Prise de ris en voile islamique.

Pour les marins, “prendre un ris” signifie réduire la surface de voile. Et en matière de voile islamique, la surface politico-médiatique développée par le tissu en question requiert une urgente attention si l’on veut éviter de chavirer dans les eaux brunes du nihilisme communautariste. Autrement dit il est temps de se demander de quoi, précisément, parle-t-on et où, précisément, se situe le problème.

D’abord, comme le rappelait cet invité, jeudi, du programme de France Culture (1) sur le monde arabe, la question du voile en France est une question spécifiquement française. Pour Gilles Gauthier, “L’islam tel qu’il est devenu opprime le monde arabe. Mais les sociétés arabes se défendent, l’athéisme progresse. C’est paradoxalement en France qu’est le danger.”

Je dirais plutôt que c’est une question spécifiquement liée aux pays européens ayant une forte présence musulmane de seconde et troisième génération suite à l’arrivée massive de travailleurs arabes (et surtout maghrébins) lors des trente glorieuses. La France évidemment, mais aussi la Belgique surtout connue, dans ce contexte, pour sa fameuse commune de Molenbeek (2).

Ces situations européennes n’ont rien à voir avec ce qui se passe dans les pays dits musulmans, où la radicalité islamique a des hauts et des bas et est souvent combattue par d’autres forces musulmanes mais non islamistes, notamment l’armée. La radicalité institutionnelle extrême, dans le monde sunnite via l’Arabie saoudite comme dans le monde chiite via l’Iran, semble tout doucement être remise en question par la dynamique naturelle qui traverse ces pays: en Arabie le nouvel homme fort, MbS, a entre-ouvert la porte aux femmes et parle de modernisation.

En Iran, des femmes courageuses provoquent le pouvoir en enlevant publiquement leurs voiles, et si répression il y a elle n’a pour le moment pas réussit à arrêter cette initiative (3). Ce que demandent ces femmes n’est pas l’interdiction du voile, juste avoir le choix tout en restant parfaitement musulmanes. En tout cas il n’y a qu’un voile, la question étant de le porter ou pas.

En France il y a deux voiles: celui que portent les musulmanes par tradition ou convention culturelle, et celui que portent les musulmanes islamistes qui participent, de gré ou de force, à la mouvance d’un islam politique visant à maximiser son influence et sa présence sur le territoire. Cet islam-là est financé par des pays qui cherchent ainsi à obtenir un levier sur la politique française, Algérie, Maroc et Arabie saoudite en tête (4). Il utilise des imams formés la-bas qui viennent travailler au corps le ressentiment – que l’on peut souvent comprendre par ailleurs – d’une jeunesse déclassée trouvant dans l’extrémisme religieux une raison d’être, voire un exutoire dont la finalité est le djihad: la soumission par la force des non-musulmans partout où l’islam existe.

Le problème pour nous, non musulmans, est d’arriver à faire la distinction entre ces deux types de voiles, plus précisément à reconnaître le voile traditionnel, inoffensif et parfaitement conforme au droit fondamental de liberté religieuse, du voile symbole d’une volonté de destruction de notre propre culture. C’est parfois évident, et parfois pas du tout comme dans le cas de la fameuse élue de l’UNEF, ou le cas de la chanteuse Mennel de The Voice, ou l’affaire de la crèche Baby loup, ou tant d’autres. Pour ce qui est des cas type UNEF, à nouveau il faut à mon avis bien distinguer deux choses: d’une part ce que le voile signifie pour la personne qui le porte, d’autre part l’usage institutionnel qui en est fait.

Comme le dit très bien un ancien de l’UNEF, Frédéric Aranyi sur sa page FB (5), le problème ne vient pas de Maryam Pougetoux mais “vient de la conjonction totalement nouvelle et spécifique aux rapports de la gauche et de l’islam entre d’une part un programme politique progressiste et d’autre part une revendication conservatrice et piétiste de la pratique religieuse”. Autrement dit, “Pourquoi dans le cas spécifique de l’islam considère-t-on comme possible et souhaitable l’alliance (de la gauche progressiste) avec des mouvements qui développent une conception orthodoxe de la religion?”

Sa réponse est que d’une part cela est dû à l’ignorance, chez les progressistes, de la réalité religieuse, et d’autre part – c’est le pire – c’est dû à un “paternalisme culturel sous les oripeaux de la tolérance égalitaire”. L’Autre, en l’occurrence la musulmane voilée, doit rester assignée à résidence culturelle pour preuve de la tolérance de la bourgeoisie progressiste. “La condescendance déguisée sous le masque du relativisme culturaliste envers la culture des pays arabo-musulmans est le vrai ressort de l’assignation à identité religieuse”.

Il n’y aurait donc pas, dans ce cas, un problème de prosélytisme islamique en tant que tel, mais un coup de marketing de l’UNEF mettant en avant sa “tolérance” via l’élection d’une personne représentant une minorité supposée victimisée – la femme voilée. Rien de bien grave donc, mais il n’empêche que ceci est vécu comme une provocation par ceux et celles qui ne voient dans le voile rien d’autre qu’une preuve d’obscurantisme incompatible avec la représentation syndicale, générant une polémique parfois violente facilement associable à  l’islamophobie.

Et cela, les militants de l’islam politique l’ont bien compris et en tirent le maximum de profit. Toute critique de l’islam se heurte à l’accusation d’islamophobie, mot-clé faisant réagir en leur faveur tous les idiots utiles de la galaxie victimaire. Le cas de Georges Bensoussan (historien reconnu de la Shoah et auteur du livre “les territoires perdus de la République”) est exemplaire: il fut accusé d’incitation à la haine par le CCIF (fer de lance de l’islamisme politique en France) suite à des propos de l’écrivain, en 2015, sur la culture antisémite du monde musulman. Le CCIF, épaulé de la Ligue des Droits de l’Homme (paix à son âme) et du MRAP (Mouvement contre le racisme et pour l’amitié entre les peuples), a donc intenté un procès qu’il a perdu en 2017. Ayant fait appel, et ayant modifié son accusation “d’incitation à la haine” en “injure raciale”, le CCIF et ses alliés – dont le Parquet, c’est à dire l’Etat dont on se demande vraiment à quoi il joue en estimant recevable ce genre d’accusation – viennent de perdre à nouveau (6).

Il aura donc fallu trois ans pour qu’un homme osant dire la réalité puisse se débarrasser, à quel prix je l’ignore, de la pieuvre islamiste. Et il n’est pas le seul à devoir y faire face: Charlie Hebdo bien sûr, mais aussi par exemple Mohamed Louizi (ex-UOIF ayant publié un livre intitulé “Pourquoi j’ai quitté les Frères musulmans” et un “plaidoyer pour un islam apolitique”) s’est ruiné dans un procès similaire, et en février dernier a même fait une grève de la faim pour dénoncer le harcèlement judiciaire. Et c’est le but: les islamistes, comme d’ailleurs d’autres professionnels de la chose victimaire, attaquent en justice même s’ils savent qu’ils ne gagneront pas, le coût de la défense étant en soi un élément dissuasif menant à l’auto-censure.

Tout ceci pour dire qu’il est très difficile de se positionner par rapport au voile car “le” voile n’existe pas, il existe un ensemble de cas allant de la simple coutume inoffensive à la revendication islamiste en passant par le conservatisme religieux et la violence faite aux femmes qui ne se soumettraient pas. Et bien sûr les islamistes ont beau jeu de se cacher derrière les musulmanes inoffensives dès que l’on pointe le doigt sur les offensives.

Comment réduire cet effet voile, comment “prendre un ris” dans le voile islamique? Une approche évidente semble être de faire une distinction entre religion et secte. L’islam est présenté et traité comme une religion, mais l’islam n’existe pas en tant que tel, c’est un patchwork de différentes traditions (dont certaines s’entre-tuent gaiement, notamment les sunnites et les chiites) sans hiérarchie commune. L’islam n’est pas gérable au sens où l’église catholique peut l’être, avec un clergé et un chef en haut de la pile, mais il est par contre sécable entre ses éléments relevant de la religion et ceux relevant de la dérive sectaire.

En droit, pour qu’un mouvement qui se prétend religieux soit reconnu comme tel, il faut d’une part un élément de foi commune incluant une réflexion sur la transcendance, et d’autre part il faut que le mouvement respecte l’ensemble des lois s’agissant de l’éducation, de la santé, du droit social, du droit fiscal (7). Il ne serait pas très difficile au vu des pratiques islamistes, si la volonté politique existait, de requalifier la mouvance islamiste française comme relevant de la secte et non de la religion, et donc de lui appliquer le droit relatif aux dérives sectaires: fermeture des mosquées islamistes, renvoi des imams provocateurs, contrôle du financement étranger, dissolution des structures associées genre CCIF et UOIF, etc… Cela se fait déjà un peu, mais la requalification sectaire obligerait les “bons” musulmans à faire le ménage dans leurs rangs afin de ne pas perdre la qualification religieuse, voire à se désolidariser symboliquement (par l’adoption d’une marque vestimentaire particulière par exemple, ou par l’adoption de nouveaux rites) de la mouvance sectaire.

Même si elle limiterait le risque de chavirage, cette réduction de surface du voile ne suffirait évidement pas pour éradiquer le problème islamiste qui puise ses forces vives dans la population elle-même, et pas que chez les descendants d’immigrés arabes. On trouve de tout chez les djihadistes. Il faut combattre le déclassement social et la ghettoïsation en investissant dans une éducation de qualité, une reprise de contrôle des fameux “territoires perdus de la République”, et une gouvernance économique capable de proposer un avenir valorisant à l’ensemble de la population, pas juste les 20% qui travaillent dans la tech et la finance et votent Macron. Vaste programme malheureusement pas à l’ordre du jour, alors qu’il est pourtant le B-A-BA de tout gouvernement digne de ce nom.

Si rien n’est fait il faudra relire “Soumission”, prendre les armes ou mettre… les voiles. Mais pour aller ou?

 

Notes:

(1) https://www.franceculture.fr/emissions/la-grande-table-2eme-partie/la-grande-table-2eme-partie-du-jeudi-24-mai-2018

(2) https://zerhubarbeblog.net/2015/11/22/quand-jhabitais-du-cote-de-molenbeek/

(3) https://www.marianne.net/monde/iran-teheran-bataille-voile-mal-porte-prison-droits-femmes

(4) https://www.tsa-algerie.com/lalgerie-3e-financeur-des-mosquees-en-france-apres-larabie-saoudite-et-le-maroc/

(5) https://www.facebook.com/frederic.menageraranyi

(6) https://www.marianne.net/societe/au-proces-en-appel-de-georges-bensoussan-une-atmosphere-kafkaienne

(7) http://lesactualitesdudroit.20minutes-blogs.fr/archive/2008/02/21/comment-la-loi-combat-les-sectes.html

A propos Vincent Verschoore

Animateur de Ze Rhubarbe Blog depuis 2008.

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