Comeydie au Sénat américain.

Hier à Washington se tenait l’audience publique de l’ex patron du FBI, James Comey, embauché à ce poste par Barack Obama en 2013 et brutalement licencié par Donald Trump le 7 mai 2017. Audience organisée par la commission d’investigation du Sénat dans le cadre de l’enquête en cours sur les supposées tentatives par les Russes d’influer sur la dernière élection présidentielle. Cette enquête a un certain nombre de tiroirs, notamment la supposée attaque cybernétique contre le serveur mail des Démocrates pendant la campagne d’une part, et d’autre part la teneur des relations entre Russes et le général Michael Flynn, initialement nommé par Trump comme conseiller à la sécurité nationale, mais obligé de démissionner du fait d’allégations de mensonge sur ce qu’il a effectivement pu dire aux Russes. Mais aujourd’hui le principal tiroir est la possibilité d’associer l’éviction de Comey à une tentative d’obstruction de justice de la part de Trump, et d’utiliser cela comme point de départ pour une procédure de destitution du président américain.

Pour James Comey, son éviction est due à son refus d’enterrer l’enquête sur Flynn. Enterrement que lui aurait “suggéré” Trump lors d’un tête-à-tête, en lui faisant comprendre que l’affaire russe lui pourrissait la vie, que Flynn était un good guy et qu’il serait bon de le laisser tranquille. Toute la question, donc, tourne autour de ce qui a effectivement été dit par Trump, et si ce qu’il a dit relève d’une tentative d’obstruction de justice.

Trump n’étant pas appelé à témoigner, nous n’avons que les dires de Comey rapportant les paroles de Trump, et son interprétation desdites paroles. Les questions de la commission du Sénat, en tout cas pour la partie publique qu’il nous est donné de voir car il y a une autre partie tenue à huis clos, ont beaucoup tourné autour de ce que Trump a pu dire, de comment Comey a réagi, et de la nature de la supposée menace russe. L’entièreté de la séance est visible en ligne (1) et livre quelques éléments forts intéressants sur les relations entre le FBI et la Maison Blanche, la mentalité Trump et la posture d’un patron du FBI. Mais surtout sur la comédie du pouvoir entre les différentes entités en présence.

Un aspect immédiatement marquant de la séance est la révérence de chaque sénateur de la commission envers l’ex boss du FBI, le remerciant de participer à l’audience, le félicitant pour son excellent travail et le présentant généralement comme un symbole de l’esprit américain. James Comey est un avocat, puis procureur général sous G.W. Bush, puis avocat général pour Lockheed Martin puis idem pour le fond d’investissement Bridgewater, avant d’intégrer le FBI sous Obama après un bref passage comme prof de droit à la Columbia Law School. Comey est un expert en droit, il connait très bien le Deep State (2) américain et, de part le FBI, il est sans doute au courant des nombreux squelettes qui ornent les somptueux placards des politiciens américains – d’où les flots d’éloges de ces derniers avant de passer aux choses sérieuses, à savoir les questions posées tour à tour par une dizaine de sénateurs issus des deux partis.

D’entrée, James Comey se présente en homme intègre faisant son boulot d’investigateur impartial dans une affaire d’ingérence étrangère très sérieuse, ayant résisté à une possible tentative d’obstruction de justice du nouveau président, et ayant été lâchement viré avec une mise en cause de son intégrité personnelle et pire encore, de l’intégrité du FBI. Un FBI présenté comme professionnel, impartial, dédié à la sécurité du pays et peuplé de gens formidables, doux et sensibles (j’exagère à peine) susceptibles de “souffrir” des accusations de déloyauté formulée à l’encontre de leur chef par le nouveau président. C’est le premier acte burlesque de l’audience, partie d’ailleurs fort bien jouée par Comey: l’image du preux chevalier alors que le FBI est, comme tous les services secrets américains, une entité mafieuse peuplée de criminels professionnels, de menteurs et de manipulateurs agissant au profit d’intérêts n’ayant généralement pas grand chose à voir avec l’intérêt général du peuple américain.

Certes en surface le FBI fait son travail de police et s’en prend à de réels criminels, espions, terroristes ou réseaux mafieux agissant sur le territoire US, mais au sous-sol il manipule l’opinion publique et la politique américaine en bloquant certaines informations ou enquêtes, et en créant de toutes pièces d’autres éléments visant à créer une “réalité alternative” justifiant le renforcement de l’emprise policière sur la société américaine. Emprise dont il bénéficie directement en termes de moyens et de liberté d’action.

Cela, ce n’est évidemment pas moi qui l’invente. On trouve de multiples récits et témoignages des capacités de manipulation du FBI au fil du temps, et ce aussi bien dans les médias alternatifs que mainstream tel le Washington Post (3). Il y eut bien sur la longue période Hoover, de 1924 à 1972 (4), qui façonna le FBI et dont le génome perdure toujours: la fin justifie les moyens et cette fin est, comme pour toute institution, l’obtention et la défense de ses privilèges bien avant le service au public qui la finance.

Chantage, mise en boîte (framing), espionnage, assassinat font partie de la panoplie de tout bon chef du FBI.  Il y eut avant les événements du 11 septembre 2001 le blocage systématique par le FBI de toutes les informations en provenance du Moyen Orient de la préparation d’un attentat majeur à l’aide d’avions de ligne, ainsi que la non-intervention auprès des apprentis pilotes saoudiens pourtant repérés sur le sol américain. Tout ceci est relaté par un témoin direct, une traductrice des langues du moyen-orient employée par le FBI et qui se rendis compte, après les attentats, qu’aucun des nombreux rapports reçus des gens de terrain qui informaient de l’opération en préparation, qu’elle avait traduits, n’avaient été pris en compte. Elle enquêta elle-même sur les raisons du blocage, pour rapidement se retrouver virée du FBI, menacée, interdite de parler (gag order) mais trouva néanmoins le courage d’écrire son histoire sous le titre Classified Woman (5). Cette affaire est un élément de la thèse selon laquelle l’administration américaine, ainsi que le FBI et la CIA, voulait que l’attaque du 11 septembre ait lieu afin de justifier la mise en place du Patriot Act et la guerre contre l’Irak, et qu’il ont tout fait pour en maximiser l’impact. Guerre dont on connaît les ravages et qui permis l’émergence de l’Etat Islamique sur les ruines du régime irakien de Saddam Hussein.

Plus près de nous, les révélations du journaliste d’investigation américain Trevor Aaronson démontrent comment le FBI crée de toutes pièces des attentats terroristes aux USA afin de renforcer le sentiment de peur et son image de glorieux défenseur du Homeland.  Aaronson a même présenté ses recherches lors d’une conférence TED ci-dessous:

Voilà donc pour la réalité de ce qu’est le FBI, nécessaire mise en contexte pour suivre la suite de l’audition de James Comey. Loin de moi l’idée de décrire cette audition où les sénateurs et sénatrices questionnèrent, poliment, l’ex patron sur ces quelques conversations privées avec Trump, mais j’en retiens une poignée d’éléments clés.

  1. L’affirmation solennelle par Comey que les Russes ont tenté d’influencer les élections américaines de 2016, sans pour autant en dévoiler la moindre preuve. Toute preuve et toute information réellement intéressante étant, par principe, classifiée et donc hors de portée du grand public. Ce qui pose clairement la question de l’idée même de démocratie quand le peuple est interdit d’accès à ce qui est réellement important, mais c’est un autre débat qui est loin d’être un problème uniquement américain.
  2. Le fait que tout tourne autour de la supposée demande de Trump, qui aurait dit à Comey qu’il “espérait” que le FBI allait lâcher Flynn. La formulation d’un tel espoir est-elle un ordre déguisé, et à ce titre une tentative d’obstruction de justice? That is the question.
  3. Le fait que Comey a fait dans le cas de Trump une chose qu’il n’avait jamais faite auparavant: il a minutieusement noté les détails de chaque conversation privée avec Trump dans des mémos non classifiés, qu’il a ensuite fait fuité – suite à son licenciement – à la presse via un de ses amis, professeur à la Columbia Law School. C’est là où l’on commence à comprendre la bataille personnelle qui se joue entre Trump et Comey. Ce dernier a justifié cet acte en arguant des circonstances très spéciales (invitation à dîner, conversations en tête-à-tête avec Trump), du sujet gravissime (la supposée ingérence Russe) et du “caractère” de Trump, qu’il considère instable et susceptible de mensonge. Ce à quoi certains sénateurs lui ont demandé, à juste titre, pourquoi il n’avait pas remis Trump à sa place directement lors de ces conversations (la première ayant eu lieu avant que Trump n’entre en fonction), pourquoi il avait attendu d’être viré pour sortir cette affaire, et pourquoi Trump l’aurait viré alors même que cela ne change rien au fait que l’enquête sur l’affaire russe de toutes façon. Réponse de Comey: j’ai été surpris, intimidé, et n’ai pas su comment réagir. Comme si un type de la trempe de Comey pouvait être “intimidé” par un type comme Donald Trump, sur lequel il doit avoir une pile de dossiers de plusieurs mètres de haut!
  4. De nombreuses fuites ont eut lieu au cours de cette enquête, loin d’être finie, sauf une: Comey a confirmé avoir dit à Trump, à l’époque, qu’il n’était pas personnellement sous investigation. Flynn l’était, et sans doutes certains autres éléments de l’équipe Trump, mais pas Trump lui-même alors que les médias anti-Trump ne se sont jamais gênés pour associer Trump à la supposée cinquième colonne russe. Pourtant le fait de la non-implication de Trump n’a jamais fuité.
  5. Un moment assez peu ordinaire se présenta quand l’un des sénateurs demanda à Comey si, pour un agent du FBI, la dénonciation de tout crime ou suspicion de crime dont il aurait vent relevait d’une obligation. Ce à quoi Comey répondis, à la surprise du sénateur, que cela ne relevait pas d’une obligation légale, mais faisait partie de la culture de la maison. Autrement dit, rien en droit n’oblige un agent du FBI de dénoncer une activité illégale, ce qui d’une part permet à Comey de se défendre de n’avoir pas immédiatement dénoncé la supposée tentative d’obstruction de justice de Trump dans l’affaire Flynn, et d’autre part protège l’ensemble des agents du FBI qui constatent chaque jour les opérations illégales voire criminelles du FBI, de la police et des services secrets américains en général.
  6. Pour terminer, l’intervention du sénateur McCain suscita un certain étonnement car il s’efforça, avec un comique digne de Charlot, de faire un lien entre le blanchiment de Hillary Clinton dans l’affaire du serveur mail privé (elle utilisa un serveur non protégé dans le cadre de ses fonctions de secrétaire d’Etat) et l’acharnement sur l’équipe de Trump. Difficile de voir le rapport entre les deux affaires hors le fait qu’elles sortirent toutes les deux pendant la campagne présidentielle et furent traitées par le FBI, mais McCain s’était visiblement donné pour mission de brouiller les pistes en associant à Comey un rôle de partisan en faveur de Clinton et contre Trump – alors que c’est Comey qui avait ouvert l’enquête sur le serveur de Clinton… Bref, quelques minutes de grand n’importe quoi en fin de session pendant lesquelles même moi ai pu penser que l’étonnement de James Comey n’était pas feint.

L’affaire est loin d’être terminée, et la partie réellement intéressante de l’audition se déroulant à huis clos on ne risque pas de connaître le fin fond de l’histoire avant longtemps. En tout cas le débat est lancé entre les tenants de l’ordre déguisé de Trump à Comey relevant de la tentative d’obstruction de justice et, donc, de justification à une procédure de destitution, et de l’autre côté ceux qui estiment qu’un président dans la situation de Trump, non personnellement mis en cause par l’enquête sur les Russes, a bien le droit d’exprimer un “espoir” de voir le FBI lâcher Flynn, son conseiller à la sécurité nationale. Et que si Comey avait réellement pensé que Trump faisait une tentative d’obstruction, il n’aurait pas attendu d’être viré pour le faire savoir. Ce avec quoi j’aurais tendance à être d’accord, l’éviction de Comey n’ayant fait que rajouter de l’huile sur le feu. Si un Président américain veut stopper une enquête qui ne le concerne par personnellement, comme c’est le cas dans l’affaire Flynn, il est capable de le faire en utilisant la bonne manière: passer par l’avocat général (échelon hiérarchique intermédiaire entre le chef du FBI et le Président) qui peut lui-même ordonner au FBI de lâcher l’affaire. L’avocat général est nommé par le Président et est donc a priori son allié, peu susceptible d’éventer les conversations privées qu’il pourrait avoir avec lui sur des sujets sensibles.

Nous sommes donc face à une affaire a tiroirs, tiroirs pleins de déclarations mais dénués de l’ombre d’une preuve, que ce soit au niveau de la supposée ingérence russe ou la volonté d’obstruction de Trump. Il y a clairement un enjeu personnel entre Trump et Comey, d’autant que Trump s’est longtemps montré dithyrambique à l’égard de Comey avant de le virer brutalement. James Comey ayant appris son licenciement en regardant la télévision, donc de manière humiliante, je comprend qu’il puisse en vouloir à mort à Trump et qu’il fasse tout pour le descendre. Mais ces enjeux de personnes n’arrivent pas seuls et il se joue en même temps quelque chose dans la relation de pouvoir entre la Maison Blanche et l’Etat Profond (2) et, donc, du contrôle des agences de domination que sont le FBI, la CIA et la NSA.

 

Notes:

(1) https://www.youtube.com/watch?v=bii0p9AnBEE

(2) https://zerhubarbeblog.net/2017/03/16/letat-profond-et-autres-cancers/

(3) https://www.washingtonpost.com/opinions/the-dark-side-of-hoovers-fbi/2016/01/08/1130ee1e-b3f3-11e5-8abc-d09392edc612_story.html

(4) https://fr.wikipedia.org/wiki/J._Edgar_Hoover

(5) https://en.wikipedia.org/wiki/Sibel_Edmonds

 

A propos Vincent Verschoore

Animateur de Ze Rhubarbe Blog depuis 2008.

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