Climat et promotion nucléaire.

C’est le conflit fondamental au sein de la dynamique écologiste mondiale: l’ennemi absolu qu’est la fission nucléaire est en même temps celui qui, hors les renouvelables, génère a priori le moins de CO2 et qui se pare donc d’une posture d’alliée face au dérèglement climatique et la catastrophe annoncée. Compliqué.

Ce conflit est illustré par le positionnement de groupes de pression qui militent en faveur de la décarbonisation de l’économie, qui combattent l’exploitation pétrolière / gaz / charbon en général, mais qui considèrent en même temps l’énergie nucléaire – spécifiquement, la fission nucléaire, la seule disponible aujourd’hui mais pas la seule en principe – comme étant un élément central de la transition énergétique: une source émettant un faible taux de CO2 et capable de couvrir de 10% à 50% des besoins mondiaux en énergie de base (de base = énergie toujours disponible, par opposition aux sources qui dépendent de certaines contingences tel le solaire ou l’éolien).

J’en cite deux: The Shift Project (1), une association française comme son nom ne l’indique pas, fondée en 2010 par Jean-Marc Jancovici. Très actif et très bien introduit auprès des grands acteurs économiques et politiques, ce think-tank propose des solutions de sortie basées sur la mise en oeuvre d’un réel marché du carbone.

The Shift Project prend position sur les sujets clés tels l’isolation des bâtiments, le problème de la transition numérique en termes de consommation énergétique, et bien sûr la mobilité. Néanmoins et sur ce sujet où l’on pourrait le croire fermement anti- gilets jaunes, lors d’une interview pour Reporterre (2) son directeur Matthieu Auzanneau considère que «Augmenter les taxes sur l’essence sans proposer d’alternative cohérente, c’est faire le lit du fascisme ». Il prône une politique de transition qui ne soit pas basée sur une idéologie de marché – celle de Macron & Cie – mais sur la mise en oeuvre de réelles solutions accessibles à ceux et celles qui, aujourd’hui, dépendent complètement de leurs véhicules.

En même temps, et c’est l’objet du problème considéré ici, ce même Shift Project prône le recours à l’énergie nucléaire pour combattre le réchauffement climatique et tenter de minimiser la hausse des températures. Pour Jean-Marc Jancovici dans cet article pour le Monde (3), « Le changement climatique nous impose de passer de l’empilement à la substitution : les énergies bas carbone doivent se substituer aux énergies fossiles. Il faut déployer rapidement l’ensemble des solutions dont nous disposons : sobriété et efficacité énergétiques d’abord, énergies renouvelables (ENR) et le nucléaire ensuite. Mettre ces solutions en concurrence en substituant les énergies bas carbone entre elles ne nous laisse aucune chance face à la tâche immense qui nous incombe, et dont l’urgence grandit chaque jour. »

Dans la même optique mais outre-Atlantique, l’association américaine Union of Concerned Scientists (l’Union des scientifiques inquiets) vient de publier un article intitulé Le dilemne de l’énergie nucléaire (4), qui s’inquiète de l’effet sur le taux de CO2 de la probable fermeture d’un tiers du parc nucléaire US (22% de sa capacité nucléaire totale), parc devenu trop vieux ou non rentable économiquement. Parc qui serait alors remplacé par des centrales thermiques consommant les produits de l’industrie du “fracking”, elle-même une catastrophe écologique légitimée par une moindre dépendance (mais dépendance quand même) à l’importation de pétrole et de gaz.

L’UCS, qui milite depuis longtemps pour une sécurisation sans concessions des sites nucléaires – une sorte d’Autorité de Sûreté Nucléaire version US, mais indépendante de l’Etat et du big business – estime que les dangers inhérents au nucléaire ainsi que la problématique des déchets ne pèsent pas lourd face à l’augmentation du taux de CO2 – estimé entre 4% et 6% – qui serait directement associée à la mise en oeuvre d’un parc thermique de puissance équivalent aux centrales fermées.

L’UCS en appelle surtout à la mise en oeuvre de politiques à bas carbone sur base d’une taxe carbone, et calcule que le coût total d’une telle politique bas carbone représenterait seulement la moitié du coût économique et de santé publique associé au remplacement de ces centrales nucléaires par du thermique.

Selon ce bilan EDF (5) la France est le deuxième producteur net d’énergie nucléaire, loin dernière les USA mais devant la Chine. Par contre la France a – de loin – la plus grande proportion de nucléaire dans son mix énergétique (71%) contre 20% pour les USA et 4% pour la Chine. Au niveau mondial le nucléaire représente 10,4% du total, loin derrière le thermique (65%) et même derrière l’hydraulique (16%).

La problématique nucléaire est donc particulièrement aiguë en France, où la transition vers autre chose – et a priori vers du renouvelable vu que remplacer le parc nucléaire par du thermique aurait un impact catastrophique sur le bilan carbone français, qui reste en augmentation malgré la forte proportion nucléaire – se heurte à l’absence de solutions susceptibles de compenser les 380 TWh du parc nucléaire actuel. La prédominance du nucléaire explique aussi sans doute pourquoi la France n’atteint pas ses objectifs en matière de développement des renouvelables, alors que d’autres y arrivent (5b), et que EDF en est toujours à chercher à implanter de nouvelles centrales (5c).

Le renouvelable français représente actuellement 20% du mix, ce qui laisse un gros 10% pour le thermique, une proportion extraordinairement faible par rapport à la moyenne mondiale (65%) mais, malgré cela, la France n’arrive pas à maintenir ses objectifs de stabilisation, sans même parler de réduction des émissions de GES. Cette situation est analysée dans cet article du JDD (6), et les coupables sont en gros les transports et le bâti. Réponse de Nicolas Hulot – alors encore ministre: taxer le carbone (prix des carburants), inciter au remplacement des véhicules polluants et renforcer la rénovation énergétique des bâtiments.

La logique gouvernementale, pensée par des gens qui ne résonnent qu’en termes de marché où le fait de modifier un prix modifie la demande, se heurte bien évidemment au fait – reconnu par le directeur du Shift Project cité ci-dessus – que la demande en carburants est fort peu élastique, que beaucoup de gens – surtout ceux éloignés des cercles parisiens – ne peuvent simplement pas moins rouler par choix sauf  à repenser complètement leurs choix de vie, et que même avec de la bonne volonté cela ne se fait pas en un jour. D’où les gilets jaunes.

Le renouvelable procure un petit 100 TWh. Pour remplacer le nucléaire sans recourir au thermique il faudrait multiplier par 3,5 la capacité actuelle du parc renouvelable français. Comme la moitié de ce parc est lié à l’hydraulique et que cette source-là ne peut plus réellement augmenter, cela veut dire qu’il faudrait multiplier par 7 la capacité combinée actuelle de l’éolien/solaire/biomasse. Impossible? Certainement pas,

Selon le site wedemain.fr, “En France, 55 000 tonnes de panneaux solaires ont été posées durant l’année 2016. Un chiffre qui devrait tripler d’ici 2023, alors que le pays s’achemine vers un objectif de 20,2 GW de puissance installée contre 6,8GW actuellement. “(7). S’il existait une réelle politique de sortie du nucléaire au profit de sources à bas carbone on peut imaginer un effort nettement plus intense. Si c’était couplé avec une réelle recherche d’économie énergétique, autre chose que juste taxer les gens – ce qui ne sert pas à grand chose hors remplir les caisses de l’Etat (8) – on peut imaginer de réels progrès sur la décennie à venir.

Certes on ne pourra que rater la préconisation du GIEC comme quoi il faudrait réduire les émissions mondiales de 45% d’ici 12 ans pour espérer rester sur une augmentation de 1,5°C en 2100, mais personne n’a jamais cru à cette possibilité, comme démontré suite à la COP 21 de Paris en 2015 (9). L’irénisme et la branlette écolo-hypocrite des spécialistes des COP qui se baladent en jet et habitent dans des immeubles air-conditionnés à l’année, ça commence à bien faire.

Il ne faut pas non plus oublier d’autres sources intéressantes susceptibles de remplacer la fission nucléaire: la fusion nucléaire (ITER) d’une part, le serpent de mer qui est toujours 30 ans plus loin mais qui devrait quand même aboutir un jour, actuellement on parle de 2025 (10). Une autre piste est celle des réacteur à base de Thorium, qu’apparemment la Chine s’est mise à tester (11).

Sur une note plus extravagante, la fusion froide reste une inconnue, on ne sait toujours pas si l’invention du Dr Rossi, le E-Cat ou ses concurrents, est un processus réellement positif (production nette d’énergie) ou une grosse arnaque (12). Ce serait littéralement une solution miraculeuse décentralisée, portative, peu onéreuse et peu polluante.

Dans un autre registre enfin, la géothermie profonde est un processus théoriquement fort efficace et peu polluant, mais techniquement complexe et adapté à des sous-sols assez spécifiques (13). On ferait mieux de chercher à forer des puits géothermiques que des puits pétroliers, ça c’est sûr. Encore faudrait-il un peu moins de proximité entre les élites politiques et les gangsters du pétrole.

Alors une question évidente se pose: pourquoi se tracasser à sortir du nucléaire alors que le nucléaire, dixit tous ces spécialistes, est en fait tout à fait adapté à une politique de décarbonisation? D’autant que l’empreinte écologique du renouvelable n’est sans doute pas aussi faible qu’on le dit chez ceux qui en font la promotion, même si on lit sur le site wedemain.fr qu’elle est tout à fait gérable.

La réponse est que le nucléaire, sous sa forme actuelle, souffre de trois énormes problèmes qui en font une solution définitivement inacceptable. D’abord, c’est très dangereux et ce d’autant plus au sein d’un parc vieillissant et entretenu à l’économie. Même à Paris certains ont dû entendre parler de Three Miles Island, de Tchernobyl ou encore de Fukushima. En France même l’ASN s’alarme, et un jour au l’autre cela va nous péter à la gueule, comme on dit.

Ensuite la gestion des déchets, notamment ceux à forte radioactivité et à longue durée de vie, posent un problème actuellement inextricable. L’enfouissement, solution généralement proposée par les “experts”, revient à enterrer sous nos pieds un poison mortel pouvant rester (radio)actif pendant 100 000 ans et dont on ne peut garantir la stabilité. Le fameux projet Cigéo mené par l’ANDRA à Bure tiendra au mieux un siècle avant que tout ne prenne feu et ne s’échappe par les chemines de l’enfer censées “aérer” l’endroit.

Extrait du compte-rendu de ma première visite à Bure: Cigéo, c’est un chantier de 100 ans, 80 000 m3 de déchets de haute et moyenne activité à vie longue (des centaines de milliers d’années). Cigéo, c’est 500 hectares de stockage nucléaire et surface et 15 km2 de stockage souterrain à 500m sous terre. C’est des trains et des camions chargés de déchets nucléaires qui traverseront la France, voire l’Europe, pour y déverser leur poison. C’est des installations de ventilation afin d’évacuer l’hydrogène qui se dégagera sous terre des déchets brûlants, et dont la défaillance occasionnerait des explosions au sein des « colis » de matière hautement radioactive. Cigéo, c’est la gestion d’un site qui ne pourra que se dégrader au fil du temps avec une pollution radioactive massive des sols et des eaux, dont nous ignorons si notre civilisation aura les moyens d’en assurer la maintenance dans les siècles à venir. Cigéo, c’est des humains qui dans des milliers d’années subiront toujours le feu radioactif hérité d’une culture d’apprenti-sorciers et de prédateurs. de technocrates et de militaires (14).

Troisièmement, la technostructure associé à la gestion du nucléaire implique, en aval, la captation de sources d’approvisionnement en uranium, un business hautement polluant, hautement corrompu du système France-Afrique impliquant notamment AREVA et, tient donc, un certain Edouard Philippe (15). Elle installe, en amont, un Etat policier voué à la défense des intérêts du lobby nucléaire car inextricablement lié au pouvoir politique et militaire. Face au nucléaire les notions de justice, de démocratie, de droit fondamental disparaissent, comme on peut le constater chaque jour à Bure (16).

Limiter les émission de GES pour se retrouver grillé par le feu radioactif ne me semble pas une bonne option. L’humanité a aujourd’hui largement les moyens de développer des solutions énergétiques moins totalitaires, moins dangereuses, peu polluantes, et de se réorganiser afin de consommer moins et mieux. Mais cela ne se fera pas en un mandat présidentiel, cela ne se fera pas en utilisant la transition écologique pour arnaquer le peuple, et il n’est pas sûr que cela se fasse en misant tout sur le numérique.

La manière dont nous gérons nos ressources déterminera si l’effondrement civilisationnel qui arrive (17) sera définitif, ou, s’il sera l’occasion d’une renaissance sur un mode beaucoup plus décentralisé, beaucoup moins inégalitaire et plus naturellement coopératif.

 

Notes:

(1) https://theshiftproject.org/

(2) https://reporterre.net/Matthieu-Auzanneau-Augmenter-les-taxes-sur-l-essence-sans-proposer-d

(3) https://www.lemonde.fr/idees/article/2018/11/15/climat-se-priver-du-nucleaire-est-irresponsable_5383702_3232.html?xtmc=nucleaire&xtcr=3

(4) https://www.ucsusa.org/nuclear-power/cost-nuclear-power/retirements#.W_Pn9ehKiCh

(5) https://www.edf.fr/groupe-edf/espaces-dedies/l-energie-de-a-a-z/tout-sur-l-energie/produire-de-l-electricite/le-nucleaire-en-chiffres

(5b) http://votrenergie.eu/energie-renouvelable-11-etats-europeens-en-avance-de-5-ans/

(5c) https://www.letemps.ch/suisse/bugey-pourrait-accueillir-un-reacteur-nucleaire-nouvelle-generation

(6) https://www.lejdd.fr/societe/emissions-de-gaz-a-effet-de-serre-pourquoi-la-france-na-pas-tenu-ses-objectifs-3553265

(7) https://www.wedemain.fr/Fabrication-recyclage-quel-est-le-veritable-impact-ecologique-des-panneaux-solaires_a2960.html

(8) https://zerhubarbeblog.net/2018/11/13/ce-17-novembre-voir-la-vie-en-gilet-jaune/

(9) https://zerhubarbeblog.net/2015/11/30/cop21-ou-2-degres-dirrealisme/

(10) https://www.iter.org/fr/accueil

(11) https://zerhubarbeblog.net/2011/03/29/energie-nucleaire-a-base-de-thorium-la-chine-se-lance/

(12) https://zerhubarbeblog.net/2016/05/24/e-cat-fusion-froide-magouilles-et-gros-sous/

(13) https://zerhubarbeblog.net/2011/06/23/pour-des-forages-geothermiques-au-lieu-des-forages-petroliers/

(14) https://zerhubarbeblog.net/2017/10/02/bure-porte-de-lenfer-nucleaire/

(15) http://www.observatoire-du-nucleaire.org/spip.php?article330

(16) https://zerhubarbeblog.net/2018/03/08/retour-a-bure-mars-2018/

(17) https://zerhubarbeblog.net/2018/01/31/vers-la-fin-de-la-civilisation-occidentale/

 

A propos Vincent Verschoore

Animateur de Ze Rhubarbe Blog depuis 2008.

18 réponses

  1. Nunenthal Laurent

    Le problème du nucléaire actuel c’est qu’outre le danger et les déchets c’est une ressource en voie de disparition. Les énergies carbonées ne sont tout simplement plus acceptable. Reste les énergies renouvelables, la fusion nucléaires et la les centrales à sel fondu de Thorium, et les économies d’énergies. Il faut bien se rendre compte que demander au population de changer de mode de vie en si peu de temps et tout simplement impossible. La fusion ce n’est pas pour tout de suite, les énergies renouvelables sont en cous de développement trop lent. Mon avis est qu’il faut développer les centrale à sel fondu de thorium qui ont pour avantage d’être intrinsèquement sûre. Le problème des déchets, moins importants qu’avec les centrales à fissions classique ne pèsent pas lourd face aux avantages.
    Ces centrales permettrais d’avoir beaucoup d’énergie à très bas coûts. Avoir de l’énergie à bas coûts permets de baisser drastiquement le prix des panneaux photovoltaïque, de capturer le CO2 de l’air pour faire du carburant fossile à empreinte carbone neutre, de produire de l’hydrogène sans création de CO2 par électrolyse. Bref on pourrait si l’on s’en donnait les moyens, passer à une production d’énergie décarbonée en une décennie. Il s’agit juste d’une volonté politique.

      1. Nunenthal laurent

        Le problème du thorium c’est qu’il est coincé entre Edf/Areva qui ne veux pas perdre son investissement sur l’EPR et les écolos de sortir du nucléaire qui ne veule pas entendre parler de déchets. Il faudrait quelques millions d’euros pour valider les solutions techniques retenus par le labo de Grenoble. Et un réacteur prototype est évalué à 4 milliard d’euros une broutille par rapport a un epr

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