Quel avenir pour l’égalité des sexes?

On peut penser que le combat politique pour l’égalité des sexes en Occident, ainsi que le combat économique pour l’accès égalitaire au marché du travail, est globalement gagné. Que la femme n’a aucune raison de se soumettre à une quelconque domination sexiste masculine. Que les filles sont bien souvent meilleures à l’école que les garçons, que la proportion de jeunes femmes dans l’éducation supérieure est en croissance (1), atteint ou dépasse la proportion des hommes (c’est particulièrement flagrant aux USA) et que donc, nécessairement, les revenus financiers globaux du genre féminin vont rattraper puis dépasser celui du genre masculin vu qu’elles vont occuper, d’ici quelques temps, la majorité des boulots les mieux payés.

Certes, nous sommes encore dans une période d’héritage des inégalités entres hommes et femmes, qui fait que les femmes passent toujours plus de temps que les hommes à des tâches ménagères et familiales, gagnent statistiquement moins à statut égal, se retrouvent plus souvent en travail partiel afin de ménager le tout. Le mouvement #MeToo et l’arrestation de Weinstein ont fait symboliquement exploser un vieux bastion de domination masculine, celui du rapport de pouvoir justifiant la prédation sexuelle. Certes de nombreuses femmes prennent encore des risques, en Occident, à se promener seules sous le regard d’hommes irrespectueux.

Bien sûr l’égalité n’est pas un concept universel et les résistances ne manquent pas (2) mais si les choses se poursuivent ainsi le genre masculin peut légitimement penser que l’ère de sa domination sur le genre féminin, dont l’origine remonte au Néolithique avec la transformation des sociétés humaines, égalitaires, des chasseurs-cueilleurs en sociétés patriarcales basées sur l’acquisition et la défense de la propriété, donc sur la force, touche à sa fin. Dans l’ère de l’outil intelligent, du process, de la gestion commerciale, de la créativité technocratique ou applicative les hommes n’ont aucun avantage sur les femmes et s’il existe encore aujourd’hui un net déficit de femmes dans les milieux scientifiques ou du développement numérique, cela ne va sans doute pas durer.

Ce qui ne garantit en rien que le monde en général se portera mieux, la femme en position de pouvoir se relevant le plus souvent tout aussi dure, prédatrice, compétitive et sans scrupules que son homologue masculin. Néanmoins à quels changements de fond faut-il s’attendre, dans un monde où l’égalité politique, économique et sociale ds sexes est en cours de réalisation?

La première évidence est que la différentiation binaire homme – femme est en train de voler en éclats. Les revendications pour la reconnaissance administrative d’un troisième genre, neutre, gagnent du terrain et les innovations à venir en matière de chirurgie, de manipulation génétique, voire d’implants “bioniques” laissent penser que l’identification à un genre biologique précis est un réflexe qui va un jour disparaître, du moins dans la partie la plus favorisée de la population qui pourra se payer ce type de services. La question de l’égalité des sexes disparaîtra alors d’elle-même faute de combattants, mais d’autres opposions prendront sa place!

La seconde évidence est qu’une partie au moins du genre masculin va réagir. En fait il réagit déjà et ce selon au moins deux grands axes: le désintéressement social d’une part et la domination forcenée de la femme d’autre part. Cette domination forcenée est illustrée de manière aussi dramatique que caricaturale par les mouvements islamistes radicaux qui noyautent une partie conséquente de la planète Islam, mais la plupart des religions, sinon toutes, insistent sur le rôle essentiellement procréatif et familial de la femme, le reste appartenant aux hommes. Or ces religions, et notamment leurs courants les plus radicaux, ont le vent en poupe. L’islam bien sûr, mais les juifs orthodoxes, les catholiques conservateurs ou les évangélistes protestants ne sont pas en reste. Le confucianisme chinois, le bouddhisme ou l’hindouisme n’ont pas vraiment dans leurs objectifs la libération de la femme, au sens occidental du terme en tout cas.

Le retour de la morale archaïque associée au religieux “littéraliste” résulte du vide existentiel d’un mode de vie matérialiste axé sur la performance et la consommation. L’humain ayant besoin de sens pour vivre, le non-sens de la vie moderne associé à la disparition des utopies politiques exacerbe le retour du religieux, autrement dit le choix de se soumettre à des principes lisibles et concrets indépendants des variabilités de la volonté humaine.

Les textes religieux en sont l’exemple absolu, a fortiori quant il est dit que c’est Dieu lui-même qui les a dictés. Si ces textes disent que la femme doit se soumettre à l’homme, et bien soit la femme se soumet à la parole divine soit elle est ostracisée, brûlée à l’acide ou tuée mais il n’y a pas de négociation possible. Les hommes, certains du moins, ont bien compris que le cadre que peut donner une interprétation archaïque de la religion à la vie moderne, de la femme comme de l’homme, est leur meilleur allié pour contrer l’émancipation féminine et le partage du pouvoir économique et politique.

Le désintéressement social est un sujet déjà abordé dans cet article “Le mâle en point” (3), selon l’idée que certains hommes (encore une petite minorité aujourd’hui, mais croissante) renoncent tout simplement à s’impliquer dans la vie familiale et/ou la vie sociale. Cela peut commencer par le renoncement scolaire – la majorité des jeunes en échec scolaire sont des garçons -, par le renoncement amoureux allant du non-couple au no-sex pur et dur avec des effets gravissimes sur la natalité comme on le constate déjà au Japon; également par le renoncement social ou des gens – essentiellement des hommes – s’enferment dans les mondes virtuels et rejettent tout contact réel.

Le désintéressement social facilite plutôt qu’il ne s’oppose à la prise de pouvoir de la gent féminine, mais en même temps il peint une image d’une possible société de la solitude qui n’est sans doute pas ce à quoi aspirent la plupart des femmes.

Les impératifs contradictoires auxquels l’homme occidentalisé se voit soumis, viril et performant d’un côté mais féminisé et “gentil” de l’autre, impliquent une gymnastique à laquelle tous ne se plient pas. La virilité exacerbée et agressive, la religiosité misogyne et son corollaire le conservatisme social (tel la remise en cause de l’IVG) sont des stratégies d’opposition au partage égalitaire du “pouvoir” politique et économique entre hommes et femmes que l’on ne peut ignorer.

La question est de savoir si ces stratégies seront assez puissantes pour inverser la tendance, plus précisément de savoir si les femmes vont avoir le temps de prendre toute leur part du pouvoir économique et politique avant que la contre-offensive macho-religieuse n’atteigne l’ampleur nécessaire pour les en empêcher. Ou si la question va disparaître d’elle-même du fait de la disparition de toute distinction réelle entre hommes et femmes au profit d’un éventail de genres…

Notes:

(1) http://www.egalite-femmes-hommes.gouv.fr/publications/droits-des-femmes/egalite-entre-les-femmes-et-les-hommes/vers-legalite-reelle-entre-les-femmes-et-les-hommes-chiffres-cles-edition-2017/

(2) https://zerhubarbeblog.net/2018/05/26/prise-de-ris-en-voile-islamique/

(3) https://zerhubarbeblog.net/2017/04/24/le-male-en-point/

A propos Vincent Verschoore

Animateur de Ze Rhubarbe Blog depuis 2008.

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