Donald Trump laissera des traces, et à mi-chemin de son mandat présidentiel l’Administration US nage dans un indicible bordel qui ferait rire si elle n’était pas aux commandes de la première puissance mondiale.
Ce n’est pas la première fois qu’un Président américain se confronte à un gouvernement (cad la partie institutionnelle de l’Administration US) qui ne partage pas ses opinions et s’oppose, sabote en douce les volontés présidentielles afin de préserver, tant que faire se peut, un status quo dans l’attente de jours meilleurs. Jimmy Carter en avait fait l’expérience en 1977 lorsqu’il voulu honorer une promesse de campagne et retirer les troupes US de la Corée du Sud, contre l’avis de ses généraux et de l’Etat Profond US. Il n’y est jamais arrivé et a fini par laisser tomber.
Mais avec Trump on est passé dans une autre dimension, dans un chaos digne d’un roman surréaliste de fin de règne où les têtes roulent dans chaque non-coin du bureau ovale pendant que des membres du staff présidentiel planquent les papiers à faire signer, les services secrets bloquent les informations stratégiques, la justice le harcèle ainsi que son entourage et sa femme lui fait la gueule. VDM.
Reprenons point par point, en commençant avec le Moyen-Orient. Trump a toujours dit qu’il voulait quitter l’Afghanistan, mais après quelques mois au pouvoir il a changé d’avis et s’est rangé du côté du Pentagone qui sait bien que le retrait US mènerait directement à la victoire totale des Talibans, retour à la case départ après 17 années de combats et un nombre astronomique de milliards de dollars n’ayant servi à rien d’autre que nourrir le complexe militaro-industriel. Cela dit Trump vient d’annoncer le retrait de la moitié du contingent US en Afghanistan…
En Syrie, Trump a également toujours dit qu’il voulait quitter les lieux avant fin 2018 (1) mais on pouvait penser que l’institution, à nouveau, avait eu gain de cause et en septembre le représentant US en Syrie, James Jeffrey, disait carrément que la nouvelle politique US était de ne plus partir fin 2018. Sauf que voici deux jours Trump annonçait précisément le contraire: les US se retirent de Syrie. Annonce provoquant dans la foulée la démission de James Mattis, son ministre de la Défense. Un personnage très respecté à l’intérieur comme à l’extérieur du pays, et dont la place désormais vacante renforce l’incertitude générale face à la politique extérieure US.
Donald Trump ne fait qu’appliquer ses promesses de campagne, dont le retrait du Moyen-Orient tant que faire se peut. Certes il restera toujours 2000 militaires US stationnés en Irak, mais la situation entre chiites et sunnites étant en train de dégénérer là-bas ils auront sans doute assez à faire pour défendre leur propre peau avant d’aller se balader en Syrie (2).
Trump justifie sa décision en disant que Daech est défait et que les US n’ont plus rien à faire en Syrie. Daech n’est certainement pas défait, mais sa capacité de nuire est fortement réduite en effet. Capacité qui pourrait renaître rapidement si elle s’avérait utile pour faire avancer les pions de certains joueurs, notamment la Turquie ou l’axe US-Israël-Arabie saoudite.
L’Europe et la question russe forment également un point de désaccord fondamental entre le gouvernement et Trump: le premier considère la Russie comme un ennemi alors que Trump a généralement des propos plutôt sympathiques à l’égard de Poutine, allant jusqu’à dire lors du dernier G-7 au Canada que la Crimée était bien Russe vu que tout le monde y parlait russe. Un peu plus tard John Bolton, son conseiller en sécurité nationale, répliquait que l’avis de Trump n’était pas celui des Etats-Unis… Ambiance!
Cela dit, la politique US à l’égard de la Russie est très dure, bien plus dure que ne l’était celle d’Obama d’où un décalage flagrant entre le discours de Trump et la réelle posture US – signe encore une fois des oppositions au sein de cette Administration. En Europe, Trump a fait un scandale en disant qu’il en avait assez que les US paient pour la défense européenne. Néanmoins les US participent actuellement en Pologne au plus grand exercice de l’OTAN depuis de nombreuses années, Trojan Footprint. et viennent d’intégrer la Macédoine au sein de l’Alliance.
Les US ont fourni des missiles anti-chars Javelin aux Ukrainiens et expulsé des espions russes par sympathie avec l’affaire anglaise du Novichock (3), ils ne laissent rien passer à Poutine mais comme le disait l’ex-Ambassadeur US en Russie sous Obama, Michael McFaul, sur la politique de l’Administration Trump envers la Russie: “Je suis d’accord avec la plupart de ses aspects. C’est juste que le Président, lui, ne semble pas d’accord avec elle“.
Enfin aux USA, le conflit ouvert entre Trump et le Sénat a mené à un shutdown de l’Administration, une période de chômage technique à durée indéterminée par refus du Sénat de voter une loi de financement devant permettre la construction du fameux mur anti-migrants sur la frontière avec le Mexique (4).
Il y a très clairement un fossé entre les aspirations de Donald Trump et les traditions gouvernementales US. Il y a toujours des frictions bien sûr, il est évident que le Pentagone n’a jamais apprécié la volonté d’Obama de trouver un accord avec les Iraniens ni de mettre de la distance avec l’allié traditionnel qu’est l’Arabie Saoudite. Mais avec Trump c’est un conflit ouvert qui entraîne un turnover énorme (5) au sein de l’Administration et donne l’impression d’une Amérique à deux têtes défendant des idées opposées. Cela est très déstabilisant pour les alliés traditionnels des USA qui ne savent jamais quel coup de dès va déclencher la posture suivante, ni quel décalage il va y avoir entre la rhétorique et les actions.
On peut évidememnt voir ce conflit comme étant celui entre, d’un côté, des professionnels responsables qui connaissent leurs dossiers et les réalités du monde, et de l’autre un intrus qui tel un éléphant (ben oui ça Trump énormément) dans un magasin de porcelaine qui pense pouvoir contourner toute cette institution via ses innombrables tweets et ses déclarations à l’emporte-pièce.
Néanmoins Trump a réussi à renégocier un accord nord-américain sans doute meilleur que l’original (6), il a réussi tout seul une percée diplomatique sur la question Nord-Coréenne, il bataille pour honorer sa promesse de retirer les troupes US du bourbier moyen-oriental tout comme il confronte le Sénat pour construire son mur – mur qui devait d’ailleurs être payé par le Mexique, mais visiblement le nouveau Président mexicain Andres Manuel Lopez Obrador n’a aucune intention de coopérer (7).
Cette forme de cohabitation est-elle positive? Pour les anti-Trump oui bien sûr, elle évite l’apocalypse associée à un Donald débridé. A l’inverse les pro-Trump y voient la main de l’establishment prédateur et corrompu essayant de freiner le grand nettoyage promis par leur Donald. Ce qui semble certain est que le style Trump requiert d’avoir une très bonne équipe qui partage l’idéologie générale de leur chef, plus encore que pour un Président “normal”. En effet, un Bush ou un Obama maniait la rhétorique avec prudence, projetant une ligne politique qu’il suivait ensuite grosso modo. L’Administration n’avait plus qu’à mettre en oeuvre une politique relativement claire.
Dans le cas actuel, Trump défriche le terrain à grands coups de machette, tape sur ses alliés, lance une guerre commerciale contre la Chine, serre la pince à Kim Jong-un, bref secoue le cocotier afin de faire bouger les lignes pour ensuite laisser son équipe panser les plaies et réajuster le tir si besoin. Ceci nécessite une équipe fidèle et compétente qu’il n’arrive à pas obtenir, du fait de sa personnalité hautement imbuvable sans doute. Résultat, une Administration chaotique.
Une chose est sûre, l’Amérique profonde a besoin que l’on s’occupe d’elle. La paupérisation, la prédation des banques mafieuses, la corruption, l’iniquité du système de santé, la violence et l’épidémie d’opium ravagent une population dont l’espérance de vie recule, une société au bord de l’effondrement (8). Je ne sais pas si Trump l’a compris, mais il semble avoir compris que l’avenir de son pays n’est pas dans la fabrication et l’entretien de guerres sans fin.
Ses problèmes internes viennent aussi, sans doute, d’une opposition farouche de la part de l’Etat Profond US, cette Administration de l’ombre composée du complexe militaro-industriel, des services secrets et de la mafia financière qui, eux, profitent de toutes ces guerres (9). Le principal ennemi de la société américaine se situe en son propre sein, l’Histoire dira de quel côté Donald Trump se situait vraiment.
Liens et sources:
(1) https://zerhubarbeblog.net/2018/07/06/vers-une-fin-de-partie-pour-les-usa-en-syrie/
(3) https://zerhubarbeblog.net/2018/04/05/novichok-ou-lart-de-la-branlette-anglaise/
(6) https://www.vox.com/2018/10/3/17930092/usmca-nafta-trump-trade-deal-explained
(8) https://zerhubarbeblog.net/2018/01/29/la-societe-americaine-au-bord-de-leffondrement-et-nous/
(9) https://zerhubarbeblog.net/2017/03/16/letat-profond-et-autres-cancers/