Opération Bouclier de l’Euphrate

La semaine dernière le vice-président américain Joe Biden rencontrait le dictateur turc Erdogan à Ankara dans le but de renouer le dialogue avec un pays officiellement allié, membre de l’OTAN, et dont le pouvoir vient de se débarrasser de toute opposition sérieuse par le biais d’un faux coup d’Etat. Nul doute que le rapprochement récent entre Erdogan et Poutine, après une période glacière suite à l’affaire du jet russe descendu par les turcs sur la frontière turco-syrienne en novembre dernier (1), imposait une tentative de reprise en main de la situation par les américains.

Le jour de l’arrivée de Biden, Erdogan lançait l’opération “Bouclier de l’Euphrate”, envahissant une partie du territoire syrien avec ses forces spéciales, chars et aviation. Officiellement, pour chasser Deach de la ville frontière de Jarablus. En réalité, pour attaquer les 40 000 kurdes syriens regroupés au sein du YPC qui, assistés de quelques conseillers américains, se battent eux vraiment contre Daech. Les turcs ont pris Jarablus quasiment sans combattre: les islamistes de Deach qui occupaient (et occupent toujours) la ville ont simplement été invités par les turcs à se déguiser avec des uniformes de l’Armée Syrienne Libre (2).

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Qu’a dit Joe Biden? Qu’il supportait l’invasion turque en Syrie et que les américains se battraient du côté des turcs contre les kurdes qui ne resteraient pas à l’Est de l’Euphrate – donc sans jonction possible avec les kurdes du PKK et sans pouvoir combattre les islamistes dans cette zone.

Pour racheter l’amitié turque, les américains les laissent prendre un morceau du territoire syrien (qui reste, à ce jour, officiellement un pays souverain aux frontières reconnues par la communauté internationale) et, surtout, trahissent leurs alliés kurdes qui sont les seuls, avec l’armée gouvernementale syrienne et les russes, à combattre réellement Daech en Syrie.

On est sur le cul.

La collaboration entre la Turquie et Daech, malgré les dénégations du pouvoir turc, ne fait aucun doute et est largement documentée. Des centaines de djihadistes continuent de transiter librement par la frontière et, jusqu’à l’intervention russe, les turques permettaient le transit du pétrole au profit de Daech. Les islamistes et l’AKP d’Erdogan sont très proches idéologiquement parlant et en constante communication. Ce qui rend la position américaine d’autant plus schizophrène: d’un côté ils aident les kurdes de Syrie (tant qu’ils restent à l’Est de l’Euphrate)  à se battre contre Daech et de l’autre, ils aident les turcs et donc les islamistes sous toutes leurs formes, contre le pouvoir syrien légitime, les russes et … les kurdes.

La Turquie compte s’approprier un territoire de 90km sur 40km entre la frontière et l’Euphrate, une zone tampon entre eux et les kurdes où ils disent vouloir relocaliser des réfugiés syriens (3). On attends la réponse russe mais il n’y en aura sans doute aucune, la récente visite d’Erdogan à Moscou ayant certainement servi à obtenir les validations nécessaires. Cette zone, disputée par les kurdes, les islamistes, les turcs et bien sur les syriens, a toutes les chances de devenir un bourbier infernal.

Ce bourbier, Obama compte bien le refiler à son successeur, homme ou femme. Il les déteste assez, l’une comme l’autre, pour s’offrir ce petit plaisir. Les américains sont en train de perdre la partie au Moyen-Orient: ils ont tout raté, ils sont haïs de tout le monde hors les kurdes – et après le coup de Jarnac de la semaine dernière même cela risque de ne pas durer. La Turquie, longtemps retenue à l’Ouest par l’Otan et un espoir d’intégrer l’UE, est désormais soumise au joug totalitaire de l’AKP et glisse vers l’Est, vers la Russie par nécessité et vers les sombres contrées sous domination islamiste par fatalité.

 

Notes:

(1) https://zerhubarbeblog.net/2015/11/24/un-vent-de-folie-souffle-de-paris-a-ankara/ 

(2) http://www.alternet.org/world/turkey-occupies-syria

(3) http://www.dedefensa.org/article/the-objectives-of-operation-euphrates-shield

A propos Vincent Verschoore

Animateur de Ze Rhubarbe Blog depuis 2008.

3 réponses

  1. Ça se complique à la frontière turco-syrienne: les Russes, que l’on pensait avoir validé l’invasion turque d’une partie du territoire syrien, officiellement pour combattre Daech mais en réalité pour combattre les Kurdes qui combattent Daech, ne sont plus d’accord. Les Américains, eux, sont en même temps d’accord et pas d’accord…
    http://fr.euronews.com/2016/08/31/la-russie-demande-a-ankara-de-cesser-ses-frappes-contre-les-milices-kurdes-en

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