A la recherche du code neural.

Dans le cadre de la vision matérialiste qui fonde la science des Lumières, nous sommes toutes et tous des fusées à trois étages. Premier étage, celui du moteur principal où s’agitent molécules, protéines, neurones etc. La matière. La physique. Juste au-dessus, le second étage, l’étage de contrôle-commande où des processus logiques, des algorithmes, du “langage machine” régulent et traduisent toute l’agitation du premier étage en quelque chose d’utile pour le troisième étage, celui de la conscience, des sensations, des émotions, de la pensée.

Cette logique est illustrée depuis la découverte de l’ADN par l’idée du code génétique: la fameuse double hélice et ses assemblages de bases correspond au premier étage. Le code génétique, ce qui permet de traduire les molécules d’ADN en processus réels (quel gène fait quoi), est le second. Et le phénotype, ou forme physique résultant de l’application du code, correspond au troisième étage. Cette image correspond également au modèle informatique, souvent considéré comme une bonne approximation du fonctionnement de notre cerveau: un ordinateur est constitué de l’étage “hardware” avec ses processeurs, mémoires etc, puis d’un étage “système d’exploitation” qui fait le lien entre le hardware et le troisième étage, l’étage applicatif, celui qui sert l’utilisateur.

De même, la recherche sur le cerveau considère qu’il y a un premier étage physico-chimique composé des neurones, synapses et autres éléments constitutifs de l’organe, et un troisième étage cognitif qui fait que nous pouvons réfléchir, décider, agir. Entre les deux le second étage, l’antre du code neural. Lui sait traduire nos pensées, désirs et décisions en quelque chose d’utilisable par la machinerie biologique, et inversement il sait traduire en sensations et informations, conscientes ou non, les données en provenance de la machine. Simple.

Sauf que nous n’avons toujours aucune idée précise de ce qu’est ce code neural, de comment il fonctionne. On ne sais même pas s’il existe vraiment, s’il est unique et stable ou multiforme et différent pour chaque individu. On a beaucoup d’idées, de modèles de ce qu’il pourrait être, mais rien qui s’approche de la complexité de la réalité observée. Comme le dit le journaliste scientifique John Horgan dans son excellent article The Singularity and the Neural Code (1), les candidats au code neural sont comme les candidats à la primaire américaine: il y en a beaucoup, et ils sont tous mauvais.

Et ce, malgré un énorme effort de recherche. Pire encore, le modèle conceptuel de base du code neural est calqué sur le code génétique, et ce dernier est loin d’avoir tenu ses promesses: une fois la prouesse technique du décodage du génome en place, on pensait identifier chaque gène et relier ces gènes à des caractéristiques physiques précises. La thérapie génique était à portée de main, c’était juste une question de technologie. vingt-cinq ans après le lancement du Humain Genome Project en 1990 on est loin, très loin des promesses d’origine. Or, le code neural est encore bien plus obscur que le code génétique, et c’est sans doute aujourd’hui l’un des problèmes les plus ardus que confronte la science.

Vu du premier étage, le cerveau humain est déjà d’une complexité affolante: 100 milliards de neurones, chacun doté d’environ 100 000 connexions, soit une capacité de 1015 ou un billiard (quadrillon en anglais) de connexions. Les neurones émettent des pics d’un dixième de volt d’une durée d’une milliseconde, et certains considèrent ceci comme étant une mesure de l’activité du cerveau. A raison de dix pics (ou opérations) par seconde, un cerveau moyen aurait une capacité de calcul de dix pétaflops. C’est beaucoup, mais aujourd’hui les plus gros superordinateurs ont dépassé cette limite, ce qui fait dire aux transhumanistes (2) que la machine est en passe de nous faire mordre la poussière en matière d’intelligence potentielle. Pourtant de gros doutes apparaissent quand au fait que ce nombre de connexions biologiques soit une mesure valable de notre capacité cérébrale. La capacité réelle est sans doute largement supérieure du fait de la complexité et de la malléabilité des neurones et neurotransmetteurs, des effets hormonaux qui traversent le cerveau, et des signaux électro-magnétiques également omniprésents. Mais quoi qu’il en soit, sans le code neural on ne sait pas entrer dans le fonctionnement intime du cerveau, et donc le concept du “téléchargement” du contenu d’un cerveau vers une machine, cher aux transhumanistes, reste fondamentalement impossible.

Quelles sont les pistes actuelles? La première tentative de définition du code neural date des années 30, par le neurologue anglais Edgar Adrian qui démontra qu’un neurone réagit à un stimulus de plus en plus fort en accélérant son taux d’émission, pouvant passer de 10 pics par seconde à 200 pics par seconde. C’est clairement un mode d’action neural, mais d’une efficience si faible (c’est comme si nous ne pouvions nous parler qu’en répétant une onomatopée plus ou moins rapidement) qu’il ne peut être qu’un élément du code parmi d’autres. Un autre mode à l’étude est le mode temporel, où l’information serait contenue dans le temps entre les différents pics. Plus prometteur, ce mode permettrait d’échanger beaucoup plus d’information que le premier, notamment pour les parties du cerveau qui traitent les fonctions les plus avancées – notamment le cortex pré-frontal.

Un autre mode encore serait le “mode population”, basé sur les oscillations synchrones de nombreux neurones coordonnés. En 1990, Francis Crick (co-découvreur de l’ADN) et Christof Koch ont proposé qu’une oscillation à 40 Hz jouait un rôle clé dans le phénomène de la conscience. Pour Koch cependant, le code neural est certainement beaucoup plus compliqué car il ne semble pas y avoir un modèle universel – contrairement au code génétique qui est a priori le même pour tous. Chez un individu donné, le code neural pour l’écoute et pour l’odorat sont différents du fait que le premier nécessite un traitement très rapide (les phonèmes, qui définissent à notre oreille le sens des mots, varient en une fraction de seconde) alors que pour l’odorat le processus est beaucoup plus lent. Et ces codes varient d’espèce en espèce. Selon Koch, on ne peut à l’heure actuelle que reconnaître l’extraordinaire capacité adaptative du cerveau, capable de développer des méthodes dont on ne trouve nulle trace d’un quelconque schémas de principe. Il a même trouvé que l’on peut associer certains neurones à des images précises, par exemple chez un patient souffrant d’épilepsie l’activation par électrode d’un neurone spécifique évoquait l’image de Silverster Stallone, et un autre celle de Bill Clinton. D’où l’implication qu’un neurone est en soi un ensemble opérationnel, un processeur plutôt qu’un simple transistor biologique.

Enfin, un autre neurobiologiste anglais du nom de Steven Rose explique que l’idée même d’un code neural générique n’a guère de sens vu que la perception que nous avons de toute chose est largement influencée par les expériences, uniques, accumulées au cours de notre vie. Nous ne percevons pas un bus rouge de la même façon selon que nous avons vécu ou non en Angleterre, ou que nous aillons failli nous faire écraser, enfant, par un tel bus. D’où il ressort, pour lui, que chaque psyché est fondamentalement irréductible, imprévisible, et inexplicable. Et en tout cas beaucoup trop complexe pour être téléchargé dans une machine, aussi puissante soit-elle.

A suivre…

 

Notes:

(1) http://blogs.scientificamerican.com/cross-check/the-singularity-and-the-neural-code/

(2) http://zerhubarbeblog.net/2015/07/31/transhumanisme-2-0-big-futur-ou-big-delire/

 

A propos Vincent Verschoore

Animateur de Ze Rhubarbe Blog depuis 2008.

5 réponses

  1. Jojo

    Bonsoir

    Etant donne que l’activation d’un neurone est en soi un ensemble operationel pourquoi ne vont t’ils pas plus profondemment dans les neurones voir ce qu’il si trouve ?

    Qu’en pensez-vous ?

    Cordialement.

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