Popularisé par le cosmologiste Fred Holye au cours d’une émission radio en 1949 où il ridiculisait l’idée que l’univers aurait pu jaillir à partir de rien, le terme de “Big Bang” décrit un hypothétique commencement de l’univers à partir d’une singularité nue (non cachée au coeur d’un trou noir), autrement dit un point de densité infinie hors du champ de la physique telle que nous la connaissons. Et qui n’a, par ailleurs, jamais été observé directement. Ce point, pour une raison et par un mécanisme inconnus, aurait explosé pour donner naissance à notre univers voici à peu près 13,7 milliards d’années.
L’incompatibilité notoire entre ce modèle de base et la réalité observée a obligé les cosmologistes à imaginer les concepts d’inflation cosmique puis de matière noire pour maintenir la cohérence du système, mais plus grave encore est la question de l’origine de l’étincelle ayant mis le feu aux poudres, étincelle devant en l’occurrence exister hors du temps et de l’espace – du moins de notre temps et de notre espace – vu que cet espace-temps a été créé à partir de l’étincelle en question.
Problème épineux ramenant toujours à une sorte de supernaturalité honnie par les scientifiques, et donc d’autres étages théoriques se sont développés afin de tenter de contourner ce problème de genèse universelle, cherchant à intercaler le Big Bang dans le contexte d’un méta-univers éternel. Les trois principaux modèles sont le modèle d’inflation cosmique éternelle, qui engendre une infinité de nouveaux univers; le modèle de l’oeuf cosmique qui propose que l’univers étant auparavant contenu dans une singularité gravitationnelle, singularité qui s’est fendue pour une raison ou une autre, et a ouvert la porte à une expansion de cet oeuf originel en l’univers que nous observons. Et un troisième modèle qui est celui de l’univers cyclique et ses dérivés, un va-et-vient éternel entre Big Bang et Big Crunch où tout est à nouveau recompressé et repart pour un nouveau cycle.
La question de la genèse fut ainsi plus ou moins enterrée jusqu’en 2012, où lors d’une grande conférence organisée pour le 70ème anniversaire de Stephen Hawking (dont je ne peux que chaudement vous recommander le film biographique Une merveilleuse histoire du temps, sorti début 2015), deux propositions sont venues troubler le status quo.
D’une part, et contrairement à un pari tenu par ce même Hawking en 1997 contre ses confrères John Preskill et Kip Thorne comme quoi une singularité nue (telle celle supposément à l’origine du Big Bang) ne pouvait pas exister, il s’avère qu’il serait fort possible non seulement qu’une telle chose existât, et qu’elle soit même relativement commune – du moins si on accepte l’idée d’une cinquième dimension requise par la théorie de cordes, sur laquelle s’appuie cette démonstration.
Luis Lehner et Franz Pretorius, respectivement du Perimeter Institute de Ontario au Canada et de l’Université de Princeton aux USA, ont ainsi démontré qu’un trou noir étendu dans une 5ème dimension devenait une “corde noire” qui, à la façon d’un robinet qui goutte, génère continuellement de nouvelles “gouttes noires”, cad des nouveaux trous noirs en devenir mais dont le rayon, au moment de leur détachement de la corde noire, est nul et donc leur densité infinie et non contenue par un horizon – c’est donc une singularité nue. Il faudrait alors arriver à expliquer, en termes de physique, ce qui se passe dans et à proximité d’une telle singularité.
D’autre part, et peut être de manière encore plus fondamentale, le cosmologiste Alexander Vilenkin de l’Université Tufts à Boston, USA, a proposé la démonstration que tous ces univers a priori éternels ne pouvaient pas ne pas avoir eu un commencement.
Dans le cadre du modèle d’inflation cosmique éternelle, il démontre que ce n’est pas compatible avec la constante de Hubble, qui décrit mathématiquement l’expansion – constatée – de l’univers (1). Il s’en prend ensuite au modèle cyclique, démontrant sur base de la seconde loi de la thermodynamique que si l’entropie croît à chaque cycle du système et que ce dernier est éternel, nous devrions nous trouver dans un univers d’entropie maximale – mort et uniforme – ce qui n’est pas le cas. On peut essayer d’esquiver cette démonstration en disant que l’univers grossi à chaque cycle, le niveau d’entropie par unité de volume restant stable (vu que le volume augmente), mais on retombe alors dans le cas précédant: si l’univers grossi, c’est qu’il a commencé plus petit, et donc qu’il a commencé tout court.
Reste l’oeuf cosmique, dont Vilenkin se débarrasse en démontrant qu’une telle structure ne pourrait pas exister indéfiniment, les instabilités quantiques l’obligeant à tomber sur lui-même après un temps fini (2). Et si l’oeuf avait craqué avant de s’effondrer, donnant lieu au Big Bang, alors cet événement aurait du avoir lieu avant l’effondrement, donc dans un temps également fini, donc avec un commencement. CQFD.
Retour à la case départ: qu’est ce qui a pu initier un tel commencement? De quoi faire réfléchir scientifiques et philosophes pour un certain temps, que l’on espère fini lui aussi…
1) Physical Review Letters, DOI: 10.1103/physrevlett.90.151301