L’arnaque des revues scientifiques.

Le marché de l’édition scientifique, de taille comparable à celle de l’industrie du disque, est une machine idéale: les scientifiques travaillant pour les établissements de recherche, souvent financés par l’Etat, donnent leurs articles aux éditeurs, passent du temps – gratuit – dans les comités d’évaluation de ces mêmes éditeurs, qui publient ces articles dans des journaux qui sont ensuite, pour l’essentiel, achetés à prix d’or par ces mêmes établissements de recherche.

Tous ces scientifiques n’étant a priori pas des idiots, comment en est-on arrivé à une situation aussi ridicule, où ces gens achètent le fruit de leurs propres travaux à des éditeurs qui réalisent au passage des profits pharaoniques (40% de marge, plus qu’Apple!), et qui privent la plupart des citoyens d’un accès direct aux résultats de recherches payées par leurs propres impôts?

L’édition scientifique existe depuis que la science existe, mais sa forme actuelle date des années 50-60 où Robert Maxwell, un aventurier d’origine juive, tchèque de naissance mais naturalisé anglais pendant la guerre, et doté d’un extraordinaire sens des affaires, lance l’éditeur Pergamon Press. Maxwell a tout compris du potentiel du marché de l’édition scientifique. Il passe son temps à courtiser les scientifiques connus de l’époque en vue de les publier. Il crée ainsi une réputation à Pergamon, qui fait que tout le monde cherche aussi à se faire publier par cet éditeur, et que les centres de recherches, les labos, les institutions s’abonnent à Pergamon – et à quelques autres qui suivent le mouvement, tel l’éditeur néerlandais Elsevier – afin de rester au courant des recherches importantes en cours.

C’est de là que vient la désastreuse “obligation” de publier qui sévit de nos jours dans le domaine scientifique: sur les 1,5 millions d’articles qu’on lui soumet chaque année, Elsevier (le plus gros éditeur avec une part de marché mondiale de l’ordre de 25%, ayant racheté Pergamon à un Robert Maxwell au bord de la faillite en 1990) publie de l’ordre de 420 000 articles annuels. La reconnaissance passe par la publication, tout scientifique désirant faire carrière doit aujourd’hui se soumettre à l’obligation de publier souvent, même si c’est n’importe quoi.

La puissance des éditeurs et leur impact sur les choix de recherche n’échappe pas à certains scientifiques et observateurs qui tirent, depuis longtemps, le signal d’alarme. La nécessité de publier pour “exister” influence énormément ces choix car, pour l’essentiel, on essaie d’éviter les recherches trop ouvertes, qui prennent du temps sans nécessairement aboutir à quelque chose de publiable. On privilégie au contraire les recherches à relativement court ou moyen terme avec une bonne chance d’avoir un résultat concret, et ce en particulier pour les sciences appliquées comme la biologie, où une découverte peut assez vite déboucher sur un produit commercial.

De même, lors de demandes de subventions on cherche à savoir qui mène l’étude – et surtout ce qu’il/elle a déjà publié – ainsi que la durée et le résultat escompté. Si les grands scientifiques du début du XXème siècle avaient été soumis à un tel système, la science actuelle serait super-forte dans l’optimisation des machines à vapeur mais on n’en saurait pas beaucoup plus sur la physique quantique, la structure de l’univers ou la nature de l’ADN.

Mais pire que cela, cette culture de la publication à tout prix génère énormément de merde: on publie pour publier, ce faisant on met en avant ce qui semble aller dans le sens du résultat souhaité tout en occultant le reste, on manipule les résultats pour avoir quelque chose de cool à montrer aux éditeurs, et on en arrive à la situation actuelle – déjà décrite dans d’autres billets de ce blog – où entre la moitié et les trois-quarts des études publiées se révèlent être non reproductibles, biaisées, ou carrément fausses (1) et (2).

La résistance à cette course vers le bas s’organise à travers la mise en place de plateformes ouvertes où les scientifiques peuvent déposer leurs travaux, mais cela n’enlève rien à la compétition pour les publications prestigieuses telles Cell ou Nature, et l’industrie a les moyens de se battre. En 2011 est fondé le site Sci-Hub, une sorte de Napster (réseau peer-to-peer) de l’édition scientifique où l’on trouve gratuitement des millions d’études initialement parues dans des revues, désormais consultables par tous. Mais Elsevier intente un procès et l’adresse originelle http://www.sci-hub.org est fermée. Le réseau se retrouve sous d’autres adresses genre sci-hub.ac, et que l’on retrouve également sur le réseau Tor (un système d’accès à internet anonyme). La fondatrice de Sci-Hub, Alexandra Elbakyan, est poursuivie par la “justice” américaine! Comme quoi il y a des gros intérêts en jeu. Pourtant, pour Elbakyan, le droit des citoyens d’accéder au fruit des recherches scientifiques est un droit fondamental reconnu par l’article 27 de la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme (3).

Une autre initiative est arxiv.org, un site où se déposent des articles en pré-publication, cad non encore validés pour publication par un éditeur. On y trouve un bon million d’articles. Arxiv.org est actuellement hébergée par l’université de Cornell. Certes, ces articles ne sont pas évidents à comprendre pour les non initiés, d’où la nécessité  d’ouvrages ou sites de vulgarisation qui, eux, font un vrai travail: Science et Vie, Futura-sciences, New Scientist pour n’en citer que trois parmi des centaines, font l’interface entre les publications et leur compréhension par le grand public. Mais ils le feraient encore mieux si leurs sources étaient plus fiables, moins nombreuses, et moins chères.

Le marché de l’édition scientifique est un vrai scandale, une arnaque d’une part détournant beaucoup d’argent de la science vers les poches des éditeurs, et d’autre part – et surtout – un vecteur de “mauvaise science” où la course à la publication se fait aux dépens de la qualité et de la pertinence de la recherche.

 

Notes:

(1) https://zerhubarbeblog.net/2017/10/18/la-plupart-des-articles-scientifiques-nont-aucune-valeur/

(2) https://zerhubarbeblog.net/2015/06/29/la-moitie-des-etudes-biomedicales-seraient-fausses-selon-the-lancet/

(3) http://www.un.org/fr/universal-declaration-human-rights/

 

 

A propos Vincent Verschoore

Animateur de Ze Rhubarbe Blog depuis 2008.

7 réponses

    1. Robert Maxwell’s real name was Ján Ludvik Hoch. After his mysterious death in 1991 he was presented by Gordon Thomas, in his book The secret story of Mossad, as a high ranking Mossad agent. None of this is the subject of my post but his Jewish connection, in this respect, deserves to be mentionned.

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