Révélations sur la politique US d’assassinat par drones.

4-uav-control-roomEn mai 2013 un employé révolté du Pentagone transmettait un important volume de documents secrets au journal The Intercept, documents relatif à la politique d’assassinat menée par le gouvernement américain entre 2011 et 2013, et toujours en vigueur à ce jour. Hier, le 15 octobre 2015, The Intercept publiait une analyse en plusieurs chapitre de ces documents, sous le titre The Drone Papers (1).

Officiellement, la politique d’assassinat par drones interposés, en-dehors du territoire américain, est soumise à la règle générale selon laquelle “les USA ne conduisent d’actions létales en dehors de zone hostiles actives que si la cible représente une menace imminente et continuelle envers des américains”, sans préciser quel processus est utilisé pour déterminer si tel ou tel suspect doit être tué sans inculpation ni jugement.

La réalité est bien entendu très différente, l’assassinat à distance étant devenu l’enjeu d’une compétition entre les deux entités meurtrières que sont la CIA et le JSOC, Joint Special Operations Command ou Commandement inter-armes des opérations spéciales. A l’époque ainsi documentée, La CIA opérait essentiellement sur le théâtre afghan et les militaires au Yémen et en Somalie. Les services secrets et les militaires se disputent la domination de cette “drone de guerre” d’où une inflation du nombre de suspects, du nombre d’assassinats de ces suspects, et du nombre d’innocents tués du fait de la faible qualité des informations guidant l’œil meurtrier du drone.

Dans le jargon du métier, un suspect tué est nommé JP (jackpot), un tué qui n’était pas en fait le suspect est nommé EKIA (ennemi killed in action). Selon un document fourni par le lanceur d’alerte (dont The Intercept garanti l’anonymat) sur la période de mai à septembre 2012, relatif à une campagne dans le Nord-Est de l’Afghanistan, le ratio JP/EKIA était de 19 à 155. A peine 11% des tués étaient effectivement ciblés.

Barack Obama, suite à sa prise de pouvoir effectif en janvier 2009, fut conseillé par le chef de la CIA sortant Michael Hayden et John Brennan, son nouveau chef de l’anti-terrorisme. Constat: la débâcle de l’armée US en Afghanistan et en Irak démontrait que seule l’action furtive (covert action) permettait de mener une lutte efficace contre le terrorisme anti-américain. La chaîne de décision et les obstacles administratifs et légaux pouvant entraver une telle campagne d’assassinat furent levés. Des attaques de drones avaient lieu en Afghanistan depuis le début de l’intervention américaine, mais en 2009 cette stratégie allait devenir centrale. En décembre de la même année, deux mois après avoir reçu le Prix Nobel de la Paix, Obama ordonnait la première attaque furtive contre le Yémen depuis 2002, par le biais d’un missile de croisière. Plus de 40 tués, la plupart des femmes et enfants. En 2012, le Yémen subissait une attaque de drone tous les six jours. Le décompte des tués par drone en date d’août 2015 est de l’ordre de 500, pour 178 sorties.

Hors la problématique morale et légale d’une telle campagne d’assassinat, se pose  la question de son efficacité et de son effet sur la qualité du renseignement. La première est à peu près impossible à évaluer vu que l’on ne peut savoir ce que les cibles tuées auraient effectivement fait si elles ne l’avaient pas été. Pour la seconde par contre, de l’aveu même des militaires américain – tel que le dévoile les documents secrets révélés à The Intercept – le fait de systématiquement tuer les cibles enlève la possibilité d’en obtenir des informations, faisant que la qualité d’information utilisée pour définir les cibles est de mauvaise qualité. Ce qui fait logiquement penser que l’efficacité de ce mode d’action est en fait très faible, et son seul réel impact reste le fait de terroriser les populations survolées par ces oiseaux de mort arbitraire, nourrissant d’autant plus la haine et le désir de vengeance.

La capacité de la CIA et des militaires à se faire plaisir à jouer à ces jeux vidéos où seul l’ennemi peut mourir, sans impact réel sur les vrais problèmes, sans moralité et hors cadre légal, illustre la dégénérescence sociopathe des “élites”, des chaines de commandement et des services secrets dont ce blog a déjà fait la critique.

Heureusement il existe encore des lanceurs d’alertes, révoltés par l’inacceptabilité des actes de leurs employeurs, qui fissurent ici et là la carapace du monstre financé par le public au nom de sa “sécurité”. Gloire à eux.

(1) https://theintercept.com/drone-papers

A propos Vincent Verschoore

Animateur de Ze Rhubarbe Blog depuis 2008.

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