Et ce ne sera pas du fait du dérèglement climatique, mais du démantèlement prévu du bidonville calaisien servant de base aux assauts désespérés de milliers de migrants tentant de rejoindre l’Angleterre. Dans les derniers mois, le bidonville a été divisé par deux en termes de surface, et multiplié par deux en termes de nombre de migrants y trouvant un refuge précaire. Près de 10 000 migrants selon les associations sur place, 6 000 selon la police (ils sont généreux) qui font face à un faisceau de fléaux:
1) Les donations diminuent, la réduction de la surface du camp ayant mené de nombreux donneurs à penser que les besoins avaient diminués d’autant. En fait ils ont doublé. La faim fait son apparition, alors même que les boutiques et restaurants mis sur pied par les migrants ont été démolis par les sombres imbéciles dits “représentants de l’Etat”.
2) On entre en campagne politicienne et démanteler le camp de Calais fait un excellent slogan. Certes, les Calaisiens en ont marre et le blocage de l’A16 par un ensemble de routiers et locaux lundi dernier symbolise un fait incontournable: que vous soyez “pour” ou “contre” les migrants, la tension extrême de la situation où quasiment un quart de la population locale est de fait retenue prisonnière, où les routiers doivent faire face à des manœuvres dangereuses de groupes de migrants près à tout pour se planquer sous un camion, est réelle et sert de levier pour justifier un démantèlement. Cela ne résoudra rien, mais cela fera gagner du temps et permettra à Hollande de perdre un peu moins de voix au FN. Peut-être.
3) Un nouveau mur d’un kilomètre de long et de quatre mètres de haut, au coût de 2,7 millions d’euros financés par les Anglais, sera érigé à l’automne entre la rocade d’accès au port et le bidonville, ou ce qu’il en reste. Preuve que personne ne croit qu’un démantèlement résoudra grand chose (1).
L’Etat français, dixit Cazeneuve, va ouvrir plusieurs milliers de places en CADA et CDA pour accueillir une partie, au moins, des prisonniers du bidonville calaisien. Les autres iront se planquer dans les bois alentours, ou ce qu’il en reste depuis que l’Etat rase tout en bordure d’une immense clôture érigée ces trois dernières années pour barrer le passage aux migrants qui tenteraient de passer à travers champs au Sud de la ville. L’arsenal visant à empêcher les migrants de passer en Angleterre devenant de plus en plus rédhibitoire, une partie de ces gens iront tenter leur chance ailleurs (c’est le but de l’opération) mais une partie restera sur place (d’où le nouveau mur), quotidiennement pourchassés comme des chacals par les flics et les milices d’extrême-droite. On va en fait en revenir à la situation d’avant 2014, avant l’ouverture du centre Jules Ferry et du bidonville visant, justement, à nettoyer la ville de ses camps sauvages – la “jungle” originelle.
Aujourd’hui se tient, en Grèce, un sommet sur la crise migratoire. Alexis Tsipras en appelle, à nouveau, à une réponse commune de l’Europe à défaut de quoi elle éclatera sous les tensions souverainistes internes. François Hollande, toujours pince-sans-rire, se présente en défenseur de l’Etat de Droit. Quid, alors, du droit des réfugiés à un accueil décent et, pour ceux qui le demandent, d’une analyse dans un délai raisonnable de leurs dossiers?
La question n’est pas d’être “pour” ou “contre” les migrants. Personne ne demande à ce que les migrants soient “aimés” ni qu’ils servent de déambulateurs à quelque bonne conscience bobo, et encore moins de levier populiste dans les manœuvres politiciennes. Simplement, le fait de se dire “Etat civilisé” implique d’adhérer à quelques principes fondamentaux, inscrits en droit international: accueillir les réfugies / migrants dans des conditions dignes, traiter leurs dossiers dans des délais raisonnables, agir selon les règles. J’ajoute qu’en premier lieu il faudrait s’abstenir de participer à la destruction du Moyen-Orient et éviter de se mêler de ce qui ne nous regarde pas en matière de politique intérieure de pays comme la Syrie ou la Libye, mais le mal étant fait il faut bien vivre avec.
Le monde, malheureusement, est dirigé par des bandes de criminels corrompus et/ou de technocrates incompétents au services des industries du pétrole et de l’armement. La montée des populismes, en Europe comme au USA avec Trump, est une réaction au délitement, à la corruption des élites dites “de gouvernement”. L’islamisme a trouvé un terrain fertile dans les territoires détruits par l’interventionnisme catastrophique de l’Occident depuis quinze ans. On constate que l’Occident détruit, ou participe à la destruction, de pays auparavant capables de maintenir la menace islamique sous contrôle: Irak, Libye, Syrie. Et que ce même Occident se plaint ensuite de la montée du terrorisme islamique. Pire encore, nos élites protègent et arment l’Arabie saoudite, premier financeur du “soft power” islamique qui gangrène nos propres sociétés.
Incompétence criminelle ou corruption? Peu importe, le résultat est le même: une course vers le fond, la quasi disparition de tout débat intelligent au profit d’enclaves idéologiques. En Europe, le système politique s’est sabordé: de l’absence de la plupart des députés lors de votes importants à l’Assemblée Nationale à la totale vacuité des discours ministériels ou présidentiels, de l’incohérence de notre politique étrangère à l’hypocrisie de la construction européenne qui ne fonctionne que tant qu’il y a du pognon à prendre, du dogmatisme néolibéral favorisant le moins-disant au suicide économique face à des prédateurs, les USA et la Chine qui, eux, n’ont aucun problème avec le protectionnisme: le géant aux pieds d’argile menace de s’effondrer.
Ces centaines de milliers de gens obligés de fuir leurs pays, en bonne partie du fait de notre ingérence, confrontés à nos flics et nos barbelés après avoir, pour les survivants, frôlé la mort pour arriver sur nos côtes. Ces familles ruinées pour payer les passeurs alors qu’un simple corridor aérien, où chacun paierait son billet et entrerait légalement en Europe, aurait sauvé des milliers de vies et empêché l’enrichissement des mafias. Ces conditions d’accueil indignes et ces accords du Touquet ayant transformé Calais en zone de guerre, ces sommes immenses dépensées pour payer des murs et des flics alors qu’elles pourraient servir à solutionner les problèmes d’accueil et d’intégration. Tout cela est l’image d’un pays, d’une Europe soumise à des rois fainéants, des princes dégénérés, des institutions dénuées de tout principe face à une société civile qui se cherche, tiraillée entre l’appel d’une nouvelle phase civilisationnelle et le retour au populisme démagogique, xénophobe et réactionnaire.
La manière dont nous gérons la crise migratoire reflète notre état d’esprit en tant que société, et Calais en est un symbole.
Pour suivre ce qui se passe à Calais (liste non exhaustive):
- https://www.facebook.com/Jungle-LifeCalaisGrande-Synthe-658576510924377/
- https://www.facebook.com/calaisouvertureethumanite/
- https://passeursdhospitalites.wordpress.com/
- https://www.laubergedesmigrants.fr/
[…] https://zerhubarbeblog.net/2016/09/09/calais-en-route-pour-lhiver-le-plus-chaud/ […]
[…] (1) https://zerhubarbeblog.net/2016/09/09/calais-en-route-pour-lhiver-le-plus-chaud/ […]