Monsieur le Président, je ne suis pas d’accord

Pas d’accord avec plusieurs éléments de votre discours, avec vos propositions, avec votre engouement pour la marche forcée vers le nihilisme politique du tout sécuritaire. Comme après le 7 janvier, vous utilisez un choc émotionnel majeur pour faire avancer vos pions, au profit d’une gouvernance autoritaire qu’il deviendra bientôt illégal de critiquer.

Reprenons votre discours d’hier devant le Congrès (1).

Ils sont le fait d’une armée djihadiste, le groupe Daech qui nous combat parce que la France est un pays de liberté, parce que nous sommes la patrie des Droits de l’Homme. 

Si vous étiez honnête, vous diriez que Daech nous combat car vous, après avoir participé à leur fondation, les attaquez continuellement depuis quatre ans, et en Syrie en particulier depuis fin septembre. Quand je dis “vous”, j’entend ce que vous représentez: une classe politique ignorante, corrompue, inepte et par-dessus tout d’une insondable hypocrisie.

Si vous n’étiez pas aussi enfermé dans votre monde virtuel, vous sauriez que cela fait un bail que le monde n’adhère plus à l’illusion de la France comme modèle humaniste. A sa gastronomie, à un certain art de vivre sans doute, mais vous avez vous-même grandement participé à la perte de toute crédibilité “droit de l’hommiste” en invitant vos amis dictateurs lors de la marche “républicaine” du 11 janvier.

Vos hésitations (je suis poli) face au drame des réfugiés qui n’est que la conséquence directe de vos actions délétères au Moyen-Orient, votre utilisation abusive de la force policière à Calais face à des gens qui ne cherchent qu’a retrouver une vie digne, votre coopération au travers des accords du Touquet avec une Angleterre lâche et arrogante refusant d’assumer ses propres responsabilités, et votre volonté de réduire nos libertés – de mouvement, d’expression, de recours face aux abus policiers dont vous nous menacez avec l’état d’urgence et son redoutable “après” – enterrent toute possible crédibilité de votre façade de chevalier blanc. Don Quichotte ferait un bien meilleur parallèle, au risque que Cervantès ne se retourne dans sa tombe.

Notre démocratie a triomphé d’adversaires bien plus redoutables, en vérité, que ces lâches assassins. Notre République n’est pas à la portée de méprisables tueurs. 

Vous avez raison. La question qui se pose est plutôt: vous survivra t’elle?

Face aux actes de guerre qui ont été commis sur notre sol – et qui viennent après les attentats du 7, 8 et 9 janvier,  et tant d’autres crimes commis ces dernières années au nom de cette même idéologie djihadiste –  nous devons être impitoyables.

Certes. A l’image des djihadistes eux-même. C’est bien ce qui m’inquiète…

Mais nous devons aller au-delà de l’urgence. 

Et j’ai beaucoup réfléchi à cette question. J’estime en conscience que nous devons faire évoluer notre Constitution pour permettre aux pouvoirs publics d’agir, conformément à l’état de droit, contre le terrorisme de guerre. 

C’est quoi, précisément, le terrorisme de guerre et en quoi diffère t’il du terrorisme en général? Si le terrorisme de guerre est, comme vous semblez le penser, l’attaque structurée d’un pays par une entité externe sans passer par le formalisme traditionnel de la déclaration de guerre, quelle différence avec les invasions occidentales en Afghanistan et en Irak, l’assaut mené par la France contre la Libye, et les bombardements en cours en Syrie où seuls les Russes ont été invités à participer par ce qui reste, malgré vous, le pouvoir légitime syrien?

Il s’agit de pouvoir disposer d’un outil approprié pour fonder la prise de mesures exceptionnelles pour une certaine durée, sans recourir à l’état de siège et sans compromettre l’exercice des libertés publiques. 

Bien sûr vous y mettez les formes. Mais il reste que des mesures exceptionnelles sans limitation automatique et définitive de durée ni de portée sont le ferment de la dictature. Selon le bon vieux proverbe jamais démenti que “le pouvoir corrompt, et le pouvoir absolu corrompt absolument”, la classe politique française, sa police et ses ancrages médiatiques auront tôt fait de transformer le pays en parfaite république bananière.

La liberté d’expression que vous glorifiez en janvier dans une hypocrisie orgasmique, n’est qu’une belle illusion: la peur de déplaire aux institutions comme aux sectes communautaristes, la peur d’être politiquement incorrect, d’être accusé par vos chiens de garde d’antisémitisme / islamophobie / racisme / complotisme / négationnisme à la moindre critique de fond a tiré sur nous le voile noir de l’autocensure. Si vous désirez aujourd’hui vous donner des moyens supplémentaire de lutte contre la propagation du terrorisme via Internet, il est évident que votre cible est bien plus large que les djihadistes et que ce que vous visez est la censure pure et dure.

Vous devriez vous poser continuellement la question: imiter les terroristes est-il la réponse adéquate au terrorisme?

 

(1) http://www.elysee.fr/declarations/article/discours-du-president-de-la-republique-devant-le-parlement-reuni-en-congres-3/

A propos Vincent Verschoore

Animateur de Ze Rhubarbe Blog depuis 2008.

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