Camp de Grande-Synthe

Ce jeudi je suis allé livrer les vêtements récupérés à Mâcon à une association d’aide aux migrants de Grande-Synthe, l’ASFI. Cela fait plusieurs années que cette association locale d’une vingtaine de bénévoles apporte vêtements, équipements et nourriture aux migrants coincés dans ce sous-bois entre une zone commerciale et une zone résidentielle. L’explosion de la population du camp depuis un an et demi a amené d’autres associations, souvent anglaises d’ailleurs, à participer à la survie de ce qui n’est aujourd’hui qu’un grand champ de boue habillé de tentes en tous genres, tauds, tas d’immondices et sanitaires dont on devine l’état.

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Fatima et ses amies, deux fois par semaine, font quelques centaines de repas sur base de dons – notamment en provenance d’Auchan – dans la cuisine du centre Emmaüs de Grande-Synthe. Les repas sont ensuite acheminés sur le camp.

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L’entrée principale et les alentours du camp sont gardés par de nombreux véhicules de gendarmerie, mais je suis passé à pied sans problème. Je publie ici quelques photos, d’autres sont visibles sur mon blog photo (1).

La population rencontrée dans le camp semble essentiellement d’origine arabe. J’ai pu échanger quelques mots avec une irakienne logée dans un des quelques grands tipis chauffés, accessibles via un pont de palettes reposant sur un marécage boueux… Deux ados et trois jeunes enfants vivent également sous cette tente, je n’ai pas réussi à comprendre si le père avait été tué ou était absent. Par contre elle me fit comprendre que ses propres parents avaient été tués voici plus d’un an, et que leur exode avait alors débuté pour arriver ici, à Grande-Synthe, début novembre. Son but: “England!”. Comment lui expliquer, avec ses quelques mots d’anglais, qu’elle ne passera jamais avec sa famille et qu’il vaudrait mieux demander l’asile ici ou en Belgique… Mais la France lui fait peur: “scared of police!”.

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Photographiant un petit stand de nourriture tenu par des anglais, je discute avec l’un d’eux qui se trouve être français mais ayant fait sa vie la-bas. Traiteur de métier, lors des périodes creuses il amène son matériel à Calais et prépare quelques centaines de repas qu’il distribue avec son équipe de bénévoles sur Calais ou Grande-Synthe. Il m’a offert un repas, d’une saveur particulière pris ainsi les pieds dans la boue en compagnie des gens qui arrivent toujours, malgré tout, à garder le sourire.

 

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Sur le chemin du retour vers mon véhicule, je tombe sur un migrant en train de démonter une palette, à l’entrée du parking de Jardiland, sous les jeux de plusieurs gendarmes. Je prend une photo, centrée sur le migrant mais ou apparaissent également 2 ou 3 flics, lorsque l’un d’eux m’interpelle en m’interdisant de photographier et en demandant de voir ma photo. Je m’exécute, et il m’ordonne de l’effacer. Seul face à deux combis de gendarmerie et ne voulant pas prendre le risque de voir mon matos et mes photos disparaître, je m’exécute à nouveau tout en lui rappelant que j’ai parfaitement le droit de prendre une telle photo – et de m’en vouloir de ne pas avoir sur moi le texte de loi approprié (2). Ceci énerve le fonctionnaire qui demande à voir mes papiers, et l’énerve d’autant plus quand il s’aperçois que je suis belge. Quoi, un belge qui dit à un policier français ce que dit le droit français? Ben oui, vu que personne ne semble le lui avoir appris… (Bon, ça je n’ai pas osé le lui dire).

Après 10 minutes à poireauter le temps du contrôle, je reparti libre mais sans ma photo. Illustration du triste et universel constat: police partout, justice nulle part. Ces gens qui inventent le droit qui leur convient du simple fait qu’ils détiennent le monopole de la violence sont un réel danger pour la démocratie, pas moins que les barbus qui prônent la Charia.

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Rentrant par Calais le long d’une côté balayée par une joli coup de vent, j’aperçois sous un ciel plombé des combis de gendarmerie et de police stationnés, de loin en loin, face à l’immense clôture qui encercle le site du tunnel sous la Manche. Dès la nuit tombée, des équipes de migrants vont s’extraire de la boue du camp des Dunes pour tenter de passer, et les flics vont les en empêcher avec force matraques et gaz lacrymogènes. Business as usual.

 

Notes:

(1) http://www.vincentverschoore.com/#!Camp-migrants-de-GrandeSynthe/rj2i1/569827c50cf20ee37c75c211

(2) http://libreinfo.perso.neuf.fr/plaquette04_64.htm

 

A propos Vincent Verschoore

Animateur de Ze Rhubarbe Blog depuis 2008.

9 réponses

  1. Nicole Ruy

    Nous sommes dans une société du paradoxe : des familles de réfugiés dans une précarité complète, et parallèlement un appartement confortable, mis à disposition par la commune de Tramayes pour l’accueil de réfugiés, validé par les services de la préfecture, et qui reste vacant. Que peuvent faire les bénévoles qui sont prèts à accompagner ces potentiels nouveaux habitants de notre village?
    NR

    1. Bonjour Nicole,
      S’installer en milieu rural en France, isolés, n’est certainement pas le souhait de la très grande majorité de ces gens: Ils visent l’Angleterre car ils parlent souvent un peu la langue, y ont des connaissances voir de la famille, d’autres représentants de leur propre communauté, et sans doute du travail. Ils peuvent décider d’aller dans des pays avec une politique d’accueil, offrant hébergement et formations pour s’intégrer le mieux possible, a fortiori avec possibilité d’emploi à la clé.
      Ces gens ne cherchent pas le confort, ils cherchent un avenir et préfèrent patauger dans la boue tant qu’il existe un espoir d’aller là où l’avenir leur semble possible. L’effort des bénévoles qui accueillent les migrants dans nos villages, comme à Taizé, est remarquable mais pour quelle finalité? Pour faire quoi avec eux? Je pense que cette question, au-delà de la simple réponse humanitaire, est essentielle et que sans un plan concret vers cet avenir – qui dépasse donc les capacités des organisations bénévoles et du bon vouloir des petites municipalités – ces gens continueront à arriver au compte-goutte sous la contrainte (les CRS en “cueillent” régulièrement à Calais) et, même physiquement retapés, dépériront par manque d’activité et d’indépendance, par isolement culturel, par perte de sens.

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