Russie, Syrie, USA: CIA pyromane.

Triste fin de règne pour Barack Obama qui se voit contraint de s’aligner sur le “rapport” de la CIA accusant la Russie d’avoir piraté l’élection américaine au profit de Trump (1). “Piraté l’élection” étant d’ailleurs un grand mot car, aux dires même du New York Times qui pourtant roule pour les Démocrates, l’accusation spécifique porte sur le hacking du serveur de courriel du parti Démocrate et du serveur privé de John Podesta, directeur de campagne Hillary Clinton (2). Et pas sur la manipulation du vote lui-même, comme l’establishment US aime à le laisser croire.

Information que les Russes auraient alors fait passer chez Wikileaks et le blog anonyme “Guccifer 2.0“qui prétend, lui, avoir conduit ledit hacking en premier lieu. Julian Assange, le fondateur de Wikileaks illégalement retenu par les Anglais dans l’ambassade équatorienne de Londres depuis quatre ans, nie toute implication russe dans l’obtention des documents (3). Outre le fait qu’il est moralement justifié de publier les magouilles Clintoniennes et qu’en l’occurrence Wikileaks fait simplement oeuvre de salubrité publique – tout comme le fit Edward Snowden en dénonçant l’espionnage planétaire de la NSA -, l’impact réel de ces révélations sur les élections est tout sauf mesurable: elle eurent lieu des semaines avant l’élection, et avant l’affaire du FBI au sujet du serveur privé de Clinton.

Certes, sur le principe, une intervention illégale d’une puissance étrangère sur un processus électoral n’est pas acceptable mais encore faut-il faire la preuve de ladite intervention. Et c’est là où le bât blesse car la CIA ne divulgue pas ses sources, et peut donc se permettre de dire n’importe quoi. Comme quand elle monta de toutes pièces les accusations d’armes de destruction massive en Irak pour justifier la guerre prédatrice de la clique Bush/Cheney/Rumsfeld en 2003. La CIA a également participé à l’armement des “rebelles” syriens vite phagocytés par les islamistes, alimentant ainsi un conflit interne pour le transformer en la guerre totale que l’on sait. Elle a trempé dans toutes les affaires louches, les transferts d’armes en fraude genre affaire Iran-Contras, le trafic de drogue, les centres de torture pendant la guerre d’Irak et les incessantes manipulations diverses et variées.

La CIA est la plus importante organisation mafieuse et terroriste que la planète ait connu. Elle intervient partout de manière illégale et subversive depuis sa création en 1947, sous l’autorité directe du Président américain. En théorie, car en pratique la CIA fait à peu près ce qu’elle veut et, depuis la liquidation de JFK plus personne n’ose s’y opposer. D’où l’utilisation du verbe “contraindre” dans ma phrase d’introduction ci-dessus. Conspirationnisme? A moins de considérer Slate comme un site conspi, il est intéressant de lire cet article de 2015 en entier (5) et notamment le second paragraphe que je vous cite ici:

“Accrochez-vous: oui, la CIA a bien couvert le meurtre de JFK. Son directeur de l’époque, John McCone, a caché des informations aux investigateurs de la commission Warren. Aucune révélation décisive. Mais la présence de pareilles indications dans un document officiel de la CIA rédigé par le responsable du service historique de la CIA, David Robarge, représente une évolution majeure dans le dossier.”

Croire en ce que dit la CIA est du même niveau que croire la propagande de Daech ou la presse officielle égyptienne, saoudienne ou nord-coréenne: mensonges et manipulation au nom d’idéologies servant de paravent à des prédateurs, des dictateurs et des fous furieux. Donc quand la CIA dit que les Russes ont piraté le système informatique du parti Démocrate, on peut être relativement certain que d’une part c’est faux, et que d’autre part il y a un but pervers à cette action, un chantage dont la forme, en l’espèce, est sans doute pour les Américains de se venger de la prépondérance russe en Syrie en remettant une couche de sanctions et en remontant d’un cran le niveau de guerre froide.

Cela n’empêchera pas les médias alignés de prendre la balle au bond et d’utiliser cette probable intox pour en remettre une couche dans le Russia-bashing tellement à la mode depuis quelques jours. Le bêlement moraliste servant surtout à se donner bonne conscience en évitant de se salir les mains ni de reconnaître la suite d’erreurs tragiques ayant mené à cette situation – erreurs commises par ceux-là mêmes qui bêlent le plus fort – on se doute que cela ne mènera à rien mais ça occupe l’espace médiatique. L’UE vient d’ailleurs d’abandonner l’idée de sanctions envers la Russie pour son action auprès des forces syriennes à Alep. Effectivement, rendre encore plus difficile la vie des Russes n’aurait guère d’effet sur la situation des survivants d’Alep.

C’est déjà bien de le reconnaître, mais le plus terrible est l’absence totale d’intelligence stratégique de la part de l’UE. Il y a au moins deux raisons évidentes à cela, d’une part l’incompétence crasse des politiciens en charge de politique étrangère associée à la fragilité de nombreux gouvernements nationaux actuels, d’autre part le mode décisionnel de l’UE qui favorise grandement l’immobilisme. Il va falloir à un moment donné se décider d’aller soit vers une réelle intégration d’au moins certains pays intercompatibles pour obtenir une vraie puissance capable de prendre position, soit abandonner l’idée d’une puissance politique européenne et en revenir à une simple zone d’échange économique. En ce cas les pays souverains établissent des accords de coopération de politique étrangère au cas par cas, tel le traité de coopération militaire actuel entre la France et le Royaume-Uni qui n’est pas directement impacté par l’appartenance ou non de ce dernier à l’UE.

En attendant, il sera intéressant de voir ce qui va se passer dans un mois, lors de la prise de pouvoir de Donald Trump. Il a nommé le “faucon” Mike Pompeo à la direction de la CIA, un politicien professionnel opposé à l’accord US-Iran sur le nucléaire, membre de la commission d’enquête sur la tuerie de quatre américains, dont l’ambassadeur Chris Stevens à Benghazi en 2012, peu de temps après la destruction (illégale) de la Libye par la force menée par la France, en collaboration avec le RU et les USA. Commission ayant conclu à l’erreur commise par une certaine Hillary Clinton, alors Secrétaire d’Etat, pour avoir mal évalué la réalité de la menace djihadiste en Libye (6).

A quel jeu jouera la CIA sous le mandat Trump, a priori moins hostile que ses prédécesseurs vis-à-vis de la Russie, moins interventionniste mais plus idéologique que son prédécesseur, on le saura (un peu) dans quelques temps. Mais j’imagine que Trump va vite comprendre qu’il vaut mieux pour lui ne pas se mêler de trop près des sales magouilles de ce que le journaliste de l’époque Walter P. Trohan, ayant été mis au courant du projet de création de la CIA sous Roosevelt, avait appelée la super Gestapo agency (7).

Notes:

(1) http://edition.cnn.com/2016/12/15/politics/obama-russia-hacking-election/

(2) http://www.nytimes.com/2016/12/12/world/europe/russia-trump-election-cia-fbi.html?_r=0

(3) http://www.dailymail.co.uk/news/article-4039310/Wikileaks-founder-Julian-Assange-goes-offensive-claims-Russia-Clinton-emails-saying-Kremlin-NOT-source.html

(4) https://www.theguardian.com/commentisfree/2015/jun/03/us-isis-syria-iraq

(5) http://www.slate.fr/story/108165/cia-cache-choses-apres-mort-de-kennedy-cia-qui-dit

(6) http://www.huffingtonpost.fr/2016/11/18/cia-justice-securite-nationale-donald-trump-designe-les-nouveaux-hommes-cles-future-administration/

(7) https://www.cia.gov/library/center-for-the-study-of-intelligence/kent-csi/vol20no1/html/v20i1a02p_0001.htm

Et quelques autres liens sur la contrebande d’armes par la CIA:

http://www.telegraph.co.uk/news/worldnews/africaandindianocean/libya/10218288/CIA-running-arms-smuggling-team-in-Benghazi-when-consulate-was-attacked.html

http://www.latimes.com/world/middleeast/la-fg-cia-pentagon-isis-20160327-story.html

 

A propos Vincent Verschoore

Animateur de Ze Rhubarbe Blog depuis 2008.

9 réponses

  1. Bonjour, j’ai une question sur un sujet qui n’a rien à voir ; j’ai créé un blog sur wordpress et je voudrais installer des menus comme ceux qui sont sur le vôtre (à gauche, termes de taille différente sur lesquels on peut cliquer, 11 septembre 2001, ACTA, etc.). Comment s’appelle cette fonction et où puis-je la trouver ?

  2. Tant qu’à faire, disais-je (avant de cliquer par erreur sur “laisser un commentaire”), je voulais m’étonner de la fréquence du qualificatif “complotiste” comme arme à mettre fin à toute discussion ; alors que l’histoire et l’expérience montrent que les complots font – comment pourrait-il en être autrement ? – partie de l’activité humaine. J’en profite pour citer une excellente réponse de Frank Lepage quand on lui demande s’il n’est pas un peu complotiste : “Il y a deux excès à propos des complots : en voir partout et n’en voir nulle part.”

  3. “Complotiste” et ses dérivés type “négationniste” ou “malade mental” sont l’arme fatale des pseudo-journalistes politiquement corrects à cours d’arguments, dont l’un des meilleurs exemples hexagonaux est Patrick Cohen sur France Inter. Certes il existe des complotistes pur jus qui voient des trucs partout comme il existe des “sceptiques” tout aussi névrosés qui n’en voient nul part, mais on s’en fout. Le problème c’est l’amalgame fait entre une question sérieuse, par exemple au sujet du 11 septembre, et – toujours par exemple- ceux qui traquent les reptiliens ou qui considèrent que la Terre est plate. On ridiculise ainsi un réel problème que l’on refuse de voir pour des raisons éditoriales et politiques, en le mettant au niveau d’un problème idiot. Vieille technique mais toujours efficace, à tel point que des défenseurs du status quo paient des trolls hyper-complotistes qui font en sorte de ridiculiser l’ensemble du propos.
    Enfin je dis ça mais c’est surement un peu complotiste comme argument 🙂

  4. Oui, pour revenir à votre réponse sur les qualificatifs infamants et particulièrement “négationniste”, c’est l’amalgame à tous les étages ; d’une part, peu nombreux doivent être ceux qui nient carrément l’existence des camps de concentration (pour l’existence des chambres à gaz, il me semble que c’est réglé aussi) et le terme négationniste n’est rien d’autre qu’une arme absolue du langage ; et d’autre part, à en croire l’éminente historienne Françoise Chandernagor, être historien serait être révisionniste par définition, puisqu’elle revendique un exercice de sa spécialité hors de toute restriction légale (dans un long et passionnant article publié il y a quelques années dans le magazine L’histoire).

    Au fait, mon blog, quoique très éloigné du vôtre explore en partie ce qui est à mon avis un des facteurs de manufacture du conformisme français ; il s’intitule Xyloglosse (Fiction,mensonges et littérature) et je l’ai créé en partie pour publier en extraits un essai critique que j’ai écrit sur la dissertation telle qu’on l’apprend en secondaire ; véritable carcan censé enseigner l’exercice de l’esprit critique mais dont les effets sont exactement inverses à mon avis (cela dit je ne suis pas du tout universitaire et le ton de mon texte est satirique). Sachant que vous vivez en France depuis longtemps, je ne sais pas si vous êtes familier de cette discipline exotique. Je suis moi-même dans la situation inverse : français vivant à Bruxelles depuis plus de vingt ans.

    Au cas où :

    https://xyloglosse.net

    Sur le thème de la dissertation, voir les articles Dissertation et double contrainte

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