Le monde du cinéma doit faire partie des activités industrielles les plus sexuées que l’on puisse imaginer, à peu près au même niveau que la prostitution, la pub et la mode. Et comme pour ces dernières on y vend des images de corps de femmes, ou les corps eux-mêmes, permettant de générer de l’argent dont la majeure partie est traditionnellement engrangée par des hommes.
Je ne dis pas que tous les films utilisent la plastique féminine plus ou moins sexualisée comme argument de vente, mais c’est quand même un élément central du marketing hollywoodien et ce n’est pas pour rien que l’on constate, en regardant les images des montées des marches cannoises, que si la mise en scène des caractères sexuels secondaires des stars féminines du cinéma ne fait pas tout, elle fait quand même beaucoup.
Que la présidente du jury Cate Blanchett utilise Cannes, dans la dynamique post-Weinstein, comme plateforme d’un militantisme féministe réclamant l’égalité salariale, la parité et la dé-objectivation du corps féminin au cinéma pourquoi pas, mais que cette demande concerne des gens qui gagnent déjà des millions, qui pour la plupart ont choisi ce métier en connaissance de cause et ont joué le jeu pour arriver là où elles sont, et en arrivent à dire que la reconnaissance d’un film devrait autant dépendre de son équation paritaire que de ses qualités artistiques intrinsèques, me laisse perplexe.
Est-ce là une prise de position sérieuse, ou du marketing féministe opportuniste pour tenter de couvrir, un peu, ces seins de stars que nous devrions faire semblant de ne plus voir? Comme nous ne devrions plus voir, ou alors voir mais sans regarder, ces jambes parfaites, ces fesses travaillées en salle de sport, ces visages et ces lèvres sensuelles cadrées par des coiffures de princesses dont le seul but serait, en réalité, de laisser ces dames exprimer leur sexiness sans pour autant que s’exprime, en retour, le moindre désir sexuel mâle?
Comme le disait justement Cate Blanchett peu après les révélations sur Harvey Weinstein (enfin, les révélations au grand public car dans le milieu tout le monde savait depuis longtemps, ce qui renforce assez fortement ce petit parfum d’hypocrisie…), Cate Blanchett donc, disant (1) « Nous aimons toutes être sexy, mais ça ne veut pas dire que nous voulons baiser avec vous ». Non, bien entendu et l’immense majorité des hommes le comprend très bien, néanmoins prétendre que la constante mise en avant de – souvent forts jolis – caractères sexuels secondaires dans toutes sortes de situations cinématographiques et événementielles ne devrait avoir aucun effet – en termes de désir sexuel – relève soit de la plus grande hypocrisie, soit de la plus grande naïveté. Et à Hollywood, il n’y a pas beaucoup de naïfs.
Par contre il y a dans le monde beaucoup de gens, dont la moitié d’hommes, qui connaissent la misère sexuelle, voire la misère tout court, et qui rêvent sans doute de baiser un jour une si ravissante créature – et pour certains d’entre eux, peu importe que ce soit avec ou sans le consentement de ladite créature. Alors quand une femme célèbre, riche et belle vivant, apparemment du moins, un conte de fées demande à pouvoir se la jouer sexy face à des millions de gens, tout en refusant d’en assumer les possibles conséquences chez ceux ayant des vies de merde, je m’interroge. Non pas bien sûr que je la tienne en quelque manière responsable de la misère d’autrui, ni que j’excuse un tant soit peu n’importe quel type d’agression sexuelle, mais cette incapacité totale à contextualiser une situation, à prendre en compte autre chose que sa propre situation, son propre confort quand on est de facto un personnage public vivant tout en haut de la pyramide sociale, me sidère.
Et c’est là où, avec tout le respect que je dois par ailleurs au mouvement féministe en général, j’ai la nette impression que tout ceci n’est qu’une vaste mascarade cannoise visant à caresser la bien-pensance dans le sens du poil. Le politiquement correct aurait demandé les têtes de Thierry Frémaux (délégué général du festival) et de cette même Cate Blanchett (nommée avant la sortie de l’affaire Weinstein) si le festival n’avait pas mis en scène – c’est l’essence du métier, après tout – un beau moment féministe pour couvrir la réalité – inchangée – du pouvoir de l’argent.
Mise en scène qui pourtant pose une intéressante question: autant la création artistique est par essence difficilement associable à des notions de parité, d’égalité salariale, de diversité ou de non-désir – à moins évidemment que ces notions soient elle-mêmes sujets à création – autant la production industrielle peut, théoriquement du moins, parfaitement les prendre en compte. Une production industrielle, et on parle effectivement de l’industrie du cinéma, c’est d’abord un investissement dans un outil qui permet de produire quelque chose en nombre et en prix suffisant pour rentabiliser ledit investissement, et générer du profit pour l’investissement suivant. Dans le cinéma, l’outil de base est traditionnellement le pool d’acteurs et d’actrices, que l’on choisit en fonction des rôles issus du scénario, et qu’un directeur des travaux dit “réalisateur” va utiliser pour créer un produit qui doit rapporter plus que le coût total de l’opération.
Si les stars féminines estiment que, pour garantir la parité, l’égalité salariale et la non-objectivation de leurs corps, il faut qu’elles deviennent de simples outils de production au sein d’une machine industrielle, au moins une chose est sûre: la réalité virtuelle et l’intelligence artificielle auront tôt fait de les envoyer au musée (2).
Evidemment, de nombreuses femmes impliquées dans le cinéma comprennent très bien le risque mortel de l’imposition de règles issues du monde industriel ou administratif dans ce qu’elles considèrent comme une forme artistique. Lors de l’émission sur France Culture “La Grande Table, 2ème partie” mercredi dernier (3), les trois femmes impliquées dans le cinéma et réunies pour parler de l’après-Weinstein étaient loin d’être toutes d’accord pour imposer des quotas ou prendre en compte le sexe de la réalisatrice pour choisir un film.
D’ici quelques années tout ce que nous voyons au cinéma aujourd’hui pourra être créé dans des ordinateurs, les acteurs et actrices des personnages virtuels parfaitement reproduits. Le film sera en fait un sous-produit de l’industrie du jeu vidéo, un jeu où l’on ne fait rien que regarder. Techniquement parlant un tel avenir est une quasi certitude, par contre artistiquement parlant je n’en sais rien. Pourra-t-on s’émouvoir d’un personnage virtuel avec la même intensité que pour un.e “vrai.e” act.eur.rice? A mon avis oui, si j’en crois le succès d’Avatar par exemple. Donc pour survivre, les acteurs et actrices de demain vont devoir jouer la carte de la personnification, du rapport au réel, exister en tant que personnes crédibles dans le monde réel pour garder une place face au monde virtuel. Les petites mascarades politiquement correctes du genre de celle en cours actuellement à Cannes risquent de ne plus suffire.
Notes:
(2) https://zerhubarbeblog.net/2017/12/14/arretez-les-selfies/