Onfray, le philosophe qui jeta un froid

onfray1J’avoue avoir suivi avec une certaine jubilation la polémique à tiroirs issue du récent entretien du philosophe Michel Onfray sur LCI le 9 septembre et repris par le Point(1), puis dans le Figaro sous le titre: “Michel Onfray: On criminalise la moindre interrogation sur les migrants” (2). Entretien qui fut suivi trois jours plus tard d’une “analyse de texte” de Laurent Joffrin dans Libération, intitulée “En réponse à Michel Onfray”, où Mr Joffrin l’accuse d’un “simplisme polémique inquiétant, un ralliement indirect aux obsédés de l’identité” (3).

Réponse à laquelle Mr Onfray répondit, supposément sans l’avoir lue, via un article publié dans le Monde le 19 septembre, soit cinq jours après les remontrances de Mr Joffrin. Article intitulé “Marine, si tu m’entends…”, clin d’oeil appuyé aux accusations de Libération quant à son supposé rapprochement avec les idées du FN (4). Le soir même Mr Onfray apparaissait sur le programme ONPC où il se débat avec les chroniqueurs Yann Moix et Léa Salamé (5). Mr Joffin ré-attaque dès le lendemain par un nouvel article, cette fois intitulé “Onfray, la pente glissante du souverainisme”(6).

Chacun sachant lire je ne me lancerai certainement pas dans un énième commentaire des propos de Michel Onfray, dont par ailleurs j’écoute de temps en temps les excellentes chroniques philosophiques réalisées à l’Université Populaire de Caen. Mais cette petite polémique illustre très bien le problème de la posture: les entités qui agissent sur le monde politico-médiatique entretiennent des postures à partir desquelles elles s’approprient, rejettent, commentent, critiquent ou encensent les événements qui passent sur leurs radars. Ce dans un but utilitaire, que ce soit la chasse au vote, au lecteur ou au téléspectateur.

Mais quelle est la posture d’un philosophe reconnu tel Michel Onfray, et quel en est l’utilité? Le Monde du 19 septembre propose, sous la plume de Nicolas Truong, un intéressant article intitulé “Des intellectuels à la dérive?” (7). Il pointe très justement “la transformation de la vie intellectuelle par la métamorphose du champ médiatique. Avec pour conséquence une simplification du débat public…” engendrant le triomphe du modèle des “grandes gueules”. Obligeant ainsi un Michel Onfray à revêtir l’armure du “bateleur médiatique”. Et Truong d’ajouter: “L’une des conséquences de ce chambardement est la transformation par les médias de certains « intellos » en marque de fabrique, en petite entreprise polémique. Or, une marque, ça se démarque. Et puisque la distinction est aujourd’hui davantage du côté viriliste et autoritaire que du côté libéral et libertaire, il est logique que la transgression se fasse plutôt du côté de la décomplexion droitière. Or, Michel Onfray continue de se réclamer du « socialisme libertaire ». Et c’est pourquoi la querelle prend un tour plus grave et singulier”.

Grave et singulier du fait que Michel Onfray a un palmarès inattaquable, et que sa supposée glissade vers une droite réac et populiste demande explication. Mais rien ne peut l’expliquer, vu que Onfray n’est certainement pas en mal de médiatisation et n’a pas besoin d’aller braconner sur les terres de Zemmour & Cie pour avoir droit à la parole. Serait-il simplement victime de la très commerciale et manipulatrice soif de polémique des médias? Son blindage n’est sans doute pas parfait, mais quand même, le bonhomme n’est plus un pied-tendre.

Il est sans doute plus simple de voir en cette polémique les effets d’attraction et de répulsion des postures. Tout élément de discours attire l’image médiatique de son auteur vers la zone d’attraction de la posture la plus sémantiquement proche de cet élément: émettre un doute sur les motivations du photographe du petit Aylan vous envoie dans la zone d’attraction “complotiste”, poser la question de la souveraineté nationale vous pousse dans la zone d’attraction du FN, déclarer son refus de voter et son dédain pour la classe politique vous attire dans la zone d’attraction de l’anarchie irresponsable. Tout cela en même temps. Et tout devient donc illisible et récupérable par n’importe qui, telle Marine le Pen se félicitant du soutien d’Onfray alors que celui-ci se définit comme socialiste libertaire…

C’est cela la “criminalisation des interrogations”: poser une question n’est plus la recherche, sinon d’une réponse au moins d’un débat constructif, mais une déclaration de guerre à la faction de l’establishment politico-médiatique pour laquelle cette question est “politiquement incorrecte”. Ce qui rend à peu près impossible tout débat ailleurs que dans l’entre-soi, où ce n’est plus vraiment un débat. Situation résumée par l’intéressé dans cet extrait de l’entretien au Figaro: “Il faut des bons mots, des petites phrases, des images chocs avec lesquelles on retient bien plus volontiers son public qu’avec une longue analyse fine, précise, argumentée, savante. Un clou chassant l’autre, ce qui est majeur un jour cesse de l’être le lendemain. La religion de l’instant présent dans laquelle communient les médias exige qu’on renvoie l’histoire à la poubelle.”

Et comme le disait cet autre philosophe qu’était Karl Marx, “Celui qui ne connaît pas l’histoire est condamné à la revivre.”

 

Notes

(1) http://www.lepoint.fr/culture/migrants-onfray-en-france-il-est-interdit-de-penser-la-question-migratoire-09-09-2015-1963247_3.php

(2) http://www.lefigaro.fr/vox/societe/2015/09/10/31003-20150910ARTFIG00382-michel-onfray-on-criminalise-la-moindre-interrogation-sur-les-migrants.php

(3) http://www.liberation.fr/politiques/2015/09/14/en-reponse-a-michel-onfray_1382098

(4) http://www.lemonde.fr/idees/article/2015/09/19/marine-si-tu-m-entends-par-michel-onfray_4763555_3232.html

(5)

(6) http://www.liberation.fr/politiques/2015/09/20/onfray-la-pente-glissante-du-souverainisme_1386697

(7) http://www.lemonde.fr/idees/article/2015/09/19/des-intellectuels-a-la-derive_4763552_3232.html

 

 

A propos Vincent Verschoore

Animateur de Ze Rhubarbe Blog depuis 2008.

4 réponses

  1. Onfray qui se distingue encore une fois, après les attentats de Charlie. Par contre il faudrait qu’il révise son histoire puisque les attentats islamistes en France n’ont pas commencé à l’époque de Bush fils, mais bien avant.

Laisser un commentaire

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.