Fake news, enjeu politique.

Emmanuel Macron entend faire voter une loi contre les fake news en réponse à ce qu’il perçoit comme les attaques illégitimes contre sa personne, par Sputnik et RT, pendant la campagne électorale pour la présidence française. Macron n’a évidemment pas inventé le terme de fake news, surtout popularisé par Donald Trump contre les médias US qui le critiquent, et notamment dans le cadre de la supposée influence russe lors de l’élection présidentielle américaine.

Un intéressant débat à écouter est celui de France Culture dimanche dernier: “Loi contre les fake news, une vraie bonne nouvelle?” (1). Les deux intervenants, Gérald Bronner et Patrick Eveno, ne répondent pas à la question mais illustrent à quel point la question n’a pas de réponse simple. Ils sont évidement issus du monde “politiquement correct” où l’opinion du Monde, justement, vaut par principe plus que celle de RT, mais ils reconnaissent par ailleurs que les gens qui consultent les sites de type RT ne sont pas nécessairement des imbéciles: ils manquent juste d’esprit critique. Et que là on n’est plus dans une question de droit, mais d’éducation et finalement de politique.

Effectivement, la problématique des fake news et avant tout une question politique, au sens premier du terme – comment et sur quelles bases idéologiques veut-on que notre société fonctionne – bien avant d’être une question juridique. Certes il y a dans le phénomène des fake news  une dimension de désinformation volontaire de la part d’agents (les trolls et autres bots visant à propager massivement des fausses infos), mais ce type d’effraction est déjà sous le coup de la loi de la presse actuelle. Loi qui date du 19ème siècle, donc pas vraiment un phénomène nouveau.

L’effet du trolling politique, en France mais même aux USA malgré la campagne anti-russe hystérique montée par les perdants de la dernière élection, est peut-être réel mais totalement marginal, le but premier de ces actions étant de générer des clics rémunérateurs via la publicité qui est associée aux publications qui font le buzz. Les gens qui ont voté Le Pen plutôt que Macron à la dernière élection consultent peut-être plus Sputnik et RT que les autres, mais ce n’est pas Sputnik ou RT qui font qu’ils ou elles votent Le Pen.

On est plutôt ici dans le fameux biais de confirmation, dont nous sommes tous victimes à l’un ou l’autre degré, qui fait que nous sommes tentés de consulter plus souvent des sites ou des médias qui pensent comme nous. Ce biais de confirmation existe depuis toujours, c’est bien pour cela qu’il existe, par exemple, un lectorat et des journaux dits “de gauche” et d’autres dits “de droite”. Il existe mais les réseaux sociaux l’ont conduit vers une forme de paroxysme, vers un monde où l’on ne se parle plus qu’entre soi et où tous les autres sont des cons. Les opinions qui diffèrent de celles du groupe sont typiquement ostracisées, leurs auteurs bloqués avec bonnes doses d’insultes par écrans interposés, et cela est vrai dans tous les registres: des groupes féministes à l’extrême-droite ou gauche en passant par, bien sûr, les sites communautaristes et/ou religieux.

Et c’est bien là que réside le problème politique: la coexistence d’opinions différentes qui ne se mélangent plus, se radicalisent “naturellement’ du fait qu’elles ne s’alimentent que par l’entre-soi, nourrit un terreau des plus favorables aux fake news. Je crois, donc je suis, dirait un Descartes désabusé. Peu importe, à l’extrême, la réalité d’une information pour autant qu’elle permette de nourrir, une heure, un jour ou un mois, un imaginaire collectif qui n’a d’autre développement possible que la disparition ou la fuite en avant.

Un sondage mentionné dans l’émission indiquerait que 15% des jeunes Français doutent de la rotondité de la Terre, ce qui est peut-être vrai mais ne sert à rien d’autre qu’a instiller un sentiment de danger justifiant de donner encore plus de pouvoir à l’Etat policier: si autant de jeunes sont aussi abêtis par la thèse conspirationniste de la Terre plate, c’est du fait des réseaux sociaux, et il fait donc limiter ces réseaux et fortement encadrer tout ce qui relève du “conspirationnisme”, au profit évidemment des positions officielles et de leurs médias dits traditionnels. CQFD.

L’utilisation de l’exemple de la Terre plate pour illustrer le fléau des fake news est en soi une forme de désinformation: la Terre plate relève d’une forme de légende urbaine, au même titre que la théorie du ruissellement en économie par exemple. Les croyants de la Terre plate sont en partie des musulmans primaires vu que le Coran, pris littéralement, laisse entendre que la Terre est plate. Les autres sont sans doute les victimes de la piteuse qualité de l’enseignement scientifique en certains endroits. Aux USA, c’est une quasi-religion en soi. Mais l’exemple, folklorique, permet de discréditer facilement toute remise en question d’autres sujets dits “conspirationnistes” autrement plus complexes et politiques.

Ce blog, par exemple, publie quelques articles sur la polémique du 11 septembre 2001, ne se satisfaisant pas de la théorie officielle – pour des raisons explicitées dans lesdits articles. Pour les chasseurs de fake news, le fait d’oser contester la version officielle, et donc remettre en cause leur vision confortable et sécurisante du monde (je suis du côté des bons, les méchants sont en face), relève du conspirationnisme et donc de la publication de fake news, non crédibles par définition.

Il est très intéressant de parcourir l’étude menée, par la fondation Jean Jaurès, sur le conspirationnisme dans l’opinion publique française (2). C’est un peu simpliste au niveau des questions mais cela donne une idée de la distribution des positions, par groupes d’age, sur certains sujets tels les vaccins, le sida ou les attentats contre Charlie Hebdo. L’étude cherche à établir une corrélation avec le positionnement politique (les extrêmes étant plus “conspi” que le centre) ou l’intérêt pour l’astrologie… On évite, évidemment, de chercher à comprendre pourquoi entre un tiers et la moitié de la population met en doute certaines versions officielles, partant du principe que la non-croyance en la thèse officielle relève d’une forme de maladie. Posture très orwellienne en fait, le pouvoir ayant toujours raison – par définition.

Marianne publie par ailleurs une sérieuse critique de cette étude (2bis).

Les fake news sont l’envers de la pièce du politiquement correct, sujet déjà abordé dans ce blog (3). Tous les deux sont des armes politiques visant soit à museler (cas du politiquement correct et des lois liberticides type Gayssot) soit à discréditer (cas des fake news) une opposition politique que l’on ne peut dominer autrement, par la raison ou l’expérience de la preuve.

Mais le fait est que personne n’est parfaitement rationnel, on sait depuis les travaux de Damasio et la publication de L’Erreur de Descartes (4) que nos choix sont en partie le fruit de nos émotions, et que nous ne pouvons nous soustraire à cette part émotionnelle. Nos choix politiques, donc nos choix de sources d’information, ne sont pas que des choix rationnels. Nous sommes capables d’intégrer des fausses informations, des fake news, même si quelque part nous les savons fausses, du simple fait que nous avons besoin de ces infos pour conforter notre posture émotionnelle.

Ce phénomène est inhérent au religieux de la lettre, qui croit à a peu près n’importe quel fake news relatée dans de vieux bouquins qu’il sait pourtant avoir été maniés et remaniés au fil des siècles pour servir les intérêts du moment. Le religieux de l’esprit, lui, se débarrassasse de la croyance en la lettre pour n’en garder qu’un objectif de transcendance, mais celui-là est rare.

Ce phénomène de religiosité politique, du fait de croire ce qui nous fait du bien et rejeter tout le reste, est évidement catastrophique. La disparition de l’esprit critique ne sera jamais compensée par le droit et les interdits, bien au contraire. Les mises à l’index ont toujours beaucoup fait pour la renommée des ouvrages ainsi visés. L’interdit cache quelque chose et mérite donc que l’on s’y intéresse. Mais les pouvoirs, tous les pouvoirs, voient dans la déliquescence de l’esprit critique la possibilité de fortement limiter toute liberté d’expression (en l’occurrence au nom de la protection contre les fake news) à leur profit. L’exemple actuel le plus caricatural est le dictateur turc Erdogan, pour qui toute tentative de discussion contradictoire avec ses propres croyances relève du “jardinage terroriste”. Mais cette posture est aussi celle des démocratures (ou démocraties non-libérales) russes et chinoises et des dictatures arabes. Entre autres.

L’information étant une forme de pouvoir, et sa manipulation étant devenue bon marché, l’ère des fake news ne fait que commencer. L’intelligence artificielle d’un futur proche permettra la création d’informations fausses parfaitement crédibles. Ce qui en fera des informations vraies, a priori. L’idéal d’une analyse rationnelle des faits menant à des choix éclairés risque plutôt de s’éloigner que de se rapprocher de notre expérience concrète. Le choix semble être d’un côté un océan d’information dont on ne saura plus démêler le vrai du faux, de l’autre quelques ruisseaux d’informations filtrés par les autorités qui ne nous laisseront voir que ce qui les arrange.

D’un côté les USA de Trump empreints de folie hystérique, de l’autre la Chine de Xi Jinping peuplée de roseaux courbés par les vents autoritaires. Nous devons réapprendre à gérer l’information si nous voulons garder le contrôle du politique.

Ajouté le 8 avril 2018: Frédéric Lordon sur les fake news, France Culture, le 24 janvier 2018.

 

Notes:

(1) https://www.franceculture.fr/player/export-reecouter?content=3f155195-1c3f-4978-ba6d-965f7b02b296

(2) https://jean-jaures.org/nos-productions/le-conspirationnisme-dans-l-opinion-publique-francaise

(2bis) https://www.marianne.net/societe/huit-francais-sur-10-complotistes-pourquoi-le-sondage-de-l-ifop-est-problematique

(3) https://zerhubarbeblog.net/2017/12/19/du-politiquement-correct-a-lhysterie-victimaire/

(4) https://en.wikipedia.org/wiki/Antonio_Damasio

 

A propos Vincent Verschoore

Animateur de Ze Rhubarbe Blog depuis 2008.

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