Un sentiment d’effarement.

Parfois je suis effaré. Cela fait quinze ans que je vis en France, que je participe à ma petite échelle à la vie de ce beau pays, et que j’y croise un grand nombre de personnes qui se bougent pour faire avancer les choses dans le bon sens. Le bon sens, c’est-à-dire pour une meilleure démocratie, moins d’inégalités, moins de violence institutionnelle et plus d’humanité dans nos rapports aux autres même – et surtout – s’ils sont différents. Je ne suis pas toujours d’accord avec ce que disent les gens que je considère néanmoins bien intentionnés,  mais depuis quelques temps ce désaccord salutaire se transforme parfois en effarement, voir en inquiétude sur ce qui nous attends dans un futur proche.

Effarement devant le rouleau compresseur du politiquement correct, devant la naïveté de ceux et celles qui croient encore à la neutralité de l’Etat, devant le radicalisme présenté comme anti-radicalisme, devant le sabordement des règles du débat menant à la police de la pensée et à la dictature.

Soyons spécifique, quitte à être provocateur. Un sujet qui revient sans cesse depuis quelques temps est la proposition d’interdire tout mandat politique à quelqu’un ayant un casier judiciaire (1). Tout le monde semble applaudir. Certes cela nous débarrasserait pour un temps de quelques indésirables mais pas de tous loin s’en faut et, surtout, cela pose et une question de principe et une question tactique.

La question de principe est la suivante: si le justice est légitime et qu’une personne condamnée a purgé sa peine, donc payé sa dette envers la société, au nom de quel principe extra-judiciaire peut-elle être interdite de se présenter à une élection – droit fermement inscrit dans la Constitution?  En quoi un ex-délinquant ou criminel, ayant purgé sa peine, ayant connu la “vrai vie” et l’intérieur des prisons et en ayant tiré certains enseignements, serait-il moins apte à nous représenter utilement qu’un technocrate ou politicien professionnel ne connaissant rien d’autre que son petit monde de privilégiés et d’intérêts bien compris?

La question tactique est tout aussi importante et met en jeu, à mon sens, l’apparente naïveté de certains et certaines vis-à-vis de la soi-disant neutralité de l’Etat. La police française, et plus encore sa police secrète, est une police politique (2). Elle travaille hors des lois quand c’est nécessaire au profit de ses donneurs d’ordre, ceux au sommet de la pyramide politique. Qu’ils soient de gauche ou de droite n’y change rien. Cette police n’aurait aucun problème pour monter une opération visant à créer un problème judiciaire pour une étoile montante de la politique dont le pouvoir en place préférerait se débarrasser le plus vite possible. Exiger un casier judiciaire vierge de tout élu potentiel ne changerait pas grand chose à la réalité politique actuelle, mais offrirait une arme fabuleuse au pouvoir contre tout nouvel arrivant non coopté.

Cette naïveté se retrouve dans cet autre appel très populaire chez mes amis, l’appel à la transparence. Il semble acceptable que, dans l’espoir de coincer l’un ou l’autre Cahuzac, l’un ou l’autre apprenti terroriste ou quelque grosse entreprise pratiquant l’optimisation fiscale, nous soyons tous requis de nous mettre à nu devant l’Etat. Qu’il puisse suivre nos conversations, nos déplacements, nos mails, nos comptes bancaires car, si nous n’avons rien à cacher, nous n’avons rien à craindre n’est-ce-pas? Gravissime erreur.

D’abord parce que nous ne pouvons pas savoir ce que sera l’Etat de demain et donc la possible, voire probable, nécessité de se défendre demain d’un Etat encore plus corrompu, prédateur et autoritaire qu’il ne l’est déjà. Ensuite parce que nous ne savons pas nécessairement aujourd’hui ce que nous pourrions avoir à cacher demain: si l’Etat est capable de suivre vos dépenses, vos communications et vos consommations énergétiques, votre décision de par exemple cacher chez vous un réfugié pour raisons humanitaires deviendra d’autant plus risquée. La transparence absolue n’est autre chose que la prison à ciel ouvert, la mort définitive de la liberté d’expression et donc in fine de la démocratie. Big Brother is watching you, remember?

Encore plus polémique comme exemple mais allons-y, le raffut autour du dénommé Zemmour lorsqu’il dit avoir du respect pour les djihadistes (3). Réaction immédiate: saisie du parquet. Résultat: un maximum de publicité pour les idées de l’intéressé. Conclusion probable: on aura rien gagné sauf un nouveau coup de canif dans le peu qu’il nous reste de la liberté d’expression (4) car ne nous y trompons pas: si aujourd’hui on applaudit à la condamnation à huit mois de prison ferme de gens tels que Jean-Marc Rouillan (ancien leader du groupe armé d’extrême gauche Action directe qui avait qualifié de “courageux” les auteurs des attentats djihadistes du 13 novembre), et peut être Zemmour demain, lorsque la droite dure reviendra au pouvoir elle utilisera la même jurisprudence pour envoyer dans ces mêmes prisons, au  nom de la même tartuferie dite d’apologie du terrorisme, ceux qui oseront encore la contester. A ce rythme, la France dans cinq ans c’est la Hongrie, et dans dix ans c’est la Turquie.

Cette catastrophe du politiquement correct qui mène à la judiciarisation et l’inhibition de toute opinion contraire est brillamment analysée dans cet article de iphilo avec les philosophes André Comte-Sponville et Dominique Lercourt (5). Sous-titre: “L’avenir du politiquement correct, c’est le populisme”. Grâce au politiquement correct, un mouvement dit anti-raciste, les Indigènes de la République, en arrive à monter un congrès interdit aux blancs, donc parfaitement raciste (6)!

Quand Emmanuel Macron dit devant JF Kahn (7) qu’il craint une laïcité revancharde mettant hors société tout ce qui a une connotation religieuse et, pire encore, qu’il ne considère pas (mon interprétation) les lois de la République comme l’alpha et l’omega de toute pensée humaine, ça choque un grand nombre de gens qui se battent par ailleurs, à juste titre, contre le communautarisme et l’intégrisme islamique. Pourquoi? Si ma religion me dit que je dois héberger mon prochain en difficulté alors même que c’est illégal (cas réel en France vis-à-vis des réfugiés), cette inversion des normes n’est elle pas justifiée? Au nom de quoi faudrait-il l’interdire, moralement parlant?

Le respect des lois est indispensable au vivre ensemble et personne, en dehors des cercles intégristes, ne veut imposer l’esclavagisme de la femme ou la délégation de la gestion des feux rouges à Allah, mais les lois de la République ne sont pas immaculées non plus et leur remise en cause, au cas par cas, argumentée et en fonction du bien commun, reste absolument nécessaire. Le problème est quand leur remise en cause ne sert que les intérêts particuliers d’une communauté aux dépends des autres.

Est-ce à dire qu’il ne faut rien faire? Non évidemment, mais il faut juste éviter de tendre le bâton pour se faire battre. L’Etat n’est ni neutre ni bienveillant, le militantisme aveuglé par le politiquement correct (8) est aussi dangereux que la menace qu’il dénonce, et les gens qui ne caressent pas dans le sens du poil sont plus importants à écouter que les autres. Cela ne veux pas dire qu’ils ont raison pour autant mais cela garanti le nécessaire recul à tout débat constructif.

 

Références

(1) http://www.leparisien.fr/bondoufle-91070/ils-sont-deja-plus-de-20-000-a-exiger-un-casier-judiciaire-vierge-pour-les-elus-19-05-2016-5810513.php

(2) https://zerhubarbeblog.net/2016/01/21/letat-durgence-le-chausse-pied-totalitaire/

(3) http://tempsreel.nouvelobs.com/societe/20161007.OBS9492/terrorisme-respectable-pour-zemmour-le-parquet-de-paris-saisi.html

(4) http://www.vududroit.com/2016/10/zemmour-apologue-du-terrorisme-un-mauvais-proces/

(5) http://iphilo.fr/2016/10/05/la-violence-du-langage-sexerce-sans-plus-se-dissimuler-dominique-lecourt/

(6) http://www.lefigaro.fr/actualite-france/2016/08/24/01016-20160824ARTFIG00340-un-camp-d-ete-decolonial-interdit-aux-blancs-s-ouvre-a-reims.php

(7) http://www.marianne.net/emmanuel-macron-republique-est-ce-lieu-magique-qui-permet-gens-vivre-intensite-leur-religion

(8) https://zerhubarbeblog.net/2016/04/26/le-politiquement-correct-est-il-alle-trop-loin/

 

 

 

A propos Vincent Verschoore

Animateur de Ze Rhubarbe Blog depuis 2008.

4 réponses

  1. Le politiquement correct commence par substituer “ceux et celles” à “ceux” (masculin neutre). Mais aussi “auteure” voire l’horrible “autrice” que j’ai lu dans le pages du magazine philosophie. C’est un détail, mais révélateur de la tendance tu politiquement correct à inventer des catégories, créer de la division là où il y avait des conventions ou une saine indifférence.
    Encore une fois c’est un détail, mais c’est un des symptômes qui conduisent, en fin de processus, des “indigènes” à légitimer l’exclusion des blancs.
    Il existe ou existait un masculin neutre et un féminin neutre (“une personne” peut-être un homme ou une femme ; “une brute” est presque toujours un homme…)
    La novlangue d’Orwell était finalement moins effrayante car son ambition de simplification laissait de la place à une certaine clarté. Cette langue pleine de faux scrupules est en train de semer partout la confusion, la censure et l’autocensure.
    Cela dit, c’est la seule objection que j’aurais à faire à vos articles éclairants.

  2. Vous avez raison ne serait-ce que du fait que l’extension du nombre de catégories du genre va faire que les simples féminins et masculins deviendront inacceptables pour ces catégories ne se reconnaissant ni dans l’une, ni dans l’autre. Donc il va falloir revenir à une forme de ‘ils’ générique pour garder un minimum de lisibilité à nos écrits. Mais comme beaucoup de gens auxquels je m’adresse ici sont des femmes, je préfère être certain que celles qui pourraient lire ce texte comprendront que je m’adresse à elles autant qu’aux hommes 🙂

    1. On tombe parfois dans le comique involontaire quand certaines personnes inaugurent consciencieusement leurs courriels par “Chers collègues, chères collègues”, ce qui me fait penser irrésistiblement à Desproges : “Françaises, Français. Belges, Belges.”

      1. D’où la supériorité de l’anglais qui ne connait pas cette contrainte de genre. Ou genre de contrainte. Tout en reconnaissant bien sur tous les genres de genres.

Laisser un commentaire

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.