Mélenchon, là où ça coince.

Personnellement j’aime bien Méluche pour son côté rentre-dedans et un diagnostique général de ce qui ne va pas en France, en Europe et dans le monde avec lequel je suis globalement d’accord. Je suis également globalement d’accord sur un certain nombre de points du programme JLM2017, en particulier l’avènement d’une 6ème république adaptée à la réalité contemporaine et capable de réduire très fortement la corruption et les situations de rente inhérentes au système actuel. Le remplacement du nucléaire par du renouvelable aussi, bien sur. Nous ne sommes qu’au début d’une catastrophe nucléaire à Fukushima qui va durer des siècles, et l’argument “d’accident impossible ici” n’est qu’une dangereuse illusion – surtout à l’ère des drones capables de porter des charges militaires.

On peut discuter longtemps des autres propositions, sur les retraites, la Sécu, la “règle verte” etc…, comme dans tout programme le politique propose et la réalité dispose. Non, là où ça coince vraiment c’est sur la stratégie politique d’une part, et sur l’Europe d’autre part. Et c’est sur ces aspects-là qu’apparaît la réalité de l’animal politique, le professionnel supposément anti-système qui connait et profite quand même à fond dudit système.

D’abord sur la stratégie d’accès au pouvoir: tout le monde sait, vu les chiffres donnés par l’Histoire, les sondages même à prendre avec des pincettes, et le système de scrutin à deux tours, que la seule chance pour Mélenchon d’au moins passer le premier tour est d’avoir avec lui les forces vives de la gauche. Diviser ces forces entre lui et le PS voire les Verts, et c’est mort d’office face à une droite unie et au FN. Donc, s’il voulait réellement se positionner pour le pouvoir, il devait passer par la primaire socialiste. S’il gagnait c’était jouable, s’il perdait rien ne changeait mais au moins, étant hors course, il ne participait pas à l’éventuelle défaite du candidat de la gauche issu des primaires. Que la droite ne soit plus unie du fait de la mise sous l’œil public de la corruption Fillonesque, et LR en général, qu’il ne pouvait prévoir à l’époque, n’y change rien, les électeurs déçus renforçant alors soit le centre tenu par Macron, soit le FN, qui a priori font chacun plus que lui.

Ça c’est pour la stratégie politicienne mais il y a plus grave: la stratégie face à l’Europe. Que Mélenchon fustige l’austérité et la faillite politique de l’Union Européenne sous sa forme actuelle, qu’il critique la dictature technocratique d’une UE minée par les lobbies et des intérêts occultes, et l’opacité des tractations au sein du Conseil des Ministres – le vrai coeur de l’UE – certes, nous sommes nombreux à être d’accord. Qu’il faille y remédier, oui bien sur. Mais de deux choses l’une: soit on reste dans le système européen, on en respecte les règles et traités actuels mais on s’active pour mener l’Union vers une nécessaire (r)évolution, soit on en sort et on s’assume. Mais on ne peut pas prétendre y rester tout en ne respectant pas les traités, et pire encore menacer d’un référendum de sortie, à la Brexit, si on obtient pas ce que l’on veut. Deux choses que dit pourtant Mélenchon, et ce n’est tout simplement pas crédible même si ça semble à priori raisonnable.

Ce n’est pas crédible parce que le non respect unilatéral des traités actuels ferait le jeu des pays devenus euro-illégitimes, Hongrie et Pologne, et mettrait la France en conflit profond avec l’Allemagne – pas que, mais surtout. D’autant qu’en Allemagne, dans sept mois, il y aura des élections qui vont très probablement se jouer entre Merkel, européiste par stratégie, et Schultz, européiste par conviction. Aucun recours de ce côté. Ce n’est pas crédible car en cas de référendum, il y aurait alliance inévitable avec le FN pour une sortie et donc un probable front commun pro-EU en face avec la droite, le centre et la gauche classique. Aucune chance. Et comme tout le monde saurait dès le départ que le référendum n’a quasiment aucune chance, Mélenchon n’obtiendrait rien avec ce type de chantage. Un peu comme un gamin qui tente un braquage avec un pistolet en bois peint en rouge.

Avant d’analyser la chose relisons ce que dit précisément le candidat Mélenchon (1):

Dès notre arrivée au pouvoir en mai 2017, nous désobéirons aux traités afin d’améliorer immédiatement les conditions de vie de la population et de poser les premières pierres de l’application de notre programme. Nous désobéirons en particulier aux traités budgétaires et nous nous mettrons en situation de ne pas subir de chantage du monde de la finance. Nous stopperons la dérégulation des services publics, désobéiront à la directive des travailleurs détachés et mettrons en place le contrôle des capitaux. En rompant ainsi d’emblée avec les traités, nous montrerons notre détermination à mener fermement les négociations pour une refondation radicale du projet européen.

Un bouleversement institutionnel s’en suivra, et nous pourrons présenter à nos partenaires européens nos propositions pour sortir des traités actuels, refondre intégralement les traités européens et faire de l’Union européenne un espace de justice sociale. Il s’agit de notre Plan A. Dans le même temps nous anticiperons une solution de rupture unilatérale, autour notamment du retour à la monnaie nationale et d’un protectionnisme aux frontières pour le cas où les autres États-membres de l’UE refuseraient la refonte sociale et écologique de l’UE. Il s’agit de notre Plan B. À l’issue de la phase de négociation nous soumettrons au référendum leur résultat. C’est le peuple qui tranchera.

Dans ce Plan A de mutinerie face aux règles actuelles de l’UE, il est dit que le but est de ne pas subir le chantage du monde de la finance. Malheureusement, vu que dans le Plan A la France reste dans l’Euro, et a fortiori dans l’UE, c’est surtout le monde de la finance qui va se gaver sur le dos de la France! Aujourd’hui, la France a besoin d’emprunter pour faire face à ses dépenses, dépenses qui sous Mélenchon ne peuvent qu’augmenter, en tout cas à court et moyen terme, sans contrepartie évidente. Si la France se met dans une posture de non-respect des traités qu’elle a signé, elle détruira la confiance que les marchés financiers peuvent avoir en elle et sera obligée d’emprunter à un taux plus important, voire carrément un taux d’usure, enrichissant d’autant ledit monde de la finance (qui perçoit l’intérêt payé sur l’emprunt, à savoir qu’actuellement l’ensemble de l’impôt sur le revenu des Français sert à payer les intérêts d’une dette qui croît de l’ordre de 2 600 euros par seconde…) et alourdissant encore plus le poids de la dette et de la fiscalité. Ce qui est parfaitement contre-productif. Pour éviter cela, il faut sortir du marché financier et recréer une monnaie souveraine gérée par une banque de France qui rétablirait la planche à billets. Donc, passage obligé au Plan B.

Pourquoi pas: la Chine, les US, l’Inde, le Japon, l’Angleterre ont tous une monnaie nationale et la main sur la planche à billet, qu’on appelle aujourd’hui quantitative easing. A titre personnel je suis tout à fait en faveur d’une souveraineté monétaire, à la condition d’être correctement gérée…

Mais si le Plan A n’est en réalité que l’antichambre du Plan B, et je ne vois pas comment il pourrait en être autrement à moins que la France ne se découvre soudainement de vastes réserves pétrolières ou la potion magique, le fait de soumettre le Plan B à référendum revient à dire que la politique menée par une France sous Mélenchon serait d’office soumise à référendum, qu’il perdrait très probablement (2). Alors autant y aller tout de suite, et pourquoi Mélenchon ne propose t’il pas d’emblée la sortie de l’UE, un “Frexit”, ou au moins une sortie de l’Euro? Au moins les choses seraient claires.

Si j’étais machiavélique je dirais que le but de l’opération en cours est d’envoyer le FN se salir les mains en provoquant une sortie, sinon de l’UE au moins de l’Euro, et récupérer ensuite les morceaux d’une France traumatisée par une gestion FN mais qui aurait en même temps retrouvé une forme d’indépendance monétaire. Mais là je spécule. Reste qu’une politique européenne basée sur la dénonciation unilatérale de certains traités, associée à un chantage au référendum, n’a à mon avis aucune chance de fonctionner et que je trouve bien dommage qu’un programme aux nombreux aspects intéressants se saborde tout seul à travers, d’une part, une stratégie politique nationale condamnée d’avance et, d’autre part, une stratégie face à l’UE quasi infantile.

 

Notes

(1) https://www.lepartidegauche.fr/?p=2773

(2) http://www.lemonde.fr/europe/article/2016/03/12/une-majorite-de-francais-souhaite-un-referendum-sur-le-frexit-la-sortie-de-la-france-de-l-ue_4881768_3214.html

 

 

 

 

 

A propos Vincent Verschoore

Animateur de Ze Rhubarbe Blog depuis 2008.

1 réponse

  1. Nicolas

    Bonjour,

    Moi aussi j’avais quelques doutes sur la stratégie européenne, puis je suis tombé sur ce débat passionnant, entre Coquerel et Piketty, précisément sur ce sujet. Regardez-le et si cela vous en dit, nous en discuterons ensuite: https://www.youtube.com/watch?v=DaAlM7ot_5w
    Au fond, c’est à mon avis sur la définition de l’échelle démocratique (les contours et la légitimité d’un “peuple”) que la distinction porte; et c’est fondamental. En complément, vous pourriez aussi écouter la dernière interview de Chantal Mouffe sur France culture, qui expose très clairement ce problème: https://www.franceculture.fr/emissions/la-grande-table-2eme-partie/la-gauche-et-le-peuple

    Voilà, au plaisir de vous relire..

    Bien à vous

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