Le parti Les Républicain (LR) français et le Republican Party américain sont tous deux actuellement en pleine bataille des primaires en vue des prochaines élections présidentielles, américaine en novembre 2016 et française en 2017. Un bon moment pour se rendre compte de ce qui “marche” politiquement dans la course au pouvoir suprême.
L’élément le plus frappant, d’emblée, est la course à l’extrémisme nationaliste qui met en avant les bateleurs les plus populistes au détriment de ceux ou celles qui espèrent encore tenir le centre. Le bipartisme américain fait que l’extrême-droite est de facto intégrée au GOP (pour “Grand Old Party”, le surnom donné au parti “Republican” depuis plus d’un siècle) sous la faction dite du Tea Party, dont une des figures les plus connues est Sarah Palin. Le FN est au LR ce que le Tea Party est au GOP, hors le fait que Marine le Pen ne participe pas à la primaire LR. Sarah Palin ne faisant pas non plus partie des candidats à la primaire du GOP, ces deux emblèmes féminins d’un nationalisme exacerbé laissent pas mal de place aux autres candidats pour aller braconner sur leurs terres. Et ils ne s’en privent pas.
Les deux figures de proues les plus bruyantes de par et d’autre de la statue de la Liberté, célébrant une droitisation à l’extrême, sont bien évidement Nicolas Sarkozy ici et Donald Trump là-bas. La stratégie électorale commune à ces deux campagnes est la récupération du vote d’une importante minorité de gens en recherche de réponses simples face à un monde perçu comme trop complexe et dangereux. Il y a une demande, de part et d’autre de l’Atlantique, pour des positions en apparence claires et viriles, ce qui explique notamment la grande popularité du “style Poutine”. On sait à quel point le FN est fan de Poutine, mais malgré une longue histoire d’inimité entre l’ours russe et l’aigle américain, un sondage de décembre 2014 relevait que Vladimir Poutine est n° 10 sur la liste des hommes et femmes les plus admirés aux Etats-Unis! (1)
C’est dire si l’attrait pour “l’homme fort”, fut-il un autocrate décomplexé, et tout sauf négligeable. Et que les actuelles figures de proue des droites tout aussi décomplexées, en l’occurrence Sarkozy et Trump, ne ménagent pas leurs efforts pour lancer leurs filets sur ces bancs de sympathisants potentiels. L’art de l’exercice étant de faire du Poutine sans trop faire référence au modèle lui-même.
Il est évident que les personnages de Trump et de Sarkozy n’ont pas grand chose en commun: le premier est un riche magnat de l’immobilier qui s’est lancé dans la politique sur ses fonds propres, sur une plateforme indépendante avant de se faire récupérer par le GOP pour les primaires – ledit GOP étant sur de perdre aux présidentielles s’il avait à se battre contre les Démocrates et contre Trump en même temps.
Si Trump a une qualité, c’est une forme de candeur lui permettant de révéler au public, par exemple, la réalité du contrôle des politiciens par leurs financeurs, ayant lui-même financé de nombreux politiciens dont il s’est servi quant il en avait besoin. Il ose également dire tout le mal qu’il pense de l’invasion en Irak et de la responsabilité des USA dans le bourbier moyen-oriental, en parfait contraste avec, notamment, Jeb Bush qui dit que si c’était à refaire il ferait pareil que son frérot, même en sachant que tout le dossier était bidonné par la CIA. Cette candeur, mélangée à une xénophobie non dissimulée et un nationalisme à la Reagan dans un package où le politiquement correct en prend pour son grade, a propulsé Trump en tête des intentions de vote de la primaire (2), même si à ce stade cela ne veut en réalité pas dire grand chose. Nous sommes plus dans le registre du pur spectacle que du choix politique.
Le second, vous le connaissez au moins aussi bien que moi donc je ne m’étendrai pas dessus, mais il est à l’opposé de Trump: politicien professionnel avec beaucoup de sang sur les mains et de casseroles au cul, Sarkozy est tout sauf candide. Il n’existe que du fait de sa maîtrise de la manœuvre politicienne, étant solidement installé à la tête de son parti plutôt qu’un outsider comme Trump. Sauf lapsus genre “la France a toujours été du côté des dictateurs”, Sarkozy ne fait pas rire.
Une fois ces introductions faites, dans quelle mesure peut-on réellement comparer, en termes politiques, un Trump ou un Sarkozy à Poutine? Définissons d’abord la chose poutinesque. On trouve de nombreux articles et livres sur le personnage, celui du Point (3) cite l’ancien diplomatie et écrivain russe Vladimir Fédorowsky qui en dit ceci:
” L’homme est incontestablement courageux et audacieux. Il ne recule ni devant les difficultés ni devant l’adversité. Il ne déteste pas la brutalité et a toujours su enflammer l’âme russe longtemps enfouie sous le communisme et la dérive du système soviétique. Il a fait du nationalisme une arme politique et économique, mais surtout un ferment d’union nationale… Économiquement, il a fait subir un traitement de choc à son pays, sabrant dans les retraites, construisant de grands consortiums sur les débris des méga-usines du communisme. Poutine a imposé un capitalisme à marche forcée à son peuple. Il a également tenté – sans succès pour le moment – de sortir la Russie de sa dépendance aux exportations gazières et pétrolières.”
Ce à quoi il faut ajouter une politique étrangère très démarquée de celle conduite par les USA et la France: allié de Bachar el-Assad dans le conflit syrien, et en directe opposition sur la question de l’Ukraine.
Un récent article du Washington Post pose clairement la question: “Donald Trump est-il un Poutine américain?” (4). L’article début ainsi:
“Il promet de restaurer la grandeur de son pays, sans proposer de plan spécifique. Il utilise des expressions grossières et vulgaires qui le font passer pour un type normal, alors qu’il est milliardaire. C’est un narcissique en grande besoin du projecteur médiatique. Et malgré tout, il est très populaire. De qui est-ce que je parle? De Vladimir Poutine bien sûr. Mais le parallèle avec un certain politicien américain surnommé ‘Le Donald’ est évident.”
Mais au-delà de ce parallèle, autant Poutine s’est construit au sein d’une Russie détruite en l’incitant à retrouver sa grandeur passée au travers d’un nationalisme augmenté de nostalgie tsariste, autant Trump n’a pas grand chose entre les mains: les purs démagogues ne font pas long feu en politique américaine, le pays ne va pas si mal économiquement parlant, et il reste la première puissance militaire mondiale même si Trump insiste sur le fait qu’il perd toutes ses guerres et “qu’il faut faire quelque chose”. Cela dit, il serait aussi naïf de croire que Trump n’est qu’une perte de temps, un petit méandre comique du fleuve politique de la nation. Comme le disait récemment Frank Rich dans le New York Magasine (5):
“Son monopole inattendu au centre de la scène pourrait être ce qui nous est arrivé de mieux depuis l’élection de Barack Obama. Depuis ce moment récent où Trump a posé sa candidature, il a rendu un service au public en exposant, même de manière grossière et parfois involontaire, les gesticulations des Républicains et des Démocrates ainsi que la bêtise et l’obsolescence d’une grande partie de leur culture politique commune. Il se moque du processus politique avec son attitude d’éléphant dans un magasin de porcelaine. Mais en ce qui nous concerne la moquerie n’a que trop tardé, elle est bien méritée, et pourrait être un aiguillon vers une possible réforme plutôt que le crime envers l’ordre civique dénoncé par ceux qu’il scandalise.”
Trump jouerait, en fait, le rôle traditionnel – mais involontaire -du bouffon. Il est en cela réminiscent du comique américain Pat Paulsen, qui fut candidat à la présidence américaine de manière intermittente entre 1968 et les années 90, dans le but d’attirer l’attention sur l’absurdité du jeu politicien. Frank Rich rajoute, toujours dans le même article, parlant de Trump:
“Son passeport vers le firmament politique est son étrange ressemblance à l’archétype du comique de fiction, élément de base de la cinématographie américaine depuis que le Vietnam et Watergate introduisirent, voici 40 ans, une profonde désillusion du public à l’égard de Washington.”
Si Trump nous ramène à un archétype comique, il est clair que Poutine nous ramènerait plutôt à celui de l’espion qui venait du froid. On est pas dans le même registre.
Sarkozy, à l’instar de Trump et de Poutine, est également capable d’utiliser un phrasé “populaire” pour essayer de se faire passer pour un “brave type” mais la comparaison s’arrête là. L’équivalent français à Pat Paulsen est évidemment Coluche, candidat à la présidence en 1981. Supposément une blague avec le slogan “Jusqu’à présent la France est coupée en deux, avec moi elle sera pliée en quatre !” (6), ses 15% d’intention de vote firent réagir l’establishment français au travers d’une fouille dans son passé à la recherche de petits délits pouvant être montés en épingle, de menaces de mort et autres turpitudes. A l’instar d’un Pat Paulsen qui, étant arrivé 2ème derrière Bill Clinton lors de la primaire du New Hampshire, fut empêché de continuer sa campagne par un juge californien au motif que la course à la présidence n’était pas une farce. Nul doute qu’un “fâcheux accident” lui serait arrivé s’il avait persisté… Et que si j’étais un Donald Trump réalisant un bon score à la primaire du New Hampshire en mars prochain, j’investirais dans les gilets pare-balles et je changerais de voiture à chaque déplacement. Pour le juge ce ne sera pas un problème, aux USA tout s’achète.
Et notre Sarko la-dedans? Le comparer à Poutine porte à sourire, un peu comme comparer un caniche avec un ours polaire, même si le caniche peut aussi faire mal (demandez au Libyens). Autant Trump est un révélateur de l’hypocrisie politicienne, autant Sarkozy est l’incarnation de l’hypocrisie politicienne. Ce qui rendrait Trump dangereux pour Sarkozy si trop de parallèles s’établissaient entre les deux campagnes.
Sur le même sujet: Un éléphant ça Trump énormément!
Notes
(2) http://2016.republican-candidates.org/?sort=alphabetically&sex=&other=
(3) http://www.lepoint.fr/monde/mais-qui-est-vraiment-vladimir-poutine-28-04-2014-1816745_24.php
(5) http://nymag.com/daily/intelligencer/2015/09/frank-rich-in-praise-of-donald-trump.html
(6)