Services secrets, marche-pied vers la dictature

L’opposition publique face au projet de loi sur le renseignement est bien réelle et engage de nombreux représentants du monde des médias, des logiciels libres, des hébergeurs et fournisseurs de services internet ainsi que des association de défense de nos libertés, numériques ou non. C’est tant mieux, même si l’autocrate Valls et son porte-flingue Cazeneuve s’en fichent pas mal et n’anticipent sans doute pas de grande résistance de la part de la majorité des pleutres députés le 5 mai prochain à l’Assemblée.

L’un des arguments du pouvoir est que cette loi faciliterait le travail des services secrets – et en particulier de la DGSI – en rendant légales certaines activités de renseignement qui jusqu’à présent ne le sont pas, mais que l’on réalise néanmoins par “nécessité”. L’argument est particulièrement risible et montre bien à quel point l’on nous prend pour des imbéciles car en effet, si les services secrets travaillaient dans la légalité ils n’auraient plus besoin d’être secrets. Le fait de légaliser certaines pratiques courantes n’empêche en rien la continuation d’autres pratiques qui, elles, resteront cachées.

Penser les services secrets comme une forme de police attachée au principe républicain, qui se soucierait avait tout de notre sécurité et qui aurait des regrets lorsque la “nécessité” lui imposerait de s’aventurer hors la loi, serait faire preuve de grande naïveté et de dangereuse crédulité. Le monde des services secrets est par définition opaque mais il existe néanmoins suffisamment d’indices de la part de lanceurs d’alertes (tel Edward Snowden, mais il n’est pas le seul), d’historiens, d’auteurs tels George Orwell et John le Carré – qui tout deux travaillèrent un temps dans ce milieu, dans la police d’occupation anglaise en Birmanie pour le premier, au MI5 et au MI6 pour le second – pour se rendre compte qu’il n’en est rien. On peut également se souvenir des mémoires du président américain Truman regrettant d’avoir signé, en 1947, l’acte de naissance de la CIA après avoir pris conscience que cette entité échappait à tout réel contrôle démocratique. Témoin l’impuissance d’Obama face à l’espionnite aiguë de la NSA et le refus de toutes les nations “alliées” de protéger Snowden de la vengeance US – signe de la soumission de nos soi-disant démocraties à cet Etat Profond dont l’éthique, les méthodes et les intérêts n’ont rien à voir avec les principes républicains.

On en apprend également beaucoup avec ce livre intitulé Missions, méthodes, techniques spéciales des services secrets au 21ème siècle, par le Lieutenant-Colonel X et Jacques Léger (pseudonymes dans les deux cas). Selon Amazon, le lieutenant-colonel “X” a choisi de garder l’anonymat pour publier ce témoignage choc qui ne fait aucune concession à l’autocensure; il a commencé sa carrière dans les services secrets à la fin des années 1970. Il a récemment coédité, avec le chercheur Emilein Hulot, la deuxième édition du “Manuel de contre-manipulation” (décembre 2014).
Jacques Léger est le nom de plume d’un journaliste spécialiste du sujet des relations internationales, du renseignement et des services secrets.

Il faut toujours garder à l’esprit la possibilité que cette publication soit en elle-même un élément de désinformation, mais pour l’avoir lue je vois difficilement quel intérêt les services secrets français auraient à publier un tel livre, dont je vous propose ici quelques citations permettant, je l’espère, d’illustrer le profond cynisme inhérent à ce monde du mensonge et de la manipulation, et de ceux qui en font la promotion.

Les visées formelles (la communication) viennent toujours masquer des visées réelles, parce que ces dernières sont presque toujours jugées irrecevables par un public non-initié…

La nécessité du mythe moderne, une notion rationalisée par le philosophe Georges Sorel, servant de support indispensable de tous les engagements idéologiques, patriotiques ou religieux. Car sans ce mythe, associant la réalité historique à la légende, le patriotisme dogmatique sur lequel prend racine l’esprit de corps indispensable au bon fonctionnement de tout service secret n’existerait pas, et les espions, depuis le simple agent jusqu’au directeur de centrale de renseignement ne seraient alors qu’une bande de barbares sans foi, ni loi, ni objectif clair, ni réel maître.

Le mythe, et le dogme qui en découle, sont dans ce cas les substituts de l’éthique et de la morale; l’être humain a une capacité d’abstraction suffisante qui lui permet de les accepter ensemble comme l’alibi qui viendra justifier les actes les plus vils et les plus désagréables que l’on attendra de lui.

La qualité déterminante de l’employé des services secrets, c’est une capacité rare à obéir aveuglément, associée à une volonté tout aussi rare  de se mettre au service d’une autorité qui n’a aucun autre alibi à offrir que la raison d’Etat.

Les hommes des services secrets ont hérité cette croyance des militaires qui dit que la détermination et la persistance, lorsque réunies, sont supérieures à l’intelligence.

L’illégalité est le premier outil des services secrets.

D’une manière générale, on constate, dans tous les pays et dans toutes les cultures, qu’une obsession grandissante du secret dans un gouvernement engendre toujours une obsession proportionnellement grandissante de la conspiration parmi la population.

L’ouvrage décrit les différents types d’opérations menées par les services secrets, à l’extérieur et à l’intérieur du territoire: surveillance des leaders d’opinion, infiltration des mouvements politiques et syndicalistes, manipulation d’individus (pour en faire des agents ou agents doubles, notamment) et de groupes d’individus n’en sont que quelques exemples.

Sa conclusion est tout autant menaçante que crédible au regard de la manière profondément hypocrite dont se gère le monde depuis quelques décennies, et notamment depuis le 11 septembre 2001:

Un nouveau monde est en gestation, mais le sentiment général est qu’il est en train de se recroqueviller. La religion sert désormais plus souvent des extrémismes vindicatifs que le rapprochement entre les individus et la paix; les idéologies politiques, fatiguées, et à géométries variables, sont en train de former une nouvelle génération de désabusés. Une chose apparaît de manière maintenant certaine: les services secrets sont les pouvoirs exécutifs de demain; ils le sont déjà dans bien des cas. George Orwell avait raison.

Si nous voulons faire partie d’un nouveau monde basé sur nos valeurs fondamentales de liberté, de démocratie et de respect de l’humanité, il faut faire barrage à la montée de cet Etat Profond dont les services secrets sont les yeux, les oreilles et les mains. Il faut refuser toute extension de leurs pouvoirs et désavouer les agents qui, consciemment ou non, en font la promotion. Il faut tenter de se protéger de la manipulation par ces entités illégitimes, et garder un esprit critique féroce vis-à-vis de tout événement menant directement à des appels à “plus de sécurité” aux frais de nos libertés. Quitte à se faire traiter de conspirationniste par les chiens de garde de l’establishment.

Sur une note plus légère, le site Korben.info propose d’aider Bernard Cazeneuve à remplir ses bases de données avec une petite application qui ajoute automatiquement une liste de mots clés “suspects” à vos tweets. Noyer les systèmes d’écoute sous des torrents de fausses informations est sans doute la méthode la plus simple que tout un chacun peut utiliser pour manifester son désaccord.

Non à la loi renseignement

A propos Vincent Verschoore

Animateur de Ze Rhubarbe Blog depuis 2008.

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