Brexit sans accord, comment continuer à ravitailler le Royaume-Uni? Cette question fait partie du “plan de guerre” développé par Theresa May en cas de sortie de l’UE sans accord, une solution que pas grand monde ne veut mais qui pourrait néanmoins arriver par défaut, comme présenté dans l’article de décembre “Brexit Poker 5 – War games” (1).
30% à 40% de toute la nourriture consommée au RU est importée via le trafic trans-Manche. 50 000 tonnes de nourriture transitent de l’UE au RU chaque jour. Et la filière de distribution britannique n’a absolument pas la capacité de stocker grand-chose de plus que ce qu’elle stocke déjà pour alimenter son flux tendu.
Les trois lignes principales du trafic trans-Manche, DFDS, P&O et Brittany Ferries, sont sur le pied de guerre. Fin décembre Brittany Ferries signait des contrats pour près de 52 millions d’euros avec le ministère des transports britannique afin de doubler sa capacité de fret. DFDS faisait pareil de son côté, le but étant de compenser, par l’ajout de capacité, les longs délais liés au passage en douanes des milliers de camions qui transitent chaque jour (2).
Toujours dans la même optique, une nouvelle compagnie maritime a été embauchée par ce même ministère des Transports pour lancer une ligne de fret entre les ports de Ramsgate et d’Ostende, la Seabourne Freight. Montant du contrat: près de 15 millions d’euros. Sauf qu’à l’heure actuelle la Seabourne Freight ne possède aucun navire et ne dispose pas des droits d’accès à ces deux ports, ce qui a mené les médias britanniques à se poser de sérieuses questions sur la nature de ce contrat:
La presse s’en donne à cœur joie, par exemple cet article du Guardian (3) qui relève que le contrat liant le ministère britannique et Seabourne contient des copiés/collés d’un service de livraison de pizzas. L’opposition n’est pas en reste, les représentants du Labour se moquant du ministre Chris Grayling qui dit avoir avalisé le contrat avec Seabourne avec le plus grand professionnalisme.
Au-delà du comique, le cas Seabourne met en exergue la grave problématique liée au Brexit: le Parlement britannique va bientôt voter pour ou contre le plan de Theresa May pour un accord de sortie avec l’UE. La probabilité d’un vote pour ce plan est très faible, c’est en tout cas ce qui se dit partout dans la presse britannique mais il ne faut bien sûr pas vendre la peau de ce soft Brexit avant qu’il ne soit vraiment mort, en politique tout est possible.
Reste que le gouvernement a visiblement pris la mesure d’un échec qui confronterait le RU à un choix: hard Brexit ou second référendum, et de ce second référendum Theresa May ne veut pas, et il n’est pas clair que l’opposition menée par Jeremy Corbyn le veuille non plus même si de nombreuses personnes s’expriment en faveur de cette possibilité de confirmation populaire, ou non, par les urnes.
Il est donc tout à fait logique que le RU se prépare à un hard Brexit, une tâche titanesque dont l’affaire Seabourne Freight n’est qu’un élément assez marginal: 15 millions d’euros n’est qu’une goutte d’eau par rapport à ce que un hard Brexit coûterait au RU – le FMI parle d’un coût équivalent à 6% du PIB britannique (4), le Guardian parle d’un coût pour les finances publiques de 80 milliards de livres (5).
Reste que les périodes de crise, où les choses se font dans l’urgence, offrent des opportunités aux mafieux qui savent se vendre aux politiques en quête de solutions à des problèmes qu’ils ne maîtrisent pas. Comme l’indique le reportage de Channel 4 ci-dessus le patron de Seabourne Freight, un certain Ben Sharp, semble traîner quelques casseroles. Je ne doute pas que de nombreuses organisations mafieuses sentent venir quelques bons coups à mener sur le dos des Britanniques confrontés à une situation de crise majeure.
Un hard Brexit est-il une conclusion crédible de tout ce processus, that is the question. Pour Theresa May, c’est la seule alternative à son plan mais on peut penser que c’est du bluff, une manière de mettre les parlementaires le dos au mur: voter pour ou assumer la catastrophe. Pour l’opposition, le hard Brexit n’est pas une solution envisageable, même si un second référendum ne l’est pas vraiment non plus, pas plus que le plan de May.
On se demande alors ce qu’il reste comme proposition si aucune de celles sur la table n’est recevable. Il est donc probable que Corbyn soit en train de préparer une proposition alternative en cas – probable – d’échec du plan de May, qui ne soit si un hard Brexit ni un second référendum, mais on se demande bien laquelle.
Lien et sources:
(1) https://zerhubarbeblog.net/2018/12/18/brexit-poker-5-war-games/
(4) https://www.insurancejournal.com/news/international/2018/11/16/509448.htm
Fiction? https://www.franceinter.fr/monde/royaume-uni-la-fiction-qui-devoile-la-manipulation-de-l-opinion-publique-britannique?utm_medium=Social&utm_source=Facebook&fbclid=IwAR0MrGsUfyF_UcQL00hu6tPyEs8N0K_8fwC9kOcm3gi0O3Dj1VDWaEzkK6E#Echobox=1546839240
Le coup de gueule d’un élu du Labour: https://www.theguardian.com/commentisfree/2019/jan/07/no-leftwing-justification-brexit-trumpist-us-eu?CMP=fb_gu&fbclid=IwAR0ImoRkKHmzlZBWB5SWTsywKZt00fpyG8MDlnVW_pkEOS0S2DYeRJczQdM
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[…] Ouvrir la frontière française serait certainement un argument de poids face à l’absolutisme britannique, l’image des Coast Guards coulant à vue des centaines de rafiots chargés de migrants pouvant avoir, au-delà des applaudissements de la droite britannique, quelques répercussions compliquées pour le Boris. Un profond désaccord ente le RU et l’UE pourrait aussi mener à une forme de blocus marchand, une partie conséquente de la consommation britannique transitant par la Manche (11). […]