Interdiction des crèches ou comment se tromper d’ennemi

L’affaire des crèches, qui secoue actuellement les mairies de France, regroupe en un symbole plusieurs questions auxquelles ce pays doit faire face: le mal-logement, l’immigration en provenance d’Afrique et du Moyen-Orient, le droit des enfants et la sexualité en milieu rural. Ah oui j’oubliais: la religion et sa place dans un pays laïc. 

Blague à part, ceci est une suite au précédant billet intitulé Laïcité forte, vers une nouvelle religion?

Comme le disait Mr Boursier, le très bon conférencier sur la laïcité que je suis allé écouter hier soir à Cluny, la loi de 1905 séparant l’Eglise de l’Etat se voulait une loi libérale, garantissant le droit des croyants et non-croyants de vivre la spiritualité de leur choix chez eux, tout en garantissant le vivre-ensemble au sein de l’espace public désormais réputé laïc. Cette loi fut peu à peu intégrée par le milieu chrétien français, et aujourd’hui, hors peut-être quelques fanatiques ou pentecôtistes, cette notion de séparation et de respect ne pose plus de question de principe.

Reste que le concept de laïcité a été pas mal bousculé au fil du temps, son cadre si bien adapté à la réalité du début du 20ème siècle étant mis à mal par, d’une part l’émergence massive d’une religion concurrente fondamentalement incompatible avec la laïcité (puisque le Coran est autant un texte de loi civile qu’un texte spirituel interprété au pied de la lettre), et d’autre part une réaction identitaire diffuse au sein de la population “de culture chrétienne” qui dépoussière ses vieux symboles face au rouleau compresseur musulman.

Face aux modifications de la stricte laïcité d’origine décrétées par les législations successives pour accommoder la réalité de la diversité culturelle de la France du 21ème siècle, les tenants d’une laïcité pure et dure, “originelle” pourrait-on dire, se font également entendre. Et l’affaire des crèches en est l’illustration parfaite. Tout comme le fût l’interdiction du voile islamique et a fortiori le port de symboles religieux ostentatoires au sein des établissements scolaires publics, et l’interdiction de la burqa dans l’espace public en général.

L’éviction des crèches de l’espace public, et en particulier des mairies, est indubitablement une application directe de la loi de base séparant les affaires religieuses des affaires de l’Etat. Mais le fait que les crèches montées en mairie posent problème aujourd’hui, plus d’un siècle après la mise en oeuvre de cette loi, pose question: les crèches sont, comme le disait notre conférencier, un phénomène beaucoup plus culturel que cultuel. Tout comme les fêtes de Noël et autres, que selon cette interprétation il faudrait également évincer de l’espace public, on peut se demander si s’attaquer à ces grands symboles du folklore européen sert véritablement le combat contre la menace du religieux. N’est-on pas en train de se tromper d’ennemi et d’abuser du principe de laïcité?

En effet, tous les pays européens font face au problème du retour du religieux, essentiellement du religieux islamique mais pas que. Sans principe de laïcité, donc dans un contexte de religion officielle dominante, catholique ou protestante dans le cas européen, la société accueille en son sein l’expression d’autres religions sans pour autant se sentir obligée de s’en prendre à ses propres symboles folkloriques d’origine religieuse. Aux Pays-Bas, selon une intervenante néerlandaise hier soir, l’école reconnait et honore les dates clés de toutes les religions présente en son sein – ce qui a l’avantage pour les élèves d’un tas d’occasions de faire la fête. Plutôt que viser à l’éradication de tout symbole d’origine religieuse de l’espace public, cette approche-là vise une forme de métissage religieux dans l’espoir, sans doute, de donner moins de prise à la radicalisation.

La laïcité est un superbe principe intellectuel et fut un très efficace outil d’émancipation de la société française du joug catholique, mais son efficacité dans le contexte moderne multi-culturel est très discutable. Soit elle s’applique de manière stricte et on ne tolère plus ni les décorations de Noël dans l’espace public, ni les crèches en mairie, ni les jupes longues ni, évidemment, les repas de substitutions à l’école ou le traitement spécial des femmes musulmanes à l’hôpital ou à la piscine. A titre personnel, autant ce principe me plaît du fait de sa cohérence et de mon peu d’estime pour les religions en général, autant l’impossibilité de sa mise en oeuvre me paraît flagrante. A moins d’une révolution culturelle de type bolchevique ou maoïste, qui de toute manière n’ont fait que remplacer, temporairement, une religion théocratique par une religion politique tout aussi sauvage. Imposer la laïcité comme une nouvelle forme de religion dominante serait, me semble t’il, parfaitement contraire à son esprit originel d’acceptation de toutes les religions à niveau égal.

Soit elle devient une pure arme anti-islamisation visant, autant par la négociation que par la force de la loi quitte à faire certaines concessions, à soumettre les musulmans au principe de laïcité tel qu’il s’applique depuis un siècle à la communauté chrétienne. Ce qui ne pose sans doute pas problème pour la grande majorité des musulmans, qui ne demandent rien d’autre que vivre leur religion tranquillement tant qu’on les laisse s’habiller comme ils l’entendent et que l’on prend en compte leurs interdits de base, notamment le porc à l’école. Cette population-là n’a pas de problème avec Charlie Hebdo (je ne dis pas qu’elle aime), ni avec la loi sur le voile à l’école ou l’interdiction de la burqa.

La grande question, alors, est de savoir si ces concessions mènent effectivement à un meilleur vivre-ensemble, ou au contraire ne sont que des étapes vers une islamisation de la société où de nouvelles revendications viennent sans cesse s’ajouter aux acquis. Ce qui renvoie au scénario du livre “Soumission” de Michel Houellebecq… A cela je n’ai pas de réponse, mais cela vaut le coup de chercher.

Les intégristes, eux, se fichent bien de la laïcité sous toutes ses formes et sont à considérer sous l’angle de la criminalité et de la psychiatrie plutôt que du rapport de la religion avec la société. Au pire, ils sont le symptôme de notre propre déchéance civilisationnelle embourbée dans l’hypocrisie et la corruption, ne leur offrant rien de mieux qu’une porte grande ouverte vers la radicalité nihiliste. Selon la citation que fit notre conférencier, le problème n’est pas la radicalisation de l’islam mais l’islamisation de la radicalité, et de ce fait n’est plus un problème de laïcité.

Si le vrai problème, l’islamisation de la radicalité, sort complètement du cadre de la laïcité, il devient contre-productif de vouloir le traiter en faisant référence à cette dernière et en s’attaquant aujourd’hui au folklore traditionnel même d’origine religieuse.

 

A propos Vincent Verschoore

Animateur de Ze Rhubarbe Blog depuis 2008.

3 réponses

  1. L’Association S.N.C.S ″ Sortons Nos Crèches et Santons ″, ayant pris connaissance du « Vade-mecum sur la laïcité à l’usage des maires de France », guide aussi tatillon que ridicule et inapproprié en divers domaines – il met en garde contre les baptêmes de bateaux ! –, même si opportun à certains égards, considère que ce petit opuscule fait fausse et mauvaise route !

    La laïcité qu’il défend, certainement légitimement, tombe dans un laïcisme excessif qui débouche sur une neutralité extrême et souvent fort injustifiée, prête à nier l’histoire, des traditions, des pratiques et des valeurs avérées et reconnues.

    Il ne constitue pas une solution efficace ni apaisante mais plus plutôt divisante sinon provocatrice aux questions et problèmes auxquels nous sommes présentement et de plus en plus confrontés.

    Ce type d’excès finira par braquer les Français, et pas que les catholiques !, minés qu’ils sont de plus en plus par un sentiment paradoxal qu’après l’horreur, c’est bien leur style de vie qu’il faut abandonner ; au profit de qui et de quoi… ?

    La S.N.C.S entend donc exprimer et manifester sa volonté de laisser à chacun sa liberté de penser et d’édifier en cette période de Noël une crèche comme bon lui semble et, à défaut de pouvoir le faire dans certains espaces publics, de l’afficher de manière apparente et, ce sans esprit de provocation ni d’intolérance !

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