Beaucoup de plaisir avec The Strange Ones, ce road-movie du duo Christopher Radcliff et Lauren Wolkstein sorti en salle ce 11 juillet (1). Warning: Si vous ne l’avez pas vu cet article contient sans doute des spoilers! Article qui néanmoins ne prétend pas faire une critique de film de plus, mais qui tente une réponse à la question que tout spectateur ne manque pas de se poser à la sortie de salle: que se passe t’il réellement dans ce film?
A première vue il s’agit d’une histoire aussi classique que glauque: Nick, homme d’une trentaine d’années, abuserait du jeune Sam qui lui est régulièrement “confié” du fait que son père – le père de Sam, donc – travaille la journée. Ayant appris que le père de Sam allait changer de boulot et déménager avec son fils, Nick aurait tué ledit père, mis le feu à la maison et pris la fuite avec Sam – là où débute le film: Nick et Sam roulent en direction d’une forêt où se trouve une petite maison, là où Nick a passé ses vacances de jeunesse et où il compte se cacher avec Sam.
Le film est cependant truffé d’indices et de scènes qui remettent complètement en cause cette version de l’histoire, et l’on arrive assez facilement à une autre conclusion où c’est en fait Sam qui tue son père, violent avec lui, où l’on suppute que Sam aime plus ou moins secrètement Nick, et que ce dernier a soit encouragé Sam à passer à l’acte, soit a décidé de le cacher suite au meurtre, et l’emmène donc vers la cabane en question. Personnellement je n’adhère à aucune de ces deux versions.
Une question centrale traverse le film: est-ce que Nick abuse sexuellement de Sam? l’attachement de Nick pour Sam permet de le supposer, mais hors cela rien en fait ne l’indique, ni même une inspection médicale menée sur Sam vers la fin du film, qui ne révèle aucun indice en ce sens.
Et puis il y a le chat. Le chat de Sam, un chat noir que l’on retrouve à plusieurs moments du film, que Sam trouve flippant car il pense que le chat est en fait la réincarnation d’un homme de trente ans. C’est ce chat qui me conduit à proposer ici une explication “quantique” de ce qui se passe réellement dans ce film.
D’abord quelques indices clés nécessaires à cette démonstration, tels que je m’en souviens: pour commencer la scène dans le bar où Nick explique à Sam, lequel lui parle de ses rêves bizarres où il ne sait plus s’il rêve ou s’il est dans le réel, qu’il lui suffit de décider de quelle réalité il veut. Et il lui fournit l’exemple d’une tasse de café, que Sam voit sur la table, mais qui disparaît lorsque Nick décide que cette tasse n’existe pas.
Ensuite la scène dans le motel, où nos héros débarquent à pied suite à un accident de voiture avec un cerf étendu sur la route – autre indice de poids sur lequel je reviendrai. La gardienne du motel, Kelly, a le bégin pour le beau Nick. Le motel est vide, Nick et Sam partagent une chambre à deux lits, mais occupent ensemble un seul lit. Sam dit alors à Nick qu’il n’a qu’à aller voir la fille, qui n’attend que ça. Nick sort, nage dans la piscine avec Kelly, et revient. On ne sait pas ce qu’il s’est passé, mais Nick apprend à Sam que Kelly leur propose de rester gratuitement au motel quelque temps vu que c’est la basse saison. Proposition intéressante que Sam sabote néanmoins dès le lendemain, en faisant croire à Kelly que Nick est gay, violent, menteur et un danger pour elle.
Un peu plus tard, les garçons arrivent à la fameuse cabane mais croisent des promeneurs dont on apprend plus tard que l’un, la femme, a reconnu Sam comme étant l’enfant recherché. Une fois installés dans la cabane, où l’on retrouve une photo de Nick, ado, devant un cerf abattu dont la tête orne un des murs de la cabane (ce même cerf qui cause l’accident menant au motel), ils partent faire des exercices de tir à la carabine et arrivent devant une grotte. Nick la connait, et explique à Sam qu’un jour, lorsqu’il se sauvait de chez son propre père (donc présenté comme violent, tel celui de Sam), il s’est caché dans cette grotte et en est ressorti différent, un autre homme. S’ensuit un échange de tirs entre Nick et des policiers alertés par la promeneuse. Nick est blessé et se réfugie dans la grotte, ordonnant à Sam de s’échapper.
A la fin du film, Sam – qui a été recueilli dans une sorte de colo de vacances pour jeunes jardiniers – voit son chat en bordure de forêt, le suit et arrive à nouveau devant la grotte, dans laquelle il s’engouffre.
Ces scènes, et d’autres indices encore placés tout au long du film, m’amènent à penser qu’en réalité il n’y a pas de relations sexuelles entre Sam et Nick pour la bonne et simple raison que ces deux-là sont en fait une seule et même personne, dans deux temporalités différentes juxtaposées. D’où les rêves de Sam qui ne sait faire la différence entre ses rêves et la réalité, d’où les scènes de la grotte, d’où la tasse de café qui disparaît, d’où un tas de choses bizarres qui se passent dans ce film.
Nick, c’est Sam avec quinze ans de plus. Nick/Sam a bien tué son père violent, a bien pris la fuite vers la cabane, et a bien été identifié par la promeneuse qui leur envoie les flics. La clé de cette possible explication sont les références multiples à la physique quantique – d’où l’intérêt d’en parler dans ce blog. Dans le monde quantique, selon l’explication la plus répandue du moins, plusieurs réalités co-existent (on parle d’états superposés) et l’une d’elles ne se condense en une “réalité réelle”, ou classique, que lorsque une observation de ces états est effectuée.
Dans le film, Sam et Nick symbolisent ces états superposés, la clé étant le chat de Sam car il fait – à mon avis du moins – référence au fameux chat de Schrödinger, l’exemple classique repris dans tous les bouquins de mécanique quantique: pour illustrer le phénomène des états superposés, l’un des fondateurs de la mécanique quantique que fut Erwin Schrödinger imagine un chat enfermé dans une boîte avec un mécanisme létal dont l’action dépend d’un phénomène quantique. Selon l’interprétation dominante de cette théorie, la vie du chat devient dépendante de la superposition des états quantiques (l’un activant le mécanisme), il est donc en même temps vivant et mort, et on ne peut le savoir “vraiment” qu’en ouvrant la boîte (2).
Donc pour moi, vu ce qu’il se passe dans le film, c’est la présence du chat – au comportement bizarre remarqué par Sam- qui pointe symboliquement vers un élément quantique intégré au scénario: le chat symbolise l’origine quantique de la superposition des réalités vécues par Sam: celle où il est seul et tue son père, et celle où il est Nick, c’est-à-dire lui-même quinze ans plus tard. Et c’est bien le chat qui amène Sam à la grotte, là où s’opère la transformation, là où le jeune Nick – Sam, en fait – se cache et ressort “différent”.
Cela dit, il est possible que les réalisateurs n’aient rien imaginé de tel, auquel cas cette interprétation serait simplement un nouvel état juxtaposé à l’initial… Si vous avez vu le film, n’hésitez pas à partager vos idées sur la question!
Notes:
(1) http://www.allocine.fr/film/fichefilm_gen_cfilm=252176.htmlhttp://www.allocine.fr/film/fichefilm_gen_cfilm=252176.html
[…] (1) https://zerhubarbeblog.net/2018/07/18/the-strange-ones-un-film-quantique/ […]
Ce qui est génial avec l’art c’est que chaque lecture ou visionnage entraine une oeuvre différente, superposée et concomitante avec toutes les oeuvres vues en même temps dans la même salle de cinéma par les autres spectateur.e.s… L’art est par excellence, quantique, il n’existe qu’à travers de cellui qui l’observe.
Je souscris complètement, malgré le fait que s’il s’agit effectivement d’un film quantique, s’il est observé – et il l’est – il devrait se condenser en une seule histoire possible. Ou alors nous sommes tous encore dans le monde quantique, où tout se superpose. Cela dit, mon dernier article présente une hypothèse selon laquelle la traduction du monde quantique en monde classique ne dépendrait pas, finalement, de la présence d’un observateur mais serait un processus intrinsèque à l’univers.