Au-delà de la monnaie locale

Se tenait à Boulogne-sur-Mer, le 12 juin dernier, la première rencontre régionale “Collectivités locales et monnaies complémentaires”. Organisée par la Communauté d’Agglo du Boulonnais (CAB) et l’APES, avec Patrick Viveret en qualité de “speaker”, la rencontre visait avant tout à la présentation du concept à des élus et représentants des collectivités.

J’étais heureux de rencontrer Patrick Viveret à nouveau, ayant organisé avec lui une conférence à Cluny en octobre 2009 sur le thème de “Reconsidérer la richesse”, dont un compte-rendu existe sur ce blog. Conférence ayant contribué à ma recherche pour l’étude réalisée quelques mois plus tard, “Pour une monnaie locale en Sud-Bourgogne“. Cet intérêt pour le concept de monnaie locale m’incita également à participer au groupe de travail pour la création de la monnaie locale Bou’Sol, lancée à Boulogne-sur-Mer en mai 2013.

Voilà pour le contexte personnel. Qu’avait à dire Patrick Viveret sur ce sujet, cinq ans plus tard? D’abord un rappel que l’économie est à la base un développement de la société humaine à visée pacificatrice: par opposition au domaines politiques, culturels et religieux qui sacralisent le “nous” par rapport aux “autres” et qui sont de ce fait de nature belliqueuse, l’économie existe pour permettre des échanges entre groupes/peuples/nations différentes de manière mutuellement bénéfique et comptabilisée (ce qui permet à chacun de garder un historique des échanges), et ainsi contribuer à un modus vivendi pacifié.

Cela, du moins, tant que l’économie elle-même ne devient pas une institution prédatrice, dont l’argent n’est plus simplement un moyen de compter et de transférer de la valeur, mais devient une valeur en soi – qui plus est a caractère essentiellement spéculatif. Il est bien connu que la monnaie dédiée à l’économie réelle, celle des biens et services, ne fait que 3% de la masse monétaire globale, les 97% restant n’étant qu’outil spéculatif – avec les dangers que l’on sait. Aristote, en son temps, mettait déjà en garde contre cette perversion qu’il nommait chrématistique.

Nous sommes aujourd’hui, très clairement, dans un monde où l’économie a perdu son rôle pacificateur au profit d’élites prédatrices, et la question est donc de comment reconquérir le pouvoir sur l’économie au profit du plus grand nombre.

Un outil important pour ce faire est l’accès à une monnaie non-spéculative associée à un marché captif “vertueux”, cad réalisant des échanges bénéfiques pour tous. Plutôt que de monnaies locales, Patrick Viveret préfère ici le terme de “monnaie citoyenne territoriale”, la définition de “territoire” étant fonction du projet.

Il peut être local voir très local comme pour Bou’Sol, ou à une échelle globale s’il vise par exemple à faciliter les échanges internationaux.

Le terme “citoyen” revêt également une importance du fait qu’il est très plausible qu’une monnaie locale ne devienne qu’un instrument de pouvoir de plus au profit de systèmes politiques locaux.

Ce qui n’empêche en rien la participation desdits pouvoirs locaux dans la création et/ou la gestion de telles monnaies, mais impérativement sous contrôle d’une institution non politicienne et non commerciale.

Ensuite, Patrick Viveret précise qu’une perspective de développement économique par et pour les citoyens ne peut se limiter à l’instauration d’une monnaie locale. Il s’agit de combiner cet outil avec d’autres tels des réseaux d’échanges de savoirs, des banques de temps, des systèmes d’échanges locaux (SEL).

Une banque de temps permet l’échange de services sans monnaie, sur une base d’échange de temps. Le développement, même limité, de ce type de systèmes alternatifs permettra, le jour ou le système officiel s’écroulera (comme il l’a fait en Grèce), de reconstruire une économie sur ces nouvelles bases.

Les réseaux privilégiant les circuits courts, tels les Ruches, participent à la même dynamique: créer de la résilience et de l’activité soutenable.

Un vaste chantier d’éducation populaire. Et pour la perspective historique, ce web documentaire sur les 1150 ans de la monnaie de Paris où l’on voit que les monnaies complémentaires ne datent pas d’hier.

A propos Vincent Verschoore

Animateur de Ze Rhubarbe Blog depuis 2008.

2 réponses

  1. paultre

    Patrick Viveret dont je connais les ouvrages, a raison
    Il n’y a pas une solution pour arrêter les dérives du système financier, mais des solutions qui ne peuvent se développer que progressivement.
    Mais en attendant la catastrophe financière nous guette, il faut donc prévoir des solutions d’urgence c’est plus difficile à imaginer

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