Trump, l’Arabie et la connexion juive

Le discours de Donald Trump du 21 mai (1) à Riyad vantant le “magnifique royaume”, la “grâce des hôtes” et la “splendeur du pays” au sujet d’un royaume totalitaire, misogyne à l’extrême, esclavagiste, prosélyte de la mouvance islamiste la plus radicale qu’est le wahhabisme, banquier de longue date du terrorisme sunnite et assassin des Houthis du Yémen, restera sans doute un monument d’ignorance, d’hypocrisie et de vénalité rarement atteint, même pour un président américain. D’où le besoin de comprendre ce qui se joue réellement dans cet infâme léchage de babouches.

Pour paraphraser Henri IV, 400 milliards de dollars de contrats valent bien une messe, et l’on pourrait s’arrêter là. Sauf que là n’est que la partie visible et que cette visite redessine en fait toute la politique US au Moyen Orient en la replaçant fermement dans son cadre traditionnel d’un axe US-Arabie et le monde sunnite- Israël face au monde chiite ou non alignés. Cet axe-là, aujourd’hui, comprend l’Iran, la Syrie, le sud-Liban, l’Irak ou ce qu’il en reste, et bien sur la Russie. La politique d’Obama visant à dynamiter la ligne de front en ramenant l’Iran dans le concert des nations fréquentables tout en se détachant des encombrants saoudiens, a volé en éclats. Cette politique, évidemment, personne n’en voulait hors Obama, l’Europe et les Iraniens, et il n’aura pas fallu longtemps pour en revenir au business as usual. Le fait que Trump accuse l’Iran de tous les maux à partir d’une tribune saoudienne, alors que l’Iran vient de réélire un Président progressiste et n’est associé à aucun attentat terroriste en Europe ou aux USA – tous le fait de sunnites -, montre à quel point le monde d’Orwell est aujourd’hui une réalité tangible. 

Ce retour au confort d’une ligne de front traditionnelle à été payé au prix fort par les wahhabites:  même pour les saoudiens, 400 milliards de dollars ça commence à faire beaucoup vu l’état assez catastrophique de leurs finances (2): la chute des cours du pétrole, le coût de la sale guerre au Yémen et l’obligation d’acheter constamment la paix sociale au sein du royaume font rapidement baisser le niveau de la mer de dollars saoudiens. Et sous les dollars, le sable. On peut penser qu’au delà du contrat d’armes évalué à un peu plus de 100 milliards, le reste relèverait d’une dépense d’investissement avec un objectif de rentabilité économique.

Un autre aspect remarquable du discours de Trump est ses références au passé antique de la région: l’Égypte des pyramides, Petra en Jordanie, le berceau civilisationnel que fut l’Irak…. toute choses ayant eu lieu avant l’avènement des Arabes à proprement parler, qui ne sont sortis du désert d’Arabie qu’au 7ème siècle pour remplacer les cultures indigènes par l’arabisation et l’islam. Ironie ou ignorance c’est à voir, mais mentionner les pyramides plutôt que les grands empires et les découvertes des scientifiques arabes, une réalité jusqu’au déclin du monde islamique à partir du XIIème siècle, c’est quand même se payer, l’air de rien, la tête des saoudiens! Pire encore, Trump en appelle à l’éradication des terroristes et des extrémistes islamistes depuis la tribune de ces mêmes extrémistes… Espère t’il que les wahhabites saoudiens vont se suicider en masse?

Trump n’a évidemment aucune idée de l’histoire arabe et ne fait ici que lire un discours préparé par celui qui a écrit la plupart de ses discours récents, un certain Stephen Miller aujourd’hui conseiller politique du président. Miller est un Juif conservateur, un routard de la droite dure américaine: avant de s’associer à Trump, pour qui il a notamment écrit le discours inaugural et mis au point le muslim ban aux premiers jours de la présidence, Miller fut entre autre le directeur de communication de Jeff Sessions, un pur et dur de la droite US aujourd’hui nommé Avocat Général par Trump. Pour Miller, Daech, Al-Qaïda, les Houthis, le Hezbollah et le Hamas sont tous à mettre dans le même sac, peu importe que l’existence du Hamas soit due à l’expulsion des Palestiniens pour créer Israël en 1948, ou que le Hezbollah résulte de l’invasion israélienne du Sud-Liban en 1982. Face à cela, évidemment, pas un mot de travers sur Israël et les territoires occupés, la bande de Gaza, l’annexion du Golan ou la politique d’apartheid (4).

C’est là où pointe la connexion juive: Miller est un élément important de l’équipe de Trump, mais sans doute pas aussi important que Jared Kushner qui cumule les titres de haut-conseiller au président Trump, beau-fils du président (il est marié à Ivanka Trump et est, comme Trump, fils de magnat de l’immobilier), milliardaire, et Juif conservateur. Le tandem Miller-Kushner est décisif dans le rapprochement avec Israël et son président d’extrême-droite Benjamin Nétanyahou. Nétanyahou et Kushner sont de grands amis personnels du fait des liens anciens entre Nétanyahou et le père de Jared, Charles Kushner, qui selon la légende aurait prêté son propre lit à son ami Benjamin lors d’un séjour de ce dernier à leur résidence de Livingston, New Jersey.

L’actuelle visite au Moyen-Orient de Donald Trump a été organisée par Jared Kushner (3) et vise, naturellement, la préservation des intérêts US tout autant que ceux des israéliens. Pas étonnant que Trump en soit resté à de vagues allusions à la paix dans le conflit israélo-palestinien ou ne parle pas d’un possible Etat palestinien. Certes il a quand même payé une petite visite à Mahmoud Abbas à Bethléem, pour ensuite – une première pour un président US en exercice – déposer une prière dans une fente du mur des Lamentations, kippa sur la touffe. Plus pur signe d’allégeance que cela, tu meurs. Bravo Jared.

Les Israéliens, dont le seul ennemi régional potentiellement sérieux est l’Iran, ne peuvent que se réjouir de se retour au pas de charge au front traditionnel USA-Arabie-Israël face à l’Iran, peu importe que cela se fasse sur le dos de tout espoir réaliste de paix dans la région. Trump a en effet réaffirmé son intention d’interdire à l’Iran toute possibilité de développer l’arme atomique, ouvrant la porte a de possibles actions militaires contre l’Iran s’il existait des soupçons en ce sens. Soupçons que les services secrets US et israéliens n’auront jamais aucun problème à inventer si nécessaire.

L’Amérique, l’Arabie saoudite et Israël ont tout trois besoin de maintenir un état de guerre permanent pour contenir leurs sociétés civiles lézardées, pour ne pas dire profondément fracturées. L’état de guerre engendrant l’état d’urgence et son cortège d’omnipotence policière et de déni des droits fondamentaux “au nom de la sécurité”, son alimentation reste un élément central pour la survie de ces régimes pauvres en légitimité.

 

Notes:

(1) http://edition.cnn.com/2017/05/21/politics/trump-saudi-speech-transcript/

(2) https://zerhubarbeblog.net/2015/09/30/un-fin-espoir-de-changement-en-arabie-saoudite/

(3) http://www.jpost.com/American-Politics/Jared-Kushner-will-broker-Middle-East-peace-at-the-White-House-says-Trump-478554

(4) https://zerhubarbeblog.net/2017/03/21/syrie-israel-semmele/

A propos Vincent Verschoore

Animateur de Ze Rhubarbe Blog depuis 2008.

7 réponses

  1. Sun Tzu

    Bonsoir Vincent, toujours un plaisir de venir sur votre blog ! Ceux qui pleurent sur l’attentat de Manchester (légitimement, des enfants ont perdu la vie) vont ensuite décerner des Légions d’Honneur aux principaux financeurs du terrorisme et aux propagateurs de cette version la plus haineuse et imbécile de l’islam, le wahhabisme, dont le fondateur pratiquait le shirk (faut-il le rappeler).. Et selon BHL critiquer Israël c’est de l’antisémitisme ! En revanche, critiquer le peuple, les ouvriers, nos traditions, toutes nos relations sociales et nos cultures hors-aliénation marchande bizarrement c’est jamais de la «gallophobie» !

    Le constat est hélas clinique… Nous sommes dirigés par des psychopathes manipulateurs et mégalomanes, qui n’auront de répit que quand le monde acceptera la non-société totalitaire qu’ils veulent imposer. Malgré tout, c’est un Empire tremblant, alors gardons espoir 🙂

    1. Bonsoir Sun Tzu, merci de passer! Je ne sais pas si nos dirigeants, sauf quelques exceptions, sont à ce point manipulateurs et mégalo. Je pense que c’est plus une forme d’autisme intellectuel qi fait qu’l leur est impossible de comprendre que les valeurs universalistes occidentales, même le peu qu’il en reste, ne rentrent pas du tout dans le cadre de cultures qui n’en ont pas accouchés par elles-même.

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