Au bal masqué des trous noirs.

Courant 2017 nous devrions obtenir la première image d’un trou noir, celui censé habiter le centre de notre galaxie. Un ensemble de télescopes réunis sous le projet Event Horizon Telescope devrait photographier ce fameux trou noir et en confirmer la présence. Car autant l’hypothèse de l’existence de trous noirs, dérivée de la relativité générale d’Einstein et renforcée par de nombreuses observations depuis lors, semble solide, autant nous n’en avons toujours pas la preuve formelle. Un doute subsiste, celui que le trou noir ne soit que le costume de bal masqué revêtu par autre chose.

Un élément central du doute relève de la notion même de trou noir, qui est une sorte d’avale-tout cosmique dans lequel tout ce qui tombe ne pourra plus jamais ressortir, même la lumière – ce qui fait que le trou noir est bien noir. Jusque là tout va bien et ce trou noir est compatible aussi bien avec la relativité d’Einstein qu’avec la mécanique quantique, mais Stephen Hawking a démontré que les trous noirs, une fois qu’il ont dévoré tout ce qui se tenait à portée, fondent – c’est le fameux rayonnement de Hawking. Et en ce cas toute l’information qui sera tombée dans le trou noir, où elle continue d’exister, fini par disparaître du fait de cette fonte, ce qui va à l’encontre d’un principe fondamental de la physique quantique qui est la préservation de l’information.

A ce problème les chercheurs tentent bien entendu de trouver un échappatoire, et Hawking a notamment proposé un mécanisme par lequel l’information resterait stockée au niveau de l’horizon du trou noir, et remise à l’univers à travers, justement, le rayonnement de Hawking (1). Hypothèse qui génère d’autres problèmes. Plus exotique encore, un trou de ver dont l’entrée serait le trou noir, avec de l’autre côté un “trou blanc” restituant l’information précédemment captée.

Les idées ne manquent pas, mais leur pertinence dans la réalité est loin d’être démontrée. Chose fort ennuyeuse car si le trou noir mange définitivement l’information c’est qu’il manque quelque chose à la physique quantique, mais quoi? Ces questions motivent certains chercheurs à se demander si ce que nous pensons être des trous noirs le sont réellement. Les effets gravitationnels sont réels, chose qui fut encore récemment démontrée par l’expérience LIGO et la détection d’ondes gravitationnelles (2). Ces ondes correspondent aux prévisions faites sur base d’étoiles supermassives entrant en collision, étoiles dont nous n’avons pas de traces visibles mais qui existent en termes de champ gravitationnel – autrement dit des trous noirs.

Mais ces effets d’ondes gravitationnelles, et tous les effets associés aux trous noirs, pourraient-ils avoir une autre origine, et spécifiquement une origine compatible avec le principe  de sauvegarde de l’information?

L’alternative proposée est une étoile à bosons, bestiole hautement hypothétique jusqu’à la découverte du fameux boson de Higgs, le premier boson identifié disposant d’une masse et donc ouvrant la voie à la possibilité d’étoiles constituées de ce type de particules. L’autre boson bien connu est le photon, la particule de lumière, mais n’étant pas dotée de masse elle ne peut s’agréger en étoile. Un boson diffère de nos particules habituelles (électrons, protons, etc…), appelées fermions, par le fait qu’il n’est pas soumis aux règles atomiques (notamment la principe d’exclusion de Pauli, qui interdit à deux particules d’occuper le même niveau d’énergie) qui permettent à la chimie d’exister. Les fermions créent, de par ces règles, des structures aux propriétés spécifiques (les atomes et molécules) qui permettent à la matière et à la vie d’exister. Une matière créée à base de bosons n’a pas de structure, c’est juste un amas de particules pouvant être extrêmement dense (important pour pouvoir simuler les caractéristiques d’un trou noir) tout en restant transparente et donc invisible contre un fond noir. On appelle cela un condensat de Bose-Einstein, mais qu’il faut imaginer ici à l’échelle d’une étoile.

Il faudrait également savoir à quel type de boson on aurait affaire. Le photon est trop léger, le Higgs trop lourd, mais existe théoriquement une famille de bosons appelés axions, dont nous n’avons pour l’instant aucune évidence matérielle, mais dont la masse serait sans doute compatible avec la formation de ce type d’étoile.

Autre intérêt de la piste des bosons futés est l’aspect matière noire: la physique est toujours à la recherche de candidats recevables pour expliquer la supposée matière noire, censée constituer la majeure partie de la masse de l’univers. Des milliards d’étoiles supermassives à base de bosons pourraient faire partie de la solution. La mise au conditionnel de cette phrase vient du fait qu’il existe d’autres pistes pour expliquer cet apparent surplus de masse appelé matière noire ou matière sombre, que ce blog à présenté à plusieurs reprises (3).

Nous aurions donc un type d’étoile transparente et massive capable de générer les effets gravitationnels associés aux trous noirs, mais sans en être un. La matière captée par l’étoile a bosons pourrait même rester visible à l’intérieur de l’étoile, d’autant que si elle est en rotation sa forme la plus probable ne serait pas une sphère mais un tore, la forme du donut. Pas de verbalisation quantique non plus vu que l’information captée n’est pas détruite. Alors comment savoir?

C’est là tout l’intérêt du Event Horizon Telescope: si ça marche, le type d’image que l’on pourra récupérer pourrait donner des indices sur la nature de l’objet photographié. Si on y voit un rond noir, on en saura pas beaucoup plus et cela renforcera l’hypothèse trou noir classique. Si on voit un rond noir avec quelque chose au centre, les quelques tenants actuels de la piste bosonique pourront soumettre leurs dossiers de recherche aux institutions en vue d’un sérieux refinancement.

 

Notes:

(1) https://zerhubarbeblog.net/2015/09/14/la-bataille-de-linformation-des-trous-noirs/

(2) https://zerhubarbeblog.net/2016/02/11/ondes-gravitationnelles-le-son-de-lespace/

(3) https://zerhubarbeblog.net/2016/09/01/la-matiere-noire-simple-particule-exotique-ou-nouvel-univers/

A propos Vincent Verschoore

Animateur de Ze Rhubarbe Blog depuis 2008.

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