Risque de contournement du rond-point des Gilets Jaunes.

Autant l’occupation des ronds-points par les Gilets Jaunes fut une idée de génie, une présence hautement visible sur l’emblème de l’aménagement routier périurbain de France et de Navarre, autant les penseurs des hautes sphères de l’Etat y voient sans doute une opportunité de faire tourner en bourrique un mouvement social inattendu qui empêche, et c’est un comble, leurs petites affaires de tourner rond.

Le mouvement des Gilets Jaunes, par sa puissance et sa durée malgré les quelques éléments violents ayant nourri l’opportunité d’une politique de la matraque, est un événement social et politique tout à fait extraordinaire. Des milliers d’articles expliquent en quoi c’est le cas, d’où cela vient, et ce que cela dit sur, notamment, la situation des classes moyennes rurales paupérisées sous la pression fiscale. Pression dont certains vecteurs relèvent, en plus, du racket pur et simple (1).

D’abord surpris, inquiet, le pouvoir a désormais pris la mesure de la menace à son hégémonie législative et exécutive, ces deux branches du pouvoir ayant de fait fusionné sous le régime Macron, avec la justice pas loin derrière. Ce régime a parfaitement identifié le point faible d’un mouvement par essence traversé de nombreux courants, peu structuré, et dont les revendications initiales précises (arrêt de la fiscalisation du diesel, du racket des 80 km/h) ont muté en une revendication nettement plus politique avec, notamment, la demande de l’introduction du fameux Référendum d’Initiative Citoyenne (RIC) et des revendications générales de hausse du pouvoir d’achat.

Les gestionnaires de l’Etat, qui ont fait les grandes écoles et connaissent “le business”, savent que toute organisation qui croît et développe rapidement des extensions de marque sur le succès de son produit de base, se fragilise car il lui devient difficile de mainteneur une stratégie forte et cohérente. On apprend cela en marketing première année à HEC (2).

Ce problème d’extension de marque est devenu le problème du mouvement des Gilets Jaunes au sens où les revendications plus génériques se sont ajoutées aux revendications initiales dans la ferveur de l’instant, mais qu’elles posent des questions sans réponses simples, à moins d’accepter de passer d’une dictature LREM à une dictature GJ. Ce qui ne veut pas dire que ces questions ne méritent pas d’être posées bien au contraire, mais attendre des réponses du pouvoir dans l’urgence ouvre la porte à toutes sortes de pièges politiques que des gens comme Macron, Philippe et leurs conseillers manipulent très bien – c’est leur métier de base.

De toute évidence le mouvement a obtenu pas mal de choses (3): hausse du smic, gel de la hausse fiscale sur le diesel, report du durcissement du CT et bien d’autres, toutes pertes fiscales que le gouvernement va simplement compenser par l’emprunt d’Etat et donc que nous paierons tous d’une autre manière – par le service de la dette via l’impôt sur le revenu, notamment. Il n’y a par contre pas de réponse positive sur le sujet du racket routier (80 km/h et radars mobiles), qui pourtant pourrit la vie de pas mal de gens obligés de rouler chaque jour sur routes secondaires. Il ne faudrait pas lâcher cela.

Mais le piège n’est pas là, le piège est derrière l’appât d’un appel à revendications qui ira se perdre dans les catacombes d’un débat à dix milles voix et qui mourra de ses propres contradictions. Le piège est dans le fait de faire semblant que l’on peut réinventer en quelques semaines une culture politique nouvelle, qui sera en fait balayée à la première opportunité.

Une culture politique nouvelle, horizontale et moins encombrée des corps intermédiaires au profit d’une relation directe entre la tête de l’Etat et le peuple, c’était précisément le projet Macron d’origine. Cela c’est vite transformé en une verticalité bornée et hors-sol où l’on appliquait les recettes de l’ENA sans se soucier de la réalité au-delà du périphérique parisien, aboutissant à une crise qui voit le retour en force de ces fameux corps intermédiaires et le “repentir” du Chef de l’Etat.

La proposition d’un RIC qui s’intégrerait au processus législatif français est tout à fait pertinente. Pourtant il n’y a pas là de débat à avoir dès lors que l’on accepte que cela ne marchera que si cela respecte les fondements du droit français, et notamment l’aval du Conseil Constitutionnel.

Passer au-dessus du C.C. ce serait faire sauter la dernière ligne de défense de la Constitution française face à la prédation législative, d’où qu’elle vienne. Il est certes imparfait, mais sans lui ce serait encore pire. La proposition faite par les GJ au gouvernement devrait donc, à mon avis, rester simplissime: le RIC encadré par l’aval du C.C. Du moins pour commencer. Pas besoin de débat, le débat politique devant rester l’affaire de la représentation classique: syndicats, associations, partis politiques, campagnes électorales, etc…

Je crains que si les GJ se laissent entraîner dans des procédures complexes aux objectifs mal définis, avec des représentants qui n’en sont pas vraiment, leurs ronds-points vont se retrouver encerclés et contournés par les technocrates et politiciens professionnels qui sont, eux, parfaitement à l’aise avec les tours de manèges institutionnels.

Liens et sources:

(1) https://zerhubarbeblog.net/2018/10/10/letat-et-le-racket-des-radars-mobiles/

(2) https://www.e-marketing.fr/Marketing-Magazine/Article/Les-effets-paradoxaux-de-l-extension-de-marque-36317-1.htm#jYvL6k29IK1r5Gq7.97

(3) https://www.franceinter.fr/societe/voici-la-liste-exhaustive-des-mesures-obtenues-par-les-gilets-jaunes-depuis-le-debut-du-mouvement

A propos Vincent Verschoore

Animateur de Ze Rhubarbe Blog depuis 2008.

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