoi la “loi” sert avant tout les intérêts du pouvoir.
Les lois, qu’elles soient contre les manifestants ou contre l’expression même des plus viles idées, n’ont rien de fondamentalement légitimes et ne sont que le résultat de postures politiques qui ne représentent que ceux qui les votent – et encore. La loi sous Vichy interdisait l’aide aux juifs, et pourtant ceux qui la bravaient sont considérés aujourd’hui – à juste titre – comme “justes”. Cette loi était sans doute légitime dans le cadre institutionnel de l’époque, mais jamais respectable. En matière de lois, il n’y a souvent guère de liens entre légitimité légale et légitimité morale.
Il en est de même aujourd’hui avec les lois légalement légitimes car votées par le Parlement, mais non respectables car visant uniquement à asseoir l’autorité de régimes génétiquement liberticides – non plus tellement au nom d’une idéologique particulière mais au nom de la défense d’intérêts particuliers qui contrôlent de facto la puissance publique.
Alors on peut faire remarquer que la question de la loi sur l’humour et l’expression en général porte aujourd’hui spécifiquement sur l’antisémitisme, mais c’est une illusion: les propos diffamatoires en général sont interdits et s’appliquent à tous, il suffit de se référer aux lois ad hoc quand c’est nécessaire. Les lois spécifiques à l’antisémitisme (et pourquoi pas à l’islamophobie, la christianophobie, les histoires belges ou le racisme anti-Martiens) sont autant d’occasions d’alimenter les haines latentes qui existent, ont toujours existé et existeront sans doute toujours au sein de la société humaine. C’est le problème du communautarisme en général: le droit d’une certaine communauté à jouir d’un régime de protection particulier a tendance à attirer vers cette communauté les foudres de ceux qui y voient une injustice et une prise de pouvoir par cette communauté au dépends des autres.
On voit bien que plus on insiste sur la sacralisation de l’anti- antisémitisme, plus on crée de lois pour en interdire toute expression, plus en donne de la visibilité à des associations qui abusent systématiquement de leur statut de “protégé” et plus la pression monte. Est-ce voulu, une manière de légitimer la montée de l’autoritarisme de l’Etat, ou est-ce simplement le résultat perverti de ce qui pouvait être au départ une bonne intention? Je l’ignore, mais je constate que c’est contre-productif à tous les points de vue.
A tel point que faire une quenelle ici mène des jeunes en garde à vue, alors que d’autres jeunes qui partent faire le djihad en Syrie sont traités en victimes. On nage en plein délire. Il faut revenir aux principes de base de ce qui définit une République: la liberté d’expression sans conditions, et des lois d’intérêt général applicables à tous, sans privilèges particuliers envers telle ou telle communauté. Nous ne sommes pas responsables, et encore moins coupables, de l’Histoire écrite par ceux et celles qui étaient là avant nous.
=Vincent Verschoore=