La malédiction touristique aéroportée.

Une toute récente étude de l’Université de Sydney, reproduite dans le journal Nature, analyse l’impact écologique du tourisme. Impact en grande partie lié au trafic aérien qui transporte actuellement quatre milliards de passagers chaque année. Ce chiffre, selon les estimations de la Air Transport International Association, va presque doubler sur les vingt prochaines années pour atteindre 7,8 milliards de passagers en 2036.

La moitié des passagers actuels sont des touristes, mais cette proportion va augmenter au pro-rata de l’enrichissement des pays dits en voie de développement, notamment la Chine et l’Inde.

L’industrie du tourisme compte pour 8% du total mondial des émissions de gaz à effet de serre, incluant le transport bien sûr mais également la production locale associée au tourisme: infrastructures, alimentation, fabrication des souvenirs, etc… La partie transport aérien représenterait de l’ordre de 1/4 de ces émissions, soit de l’ordre de 2% du total des émissions de GES mondiales. Voici la traduction du résumé de l’étude australienne (1):

Le tourisme contribue grandement au PIB mondial, et devrait croître à un taux annuel de 4%, un taux nettement supérieur au taux de croissance de la plupart des autres secteurs. Néanmoins les émissions de carbone associées au tourisme sont aujourd’hui mal identifiées. Dans cette étude nous quantifions les flux carbonés entre 160 pays, et leurs empreintes carbone selon une compatibilité associée aux pays d’origine et aux pays de destination.

Nous découvrons que, entre 2009 et 2013, l’empreinte carbone globale du tourisme est passée de 3,9 à 4,5 Gigatonnes de CO2, quatre fois plus que l’estimation précédente, et représente 8% des émissions globales. Le transport, l’alimentation et le shopping sont des contributeurs significatifs. La plus grande partie de cette empreinte est associée aux pays les plus riches. La forte croissance du secteur dépasse sa capacité de décarbonisation et nous estimons que dans l’avenir le tourisme va représenter une part croissante du total des émissions de GES.

Le tourisme est une industrie majeure, qui par exemple représente en France 7% du PIB. Un tiers de ce montant est lié au touristes transnationaux, Les pays les plus pollueurs en termes d’origine touristique sont les USA, l’Allemagne et la Chine, résultat sans surprise pour qui fréquente les destinations touristiques les plus prisées de part le monde. Il participe à l’enrichissement économique de certains pays mais au prix d’une catastrophe environnementale et sociale qui touche en premier lieu les habitants des zones recevant les touristes, là où ces habitants subissent les nuisances touristiques sans nécessairement en tirer le moindre bénéfice.

Cette situation alimente une “tourismophobie” croissante, devenue véritable révolte à Barcelone (2) mais qui couve en de nombreux endroits où la vie des locaux est totalement polluée par l’activité touristique, au point de devoir quitter leurs lieux de vies du fait de l’enchérissement locatif et la transformation des magasins de proximité en restaurants fast-food, souvenir-shops et boutiques de luxe fonctionnant presque uniquement avec les touristes.

Selon ces sources les touristes français ont dépensé de l’ordre de 26,6 milliards d’euros hors France (3), alors que les touristes étrangers dépensaient de l’ordre de 52 milliards d’euros en France (4). Bénéfice net pour la France de 25,4 milliards si mes calculs sont justes, mais qui est compensé par un manque à gagner des pays d’origine. Le tourisme est globalement un jeu à somme nulle hors la partie transport aérien, mais un pays attractif peut attirer une manne économique importante et c’est la politique affichée de destinations à la mode telle la Hongrie (5) ou le Népal.

Cependant, selon l’étude australienne, la croissance économique à base de tourisme intensif n’est pas efficace en termes d’empreinte au sens où elle génère plus de carbone que d’autres stratégies de développement, et que ce fort taux d’émission a, en plus, des impacts négatifs sur l’attractivité touristique: moins de neige en montagne, disparition de la barrière de corail etc… du fait du réchauffement. Ceci, évidemment, selon l’hypothèse d’un lien causal déterminant entre empreinte carbone et climat d’une part, et en faisant abstraction des destinations touristiques potentielles qui pourraient surgir du fait du réchauffement d’autre part.

Reste que le tourisme, et notamment le tourisme au long-cours, est une malédiction pour les habitants de ces lieux (6), que ce soit la transformation des centre-villes en vastes luna-parks ou le bétonnage des côtes, le bruit, la pollution sonore, et bien sûr la main-mise de la mafia comme le décrit ce paragraphe de la revue Hérodote è5):

La Côte d’Azur et la Costa del Sol sont les deux régions touristiques où l’implantation mafieuse est sans doute la plus forte du fait de caractéristiques géographiques et géopolitiques bien spécifiques. Il s’agit de régions frontalières, à proximité desquelles se trouvent des paradis fiscaux (Monaco et Gibraltar), et où ont été implantés de nombreux casinos…

Tout ceci contribue à faire de ces régions des territoires très convoités où séjournent des personnalités très fortunées, chefs d’État tels que les émirs du Golfe persique ou la famille du roi d’Arabie saoudite sur la Costa del Sol, riches entrepreneurs russes pour la Côte d’Azur, et aussi bien sûr ce qu’on appelle la « jet-set », souvent consommatrice de drogues. La spéculation foncière y bat des records, l’immobilier étant, on le sait, un des principaux canaux de blanchiment de l’argent.

Aussi, les mafias, dont l’Italie n’a pas l’exclusivité surtout depuis la chute du communisme, ont investi ces territoires, mafias espagnole, française, marocaine, russe, ukrainienne, albanaise. Selon une estimation d’Interpol, la Costa del Sol héberge jusqu’à 18000 criminels étrangers de 70 nationalités. Leurs pratiques vont du trafic d’armes à la prostitution et au blanchiment d’argent. Plusieurs articles dans des grands quotidiens ont dénoncé le non-respect des règles en matière d’urbanisation et d’aménagement du territoire et la corruption de certains policiers ou élus locaux.

Le développement du tourisme international de masse est évidemment lié au faible coût du transport aérien, lui-même rendu possible par la non-taxation du kérosène. J’avais fais ce petit calcul dans un précédent billet sur les Gilets Jaunes (8):

J’ai vérifié, un boeing 737 typiquement utilisé par Ryanair consomme, sur un trajet Charleroi-Budapest, de l’ordre de 50 litres de kérosène par passager, 100 litres pour un AR. A 1,50 euro le litre, rien que le coût du carburant serait de 150 euros par personne s’il était taxé comme le diesel ou l’essence. Or le billet AR, avec le carburant, l’amortissement de l’avion, le salaire de l’équipage et tous les frais généraux, n’est que de 50 euros. Cherchez l’erreur. Idem pour les gros navires qui carburent au fuel lourd. 

Autrement dit, le simple fait de taxer le carburant des avions au même taux que le carburant de nos voitures européennes multiplierait le prix d’un billet low-cost par trois ou quatre! Voilà qui diminuerait de manière significative le nombre de passagers et donc l’empreinte carbone, la pollution et la sur-fréquentation des destinations les plus populaires.

Ce type de mesure n’est pas d’actualité mais néanmoins un accord nommé CORSIA (9) fût signé en 2016 avec l’Organisation de l’Aviation Civile Internationale, visant à ne pas dépasser le seuil d’émissions prévu pour 2020 via une taxe carbone permettant de compenser les dépassements. Autrement dit, les compagnies paieraient cette taxe en fonction du dépassement de leur niveau d’émissions de 2020, taxe qui financerait des projets d’absorption de carbone (genre planter des forêts) pour que le taux net d’émission reste au niveau de celui de 2020.

D’autres idées bonnes ou mauvaises circulent, allant de l’optimisation des plans de vol des avions, qui doivent aujourd’hui passer par des points de passage fixes qui souvent rallongent la route (bonne idée), au retour des moteurs à hélice qui vont moins vite mais consomment nettement moins que les moteurs à réaction (pourquoi pas), à l’utilisation de biocarburants et donc la conversion de zone agricoles alimentaires en production de carburant pour avions (oui, mauvaise idée).

Ou encore l’avion électrique, mais qui comme la voiture électrique relève surtout du plan de communication car sans intérêt écologique à moins d’avoir une source d’énergie réellement propre, mais dans le cas d’un avion commercial il faudrait, en plus, que la batterie fasse à peu près la taille de l’avion lui-même donc ça règle la question.

La meilleure solution est évidemment d’éviter de prendre l’avion. Sur les dix dernières années j’ai pris l’avion une fois (pour ce fameux vol vers Budapest) et ne m’en porte pas plus mal, mais c’est bien sûr un choix personnel. Pourtant il faudrait quand même avoir, a minima, une cohérence entre le discours et les actes. Personnellement j’ai du mal à prendre au sérieux les postures écologistes limite intransigeantes de gens qui, par ailleurs, font chaque année de grands voyages en avion.

Liens et sources:

(1) https://www.nature.com/articles/s41558-018-0141-x

(2) https://journals.openedition.org/teoros/3367?lang=fr

(3) https://www.entreprises.gouv.fr/files/files/directions_services/etudes-et-statistiques/4p-DGE/2017-07-4p73-tourisme-francais.pdf

(4) http://www.quotidiendutourisme.com/destination/augmentation-sensible-des-depenses-des-touristes-francais-en-2016-a-letranger/144320

(5) https://zerhubarbeblog.net/2018/10/29/la-hongrie-modele-dun-futur-anterieur/

(6) http://www.slate.fr/story/149337/italie-tourisme-masse-piege

(7) https://www.cairn.info/revue-herodote-2007-4-page-3.htm

(8) https://zerhubarbeblog.net/2018/11/13/ce-17-novembre-voir-la-vie-en-gilet-jaune/

(9) https://oaci.delegfrance.org/L-Assemblee-de-l-OACI-adopte-une-resolution-historique-relative-a-un-mecanisme

A propos Vincent Verschoore

Animateur de Ze Rhubarbe Blog depuis 2008.

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