L’avènement du roi Salmane d’Arabie saoudite en janvier 2015, dont il était Ministre de la Défense depuis novembre 2011, s’est conjugué avec les négociations de Genève entre les USA et l’Iran sur le programme nucléaire de ce dernier pour initier un changement potentiellement radical de l’équilibre des forces autour du golfe Persique.
Rééquilibrage que l’absence de Salmane au sommet des nations du golfe, organisé par Obama ces 13 et 14 mai à Camp David, met en exergue: L’Arabie saoudite ne veut pas voir l’Iran, pays essentiellement chiite que le régime wahhabite (une forme du sunnisme) déteste plus que tout, plus encore que les – sunnites – de Daesh & Cie, se libérer des chaines que la communauté internationale lui impose depuis des décennies et devenir, sans doute, la première puissance régionale. Salmane boude, mais cela ne l’empêche pas d’exprimer sa colère en bombardant férocement le soulèvement chiite houthistes au Yémen, avec le constat habituel suite à ce genre de manœuvres: les insurgés se portent bien mais le pays est en ruines et c’est la population qui prend les coups.
Ce qui rend d’autant plus dramatiquement hilarante la déclaration de cet imbécile de Laurent Fabius lors de sa – troisième en deux ans – visite à Ryad en avril dernier: “Il n’est pas acceptable que le pouvoir légitime (du Yémen) soit destitué“. Ah bon? Et la Syrie? Et en Libye alors, qui a destitué le pouvoir légitime, et fait sombrer le pays dans le chaos – dont l’actuelle vague migratoire mortelle en est le résultat direct? Mais bon, de cela on s’en fou à Paris comme à Ryad, l’important c’est le trafic d’influence et le trafic d’armes que laisse entrevoir à la France l’accès à une partie du fauteuil de “meilleur ami d’occident” que les USA délaissent actuellement quelque peu, par fatigue sans doute mais surtout parce que le pétrole arabe les intéresse nettement moins qu’avant (effet direct du fracking US qui tourne à plein rendement), et que l’Iran est un partenaire économique et stratégique bien plus intéressant, à long terme, que les monarchies du golfe, qui n’existent que par la puissance financière et stratégique que leur confère la chance d’être nés le cul sur un puits de pétrole.
Pour situer ce rapport de forces, quelques éléments: en termes de population, l’Iran est comparable à l’Allemagne (plus de 77 millions d’habitants) alors que l’Arabie saoudite est plutôt comparable à la Roumanie (à peine 29 millions). Les principautés du golfe ont de faibles populations nationales, même si elles emploient de nombreux étrangers. L’Iran a un PIB (2013) de 369 milliards de dollars US, contre un PIB pour l’Arabie saoudite de près du double (748 milliards) pour des raisons évidentes (pétrole arabe et sanctions contre l’Iran), mais l’Iran pourrait dépasser l’Arabie saoudite si son économie tournait à fond.
Autre problème majeur de la région: Daesh. Officiellement l’Arabie saoudite et l’Iran sont des ennemis déclarés de Daesh, mais dans les faits c’est plus subtile. Salmane voit d’un très mauvais œil l’avancée des milices chiites contre Daesh, comme à Tikrit récemment, car cela pourrait profiter à l’iran et il préférera toujours avoir Daesh à sa porte (sans doute contrôlable par l’argent, et en tout cas de la même lignée religieuse) que l’Iran ou ses proxy, ennemis éternels. Ryad a également apporté son soutien aux rebelles du Nord de la Syrie, rebelles dont fait partie Jabhat-al Nusra, ex-Al Quaeda en Syrie… alors qu’évidement l’Iran supporte le régime d’Assad.
La France, à force de se tirer des balles dans le pied, ne sait plus qui elle supporte et finalement elle s’en fou, elle vendra ses Rafales à qui veut bien les lui acheter. Ah si, elle supporte l’Arabie saoudite, donc Al Quaeda et implicitement Daesh, du moins en Irak. Ah ben non, pas Al Quaeda ni Daesh… Assad alors? Ah ben non plus, après tout ce qu’on a dit sur lui… L’Iran? Ben on peut pas vu qu’on supporte l’Arabie saoudite…
Imaginons un scénario un peu optimiste, pour une fois: la transition énergétique commencerait à porter quelques fruits et la demande en pétrole, donc probablement son cours, resterait relativement faible, limitant la croissance et la puissance de l’Arabie saoudite et des principautés – même si certaines investissent déjà massivement dans l’après-pétrole, vers la finance et le tourisme de luxe notamment – activités qui se marient mal avec la guerre. Daesh se stabiliserait dans ses frontières actuelles et imploserait sans doute rapidement après avoir massacré toute la population locale encore capable de travailler. Un accord durable serait trouvé avec l’Iran sur le nucléaire et ce pays, économiquement sinon politiquement libéré, deviendrait un contre-poids chiite au monde sunnite sur l’autre rive du golfe persique. Voir un partenaire économique. Et les guerres entre eux se feraient à coups de rachats de clubs de foot prestigieux.
J’étais visiblement un brin optimiste. ..