On te manipule!

annonceM’étant décidé à aller jeter un oeil sur le nouveau site anti-conspirationniste du gouvernement (1), je tombe nez-à-nez avec l’image de Manuel Valls invitant les visiteurs à s’inscrire pour recevoir chaque semaine la prop… pardon “l’essentiel des informations” du gouvernement. Ma première pensée: “Zut, un site parodique, c’est quoi la bonne adresse?”. Et bien non, c’est bien la bonne adresse, et nous ne sommes pas le 1er avril. Entrons, donc.

La première vidéo lénifiante avec un certain Kevin Razy donne le thon: toi petit crétin inculte qui gobe tout ce qu’il voit sur le net, ou toi jeune type raisonnable qui ne croit pas sans preuves – sauf si c’est le gouvernement ou les médias “sérieux” qui le disent, évidemment.

S’ensuit une liste de sept “commandements de la théorie du complot” rédigée en pseudo-langage Yoda genre “Des signes du complot partout tu verras”. Choix de communication particulièrement hilarant quand on sait (ce que le gouvernement ne semble pas savoir) que l’intrigue de Star Wars est entièrement basée sur un – vrai de vrai – complot où le “bon” chancelier Palpatine, en réalité un maître Sith ennemi héréditaire de la démocratie et des Jedis, fomente en sous-main des actions contre la République afin d’obtenir les pleins-pouvoirs au nom de la “sécurité” de celle-ci, et d’ainsi fonder un nouvel Empire totalitaire.

Exactement le scénario suivi par l’actuel gouvernement, où le terrorisme encouragé par ses choix politiques ineptes lui permet de transformer sa plateforme élective de “République irréprochable” en suppôt du totalitarisme. Alors, nouvelle preuve d’amateurisme ou bouteille à la mer de quelqu’un encore conscient dans les hautes sphère, je l’ignore mais l’effet n’est certainement pas celui officiellement recherché!

Ceci étant, les sept commandement sont en soi tout à fait recevables et on peut à chaque fois remplacer “théorie du complot” par “affirmations du gouvernement”, ça marche tout aussi bien. Par exemple l’argument n° 4 intitulé “Le vrai et le faux tu mélangeras” dit ceci: La théorie du complot tend à mélanger des faits et des spéculations sans distinguer entre les deux. Dans les “explications” qu’elle apporte aux événements, des éléments parfaitement avérés sont noués avec des éléments inexacts ou non vérifiés, invérifiables, voire carrément mensongers. Mais le fait qu’une argumentation ait des parties exactes n’a jamais suffi à la rendre dans son ensemble exacte !

Ce qui est une définition très pertinente de toute communication gouvernementale, que ce soit en matière de terrorisme, de politique de santé, d’économie ou d’auto-promotion à visée électorale.

Ensuite apparaît un très rigolo “détecteur de complots” que je vous recolle ci-dessous:

le-detecteur-theorie-du-complot

Ce diagramme est particulièrement pervers et met en pleine lumière la mauvaise foi de son commanditaire. En premier lieu, le filtre de la “preuve irréfutable” n’a aucun sens puisque, par définition, un complot est quelque chose que l’on cherche à masquer. S’il en existe des preuves irréfutables, c’est soit a posteriori du passage à l’acte, soit par une bévue de la part des complotistes, ou par une trahison ou un vol d’information. Si on considère l’espionnage massif de la NSA comme un complot (cad en gros l’exercice d’une activité illégale sous couvert du secret d’Etat), le fait de dénoncer ladite surveillance avant Snowden relevait du complotisme faute de preuves irréfutables. L’arrivée de ladite preuve transforme l’allégation complotiste en réalité recevable, mais le complot existait bien avant sa révélation par le lanceur d’alerte. L’impossibilité d’apporter une preuve irréfutable, en matière de complot, n’a rien à voir avec la possible réalité du complot. Ce qui ne veut évidement pas dire qu’il ne faille pas apporter de sérieux indices pour soutenir une telle accusation, mais il existe une large marge entre “indice sérieux” et “preuve irréfutable”.

Cela dit, le “détecteur de complots” permet de se passer de preuves irréfutables si toute une série d’autre filtres sont également traversés, mais chacun de ces filtres est une expression du même biais: il ne peut y avoir de références à des phénomènes inconnus type OVNI, à des sociétés secrètes, à des pays ou communautés. Et il faut qu’elle repose sur une source d’information réputée pour son sérieux, c’est-à-dire officielle, subventionnée ou proche de l’establishment politico-médiatique puisque toute autre source est, presque par définition, répertoriée comme complotiste. Exemple ici (2). Donc ça se mord la queue vu que ces sources dites sérieuses, par principe autant que par nécessité, ne s’intéressent aux complots que pour dézinguer ceux qui en parlent et décourager les autres de s’y intéresser. Ce qu’en langage militaire on appelle un tir de barrage.

L’effet direct de cette attitude est le renforcement d’un réflexe pavlovien chez celles et ceux qui, pour un tas de raisons souvent recevables, ne font pas confiance en la parole officielle. L’effet de renforcement menant à l’omni-complotisme est bien entendu favorisé par le phénomène de chambre d’écho des réseaux sociaux, mais le problème fondamental reste la destruction, à mon avis définitive, de toute crédibilité de la parole officielle du fait du détournement de celle-ci au profit d’une hypocrisie politicienne qui ne connait plus de limites. Il est tout simplement devenu impossible d’avoir la moindre foi en la parole officielle du fait que tout, absolument tout, est devenu manipulation à vocation électoraliste. Le réflexe complotiste est une réaction à cette manipulation, elle-même symptôme d’une profonde corruption des classes dirigeantes.

Evidemment le SIG, aujourd’hui Service d’Information du Gouvernement et demain, sans doute, police de la pensée, ne peut se permettre de confronter les réels fondements de cet omni-complotisme et s’en tient à décrypter les “ressorts psychosociologiques du conspirationnisme” plutôt que son origine (3). On est toujours le con de quelqu’un.

La mise en doute de la parole officielle et la suspicion de complots – dont l’Histoire même récente est émaillée (4) – implique aujourd’hui d’assumer l’accusation générale de “complotiste”, allant le plus souvent de pair avec celles de négationniste, anti-sémite et autres insultes servant uniquement à cacher l’ignorance, ou cimenter la bien-pensance des accusateurs. Ce blog participe de deux exemples de remises en cause des assertions officielles, la cause réelle du Sida et les événements du 11 septembre 2001. Dans les deux cas, on trouve des gens dotés d’un réel esprit critique qui pointent du doigt de réelles failles dans les “vérités officielles”, comme on y trouve des “complotistes” pur jus qui sont “contre” pour des raisons qui relèvent, sans doute, plus de la psychologie que de la rationalité.

Le problème est que l’establishment qui émet ces “vérités officielles” a mis au point un redoutable système de défense calqué sur l’Inquisition moyenâgeuse: l’amalgame de toute critique sérieuse avec les exemples les plus ridicules tels les Illuminatis ou les Reptiliens, ou avec les néonazis et les islamistes. D’où l’impossibilité de parler de cela sérieusement sur la place publique, d’où le renforcement d’un retour à toutes sortes de croyances, complotistes ou religieuses, permettant de combler le “vide de sens” creusé par la manipulation et l’hypocrisie institutionnelle.

 

 

Notes:

(1) http://www.gouvernement.fr/on-te-manipule

(2) http://www.parasite.antifa-net.fr/liste-non-exhaustive-des-sites-conspirationnistes-et-confusionnistes-version-2015/

(3) http://www.siglab.fr/fr/deconstruire-le-conspirationnisme

(4) http://fawkes-news.blogspot.fr/2014/08/dix-theories-du-complot-qui-se-sont.html

A propos Vincent Verschoore

Animateur de Ze Rhubarbe Blog depuis 2008.

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