Après le point d’orgue de la découverte du boson de Higgs en 2012, le LHC s’est reposé pendant deux ans afin de se refaire une santé. Et passer à la vitesse supérieure en terme d’énergie, pour voir ce qui se trame au sein de la matière lorsqu’il recréerait des conditions de plus en plus proche de celles du Big Bang, le point de départ – a priori – de notre univers.
Comme les lecteurs assidus de ce blog le savent (1), le boson de Higgs confirme grosso modo la validité du Modèle Standard de la physique, modèle qui par ailleurs est incapable d’expliquer un certain nombre de phénomènes et qui, de ce fait, est sinon faux du moins très incomplet. Ceci pose un sérieux problème à la communauté de physiciens: où chercher les réponses aux questions auxquelles ce Modèle Standard ne peut répondre, tout en le gardant sur la table vu qu’il avait correctement prédit de nombreuses autres choses, et notamment le Higgs?
Les principaux problèmes auxquels le Modèle Standard n’apporte pas de réponse sont la nature de la gravité, la nature de la fameuse autant qu’hypothétique matière noire censée représenter la majeure partie de la masse de l’Univers (2), et une explication de pourquoi le Higgs et pas mal d’autres particules ont les propriétés qu’elles ont. D’autant que la porte à l’extension espérée du modèle, la Supersymétrie (3), n’a donné aucun signe d’existence malgré de gros efforts de recherche et est de plus en plus considéré comme une voie sans issue.
D’où l’espoir qu’un LHC boosté allait pouvoir, sinon ouvrir des portes, au moins percer un œil de bœuf vers l’une ou l’autre pièce encore inconnue de notre univers. Et peut-être est-ce le cas! Courant 2015, l’année de sa réelle remise en service actif, le LHC au travers de ses deux détecteurs ATLAS et CMS, a détecté deux “bosses” inexpliquées dans les traces des collisions émettant une paire de photons de très haute énergie qui, en additionnant tous les effets de cette collision, donne un niveau d’énergie supérieur à l’énergie des particules de départ. Ces deux photons, correspondant à une énergie de 750 GeV, proviendraient alors de la désintégration d’une particule inconnue possédant exactement ce niveau d’énergie. Une sacrée particule, six fois plus massive que le Higgs (qui avait été découverte par un processus identique mais avec une énergie de “seulement” 125 GeV), et plus grosse en fait que toute autre particule connue à ce jour.
Pour l’instant, cette observation n’est pas validée statistiquement et il pourrait très bien s’agir d’un effet parasite, comme le problème de connexion optique lors des expériences sur les neutrinos à Gran Sasso qui avait un temps laissé penser que l’on avait découvert une particule allant plus vite que la lumière. Il y a toujours des parasitages et pour l’instant la probabilité qu’il s’agisse d’un parasitage est de l’ordre de 1 sur quelques centaines, alors que le standard permettant de déclarer une observation comme étant “vraie” est de l’ordre de 1 sur 3,5 millions (soit une probabilité de 1 sur 3,5 million qu’il s’agisse d’une erreur). On y est pas encore mais le fait que les deux instruments aient détecté ce phénomène et qu’il y ait un précédant (le Higgs) rend les chercheurs un peu fous: s’il s’agit réellement d’une découverte, elle est majeure. Une nouvelle particule, non prévue par le Modèle Standard, serait la porte vers une redéfinition de la nature de l’Univers. C’est potentiellement plus gros que le Higgs, plus gros que les ondes gravitationnelles (4).
Depuis cette annonce voici quatre mois, des centaines de propositions ont été formulées pour expliquer le phénomène. Scientific American parle d’un “zoo de théories”, dont quelques unes viennent d’être publiées par le Physical Review Letters. Un chercheur à la pointe de la recherche dans ce domaine, Yasunori Nomura à Berkeley, d’habitude très prudent face à ce type d’annonce non validée, s’est néanmoins jeté sur celle-ci car elle lui semble “propre” et, surtout, “on est un peu désespérés car on a plein de problèmes à résoudre et pas de données”.
Si cette particule existe, on peut déjà lui donner quelques caractéristiques issues des observations actuelles: elle n’a (n’aurait) pas de charge et un spin (une caractéristique d’ordre quantique) contraint: 0 ou 2. En tout cas pas 1 car les photons ayant eux un spin de 1, la particule à l’origine de la désintégration en photons ne peut pas avoir le même spin. Selon Nomura, soit elle a un spin de 0 et ce n’est sans doute pas une particule élémentaire mais un composite – tels les protons et neutrons qui sont composés de quarks par exemple – ou, autre théorie, un cousin gargantuesque du Higgs qui a, lui aussi, un spin 0 et se désintègre en photons.
Mais en ce cas, et là est la fameuse porte vers l’inconnu, cette particule composite existerait du fait d’une nouvelle force, une cinquième force (5) qui n’entrerait en action qu’aux très hautes énergies. Si la particule avait un spin de 2 par contre, alors il pourrait s’agir de quelque chose ressemblant à l’hypothétique graviton – une particule théorique censée transmettre la gravité, et que la théorie dit avoir aussi un spin 2.
A ce mystère se combine une autre expérience en cours au CERN, le LHCb. A la différence de son grand cousin LHC qui chasse les particules en mesurant les débris de leur désintégration, le LHCb tente de mesurer précisément les désintégrations de particules composites de type mesons B, afin de comparer ces mesures avec les prévisions du Modèle Standard. Et il se trouve que LHCb mesure un certains nombre de possibles non concordances, dont on ne sait trop que penser mais qui pourraient très bien coller avec la présence d’une particule massive et inconnue se promenant dans le jeu de quilles. Comme le dit Ulrick Egede, un chercheur associé à l’expérience LHCb, “il est excitant de constater l’existence de plusieurs phénomènes qui pourraient être reliés”. Sauf que, mère nature étant farceuse, la particule dont LHCb pourrait indiquer l’existence devrait avoir un spin 1…
Le petit monde de la physique des particules est donc en ébullition autour de cette affaire, d’autant que s’il s’agit d’un phénomène réel celui ou celle qui mettra le doigt dessus – surtout s’il s’agit d’une avancée majeure, nouvelle force ou particule non prévue dans le Modèle Standard et le début du tome 2 dudit modèle – se retrouvera sur la voie royale du prix Nobel.
Notes:
(1) https://zerhubarbeblog.net/2012/09/06/boson-de-higgs-suite-mais-pas-fin/
(2) https://zerhubarbeblog.net/2012/04/20/et-alors-cette-matiere-noire/
(3) https://zerhubarbeblog.net/2015/08/25/pour-une-poignee-de-quarks/ et https://zerhubarbeblog.net/2011/12/14/higgs-poids-plume-cherche-susy-desesperement/
(4) https://zerhubarbeblog.net/2016/02/11/ondes-gravitationnelles-le-son-de-lespace/
(5) A ce jour nous connaissons quatre forces fondamentales: les forces nucléaires faible et forte, la force électromagnétique et la force gravitationnelle.
Sources:
http://www.scientificamerican.com/article/large-hadron-collider-anomaly-inspires-a-zoo-of-theories/