Cédric Herrou, aide aux migrants et contestation à la loi.

L’implication de Cédric Herrou dans la tragédie des migrants bloqués à la frontière franco-italienne fait régulièrement les titres de la presse: plusieurs passages en garde à vue, une condamnation à 3000 euros d’amende avec sursis en février et, aujourd’hui, par la cour d’appel d’Aix-en-Provence, une condamnation à quatre mois de prison avec sursis (1). Motif: avoir aidé quelques deux cents migrants à passer la frontière en fraude via la vallée de la Roya. Cédric Herrou héberge par ailleurs un flux continu de migrants sur sa ferme, aidé en cela par des associations locales qui assistent ces personnes dans leurs démarches de demande d’asile, ou du moins celles qui le demandent.

Indépendamment de ce que chacun peut penser de l’action de Cédric Herrou en tant que telle, le fait est que ce monsieur accepte de prendre un risque personnel conséquent, qu’il “mouille sa chemise” au nom de son idéal sans en retirer le moindre profit, autre qu’une forme de notoriété dont il ne demande qu’à se passer. Et cela, avant tout, je le salue car autant se frotter de temps en temps à des flics drogués à l’abus de pouvoir ou des fachos en mal de boucs émissaires est une chose, autant se frotter à l’institution judiciaire et sa monstrueuse capacité à briser les vies en est une autre.

D’où l’importance de tenter de comprendre ce qu’implique la décision de justice frappant Cédric Herrou, au-delà du réflexe émotionnel, pour les militants de tout poil qui s’estiment juridiquement protégés dès lors qu’ils apportent aide à la dignité et à l’intégrité physique de personnes en toute situation, même irrégulière.

Voici la justification de la décision de la cour d’appel (1):

La cour s’est rangée à l’avis du procureur comme quoi la condamnation de Cédric Herrou par le tribunal de Nice en février était “non proportionnée à l’aide apportée à plus de deux cents personnes, incohérente et de nature à encourager la récidive “ estimant que « les actions de Cédric Herrou s’inscrivaient de manière générale, comme il l’a lui-même revendiqué et affirmé clairement à plusieurs reprises, dans une démarche d’action militante en vue de soustraire des étrangers aux contrôles mis en œuvre par les autorités. Cédric Herrou ne peut en conséquence pas bénéficier des dispositions protectrices du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile », qui exempte de poursuites l’aide apportée aux étrangers en séjour irrégulier visant à leur assurer la dignité et l’intégrité physique.

Pour le magistrat, l’agriculteur ne pouvait bénéficier des exemptions humanitaires aux termes desquelles l’aide au séjour irrégulier n’est pas punissable : « Lorsque l’aide s’inscrit dans une contestation globale de la loi, elle n’entre pas dans les exemptions prévues mais sert une cause militante qui ne répond pas à une situation de détresse. Cette contestation constitue une contrepartie » à l’aide apportée.

Alors, où se termine l’aide non punissable et où débute la punissable contestation globale de la loi? C’est une question à poser aux juges et à laquelle je n’ai évidemment pas de réponse précise, mais le simple fait que cette frontière existe implique une évaluation des risques que chacun encourt quand il ou elle approche de cette zone floue.

Mon but est-il de venir en aide à ceux qui en ont besoin, au nom d’un vieux réflexe d’humain bienveillant vis-à-vis d’autres humains et qui résiste, vaille que vaille, au rouleau compresseur de la prédation militaire, policière, financière, consumériste, nationaliste ou communautariste qui ronge aujourd’hui l’humanité? Ou mon but est-il de partir d’une situation que je juge inacceptable et chercher à changer la donne, en faisant changer les lois, voire en forçant un changement de régime par une action subversive ou révolutionnaire?

Dans le premier cas on ne risque pas grand chose d’autre que des coups de matraque, un gazage et quelques heures de GAV – ce qui est déjà beaucoup trop, mais encore peu à côté du second cas, du risque de ruine et, surtout, d’emprisonnement dans les geôles insalubres que l’on appelle le système pénitentiaire français. Sans même parler de l’ouverture d’un casier judiciaire et les nombreuses limitations que ceci implique pour l’éventuelle continuation d’une vie normale.

Petite digression: C’est d’ailleurs pour cela que je suis contre l’idée d’interdire la représentation politique aux personnes ayant un casier judiciaire, car il est alors bien trop facile pour le pouvoir de monter une opération contre un opposant politique en lui collant un casier. Est-ce vraiment une bonne idée que de rendre des gens comme Cédric Herrou inéligibles? Personnellement j’en doute. Fin de digression.

Le problème de l’emprisonnement n’est pas tant la privation de liberté, à laquelle on peut, pour quelques semaines ou mois, faire face avec une bonne bibliothèque ou des cours par correspondance, voir une remise en forme physique via la salle de sport de la prison. Le problème ce sont les conditions d’emprisonnement. Les conditions de détention en France sont régulièrement dénoncées par les ONG humanitaires et même le Sénat (2). La France fut doublement condamnée en 2011 pour « traitements inhumains ou dégradants » en prison (3), puis encore en 2013 par la même cour européenne des droits de l’homme, et pour les mêmes raisons (4).

Le pouvoir français, depuis des décennies et qu’il soit de gauche ou de droite, joue la montre. L’horreur carcérale a deux avantages majeurs: ça ne coûte pas cher comptablement parlant (socialement, ça coûte en fait très cher mais c’est un autre débat), et ça peut avoir un effet dissuasif pour des gens “normaux”, vous ou moi, tentés de mettre un pied hors la loi pour l’une ou l’autre raison: risquer un mois en taule à s’emmerder, où risquer un mois en taule à se faire violer, racketter, à croupir sous une couverture badigeonnée de vieux vomi, à dix dans des cellules conçues pour trois à côté de chiottes bouchées, ce n’est pas la même chose. La réalité du système carcéral français n’est pas seulement la privation de liberté, c’est aussi et surtout la torture, l’humiliation et le traumatisme pour le restant de la vie. Ça fait réfléchir.

Pour l’instant Cédric Herrou est condamné avec sursis, mais avec la claire menace qu’au prochain épisode ce sera pour de vrai. On imagine sans peine la délectation anticipative de certains policiers et geôliers, sans parler des vrais délinquants déjà en place, à l’idée de se faire remettre pieds et poings liés un militant “pro-migrants”.

Chacun peut choisir de mettre ainsi sa vie en jeu pour une cause, et le courage consiste certainement à faire ce que l’on croit devoir faire tout en connaissant les risques. Reste qu’il faut aussi essayer de mesure l’efficacité du geste, voire la contrepartie du sacrifice de soi-même. L’immolation de Mohammed Bouazizi a eu pour effet de lancer l’insurrection tunisienne en 2010, et par la suite les événements du Printemps Arabe, dont il ne reste malheureusement plus grand chose. L’incarcération de Cédric Herrou mènerait-elle à un mouvement susceptible de modifier, en bien, quoi que ce soit à la politique d’accueil française ou européenne? Sans doute pas. Ce serait au contraire une victoire pour ceux qui veulent encore durcir les conditions d’accueil. Sans parler de la perte d’un pilier du mouvement humanitaire local.

Ceci démontre, à mon avis, la nécessaire distinction à faire entre la réponse humanitaire en tant que telle – l’implication des uns et des autres, souvent via des associations, pour venir en aide dans le cadre d’une situation spécifique – et la réponse militante ou politique qui vise à un changement de politique. A Calais, par exemple, il y a les gens qui font et distribuent à manger aux migrants, et ceux tels les No Borders qui militent pour un changement de politique. Les deux cas sont légitimes mais les objectifs, les enjeux, les méthodes et les risques ne sont pas les mêmes et il me semble nécessaire pour chacun de savoir précisément où il ou elle se situe.

L’ambiguïté est dangereuse au sens où elle donne un moyen au pouvoir de réprimer le premier au nom du second, de réprimer l’humanitaire au nom de la contestation. Le pouvoir peut espérer gêner une opération humanitaire s’il peut démontrer un lien quelconque avec une opération militante, en jouant sur cette ambiguïté. Une personne participant à un mouvement humanitaire peut se retrouver impliquée dans une opération perçue comme relevant de “la contestation globale de la loi“, dixit la cour d’appel d’Aix, et se retrouver face à un juge et risquer un bouleversement catastrophique de sa vie. Au bénéfice de qui? Pas grand monde.

Il me semble que le cas de Cédric Herrou est assez représentatif de cette situation: une démarche humanitaire qui se transforme en démarche militante impliquant des opérations manifestement hors-la-loi. Que la loi soit moralement légitime ou non, pour la changer il faut soit passer par le processus politique soit par le processus révolutionnaire, mais dans les deux cas on est plus dans l’humanitaire.

Dans le cas qui nous occupe, la question ne devrait pas être “pour ou contre l’aide humanitaire aux migrants” car cette aide peut être donnée par toute personne dotée d’un fond d’humanisme, peu importe qu’elle estime la migration “bonne” ou pas. La migration est un fait dont les racines ne sont certainement pas un appel d’air imaginaire à Calais ou dans la vallée de la Roya. Il faudrait arriver à séparer la question de l’aide de base, qui au-delà de la simple morale est une obligation internationale et ne devrait pas être remise en question, de la question politique: que faire avec ces gens, comment améliorer les conditions dans les pays d’origine, etc…

Le mélange des genres a fait qu’aujourd’hui ceux et celles qui donnent simplement un coup de main en cuisine sont traités de “pro-migrants”, alors que pas grand monde n’est vraiment “pour” ce genre de migration. La police, certaines municipalités et plus généralement l’Etat, censés représenter le droit, s’en prennent à ceux et celles qui exercent de fait le droit à la dignité, droit qu’ils devraient pourtant être les premiers à faire appliquer. On marche sur la tête.

Les forces réactionnaires au sein de l’Etat et des territoires jouent à fond de cette ambiguïté entre posture humanitaire et posture politique. A nous de clarifier, si possible, nos propres positions en en reconnaissant les enjeux et les risques.

 

Notes:

(1) http://www.lemonde.fr/immigration-et-diversite/article/2017/08/08/poursuivi-pour-aide-a-l-immigration-clandestine-cedric-herrou-attend-son-jugement-en-appel_5169880_1654200.html

(2) http://www.senat.fr/rap/l99-449/l99-44915.html

(3) http://libertes.blog.lemonde.fr/2011/01/21/prisons-double-condamnation-de-la-france/

(4) http://www.lemonde.fr/societe/article/2013/04/26/prison-la-france-condamnee-par-la-cour-europeenne-des-droits-de-l-homme_3167448_3224.html

A propos Vincent Verschoore

Animateur de Ze Rhubarbe Blog depuis 2008.

5 réponses

  1. Voici ce que publie Cédric Herrou sur sa page FB ce 8 août:

    Communiqué du 8 août 2017
    Aujourd’hui, en cour d’appel d’Aix, j’ai été condamné à 4 mois avec sursis et à verser 1000€ de dommages et intérêt à la SNCF.
    Pour rappel, j’avais été arrêté en octobre 2016 pour « aide à l’entrée et au séjour de personnes en situation irrégulière ». Il n’y a eu aucune flagrance, et aucun passage de frontière d’octobre à ce jour. Nous nous étions installés dans des locaux de la SNCF, abandonnés depuis plus de 20 ans, avec un collectif d’associations dont Médecins du Monde et Amnesty International ainsi qu’une soixantaine de demandeurs d’asile. Notre revendication : la prise en charge des mineurs isolés par la protection de l’enfance, et permettre aux demandeurs d’asile d’accéder à leurs droits. A aucun moment il ne s’agissait de « cacher » ou de « dissimuler » ces personnes, mais bien au contraire de les montrer pour tirer la sonnette d’alarme.
    Force est de constater qu’un an plus tard, la situation n’a pas changé et a même empiré. J’ai actuellement chez moi de nombreux mineurs isolés qui attendent en vain d’être pris en charge par l’Etat français, et des demandeurs d’asile coincés sur mon terrain, qu’on empêche systématiquement d’accéder à leurs droits. S’ils sortent de chez moi, ils sont sûrs d’être arrêtés et d’être reconduits directement en Italie, sans autre forme de procès. Il est grave que le département des Alpes Maritimes, pourtant frontalier à l’Italie, ne dispose d’aucune infrastructure destinée à l’accueil des migrants.
    Tous ceux qui veulent me faire passer pour un militant d’extrême gauche, un activiste no border, n’ont rien compris à la situation ici. Il ne s’agit pas d’être pro ou anti-migrants. Les empêcher de passer la frontière est utopique, et tout simplement impossible : tous passent. C’est justement pour cela que nous demandons un contrôle de ces flux, d’éviter la clandestinité des demandeurs d’asile. Notre combat juridique est respectueux des lois de la République française. C’est une lutte légale et juste, à l’image de la France, nation des droits de l’Homme.
    Mais ma condamnation ce matin montre bien les limites de l’indépendance de la justice française, et la manipulation politique qui se joue dans les tribunaux. Tandis qu’à l’heure actuelle des bateaux d’extrême droite naviguent sur la Méditerranée pour couler les bateaux des ONG, on incrimine un paysan qui se substitue à la carence de l’Etat.
    Nous alertons Monsieur le président de la République sur les dérives actuelles face au non-respect du droit d’asile dans le département.
    Je n’ai pas le choix de continuer car je considère que c’est mon devoir de citoyen de protéger des personnes en danger. La menace d’emprisonnement ne saurait entraver la liberté que je défends.
    .
    Cédric Herrou

  2. Un passant

    Le chaos des réfugiés est une farce politique orchestrée (faut-il rappeler qui est derrière les No Borders, ou qui fut derrière l’assassinat de Kadhafi, qui jugulait la migration via les frontières lybiennes ?), un chantage des plus cyniques, une escroquerie honteuse des pays occidentaux. On nous dit en substance: «approuvez la guerre en Syrie, car Bachar al-Assad, c’est le Mal. Approuvez le modèle libéral pour tous les pays et les alliés de nos fripouilleries politiques en Afrique. Mais en retour, vous devrez accepter des flux de migrants avec lesquels vous n’avez pas envie de vivre, peu importe les désavantages, ça nous fera des électeurs et des esclaves pas chers»

    Dans tous les cas, tout le monde est perdant. Déshumanisation totale d’un côté (les «mauvais» civils, les Russes, al-Assad, ses soutiens) torrents mielleux de pathos de l’autre (les «bons» civils d’Alep-Est, le petit Aylan), l’escroquerie commence à se voir, mais elle vit encore sur la gentillesse et la naïveté de quelques esprits de gauche, pétris d’humanisme, qui comme M. Herrou pensent faire une bonne action. Ce qui est naturellement le cas, à échelle humaine. Mais à échelle politique ou sociétale, c’est le cautionnement d’un chantage, l’application de la volonté des maîtres. Les Calaisiens, comme tout les Européens, ont parfaitement le droit de dire qu’ils en ont marre d’une immigration qu’ils n’ont pas choisie. En revanche, nous avons le devoir morale d’arrêter nos déprédations sur les pays de ces gens, d’arrêter les structures de domination, et de respecter le berceau de leurs civilisations, bref, de ne pas les forcer à venir à la ville en brûlant leur terre…. Sur ce point, nos dirigeants sont coupables de crimes de guerre.

    Bien cordialement

    1. Bien d’accord avec vous, sauf que le pouvoir refuse d’associer ses guerres au problème migratoire en général, d’où la nécessité du tri entre les réfugiés politiques en provenance de pays reconnus comme en guerre -où nous avons clairement une grand part de responsabilité, et les autres dits “économiques”, qui sont en réalité la majorité.

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