Vers une solution en Afghanistan?

Le Wall Street Journal de ce matin publie un article faisant état de négociations avancées entre le gouvernement américain et les Talibans (1). Ces négociations sont en cours depuis l’élection de Donald Trump dont la campagne était basée, entre autres, sur un retour des forces US depuis l’Afghanistan et la Syrie.

La clé de voûte de ces négociations est Zalmay Khalilzad, un diplomate américain de souche Pachtoune né en Afghanistan. Il fut nommé ambassadeur américain en Afghanistan par G.W. Bush dès l’invasion US de ce pays, avant de se pencher sur l’Irak, puis l’ONU, avant de revenir en Afghanistan en tant qu’envoyé spécial de la Maison Blanche pour trouver une solution de sortie à ce conflit de 17 ans.

A l’heure actuelle les Talibans contrôlent directement 15% du territoire afghan et se battent pour le contrôle d’un autre 30%, le reste étant plus ou moins sous contrôle du gouvernement. La violence est remontée depuis le printemps 2018 alors que Trump promettait le retrait d’au moins la moitié de ses 14 000 soldats encore stationnés là-bas. L’Afghanistan fut le théâtre de guerre le plus meurtrier de 2018 (2).

Au même moment les Talibans refusaient la proposition du président afghan Ashraf Ghani d’ouvrir des négociations inter-afghanes, exigeant de discuter directement avec les américains. D’où le processus de paix dit de Doha, en cours actuellement. Tout, évidemment, oppose les Talibans des américains et du gouvernement afghan sauf une chose: l’opposition au retour d’Al-Qaïda et surtout à la montée en puissance de l’Etat Islamique en Afghanistan.

Autant tous sont des islamistes extrémistes sunnites autant ils n’ont pas tous les mêmes objectifs. Les Talibans sont un mélange de théologie deobandiste originaire d’Asie du Sud, de wahhabisme importé d’Arabie Saoudite et de coutumes pachtounes. Ils prônent l’instauration d’un Émirat afghan sans visée internationaliste, c’est-à-dire sans recours au terrorisme à l’extérieur de ses frontières. En ce sens ils tentent de projeter une image attractive pour l’ensemble de la population afghane et se battent contre les forces officielles, les américains et leur alliés mais évitent de s’en prendre directement à la population civile.

Al-Qaïda et, surtout, l’Etat Islamique cherchent plutôt à imposer leur système de pensée à tout le monde par la violence, à utiliser le territoire comme base de lancement pour des attaques à l’étranger, et se battent contre tout le monde: les Talibans, le gouvernement afghan et les forces alliées.

C’est ceci qui permet aux Talibans et Américains de négocier quelque chose: ils sont d’accord sur la nécessité de combattre l’EI même s’il est plus compliqué pour les insurgés afghans de dire publiquement qu’il faut aussi combattre Al-Qaïda. L’ombre d’Osama ben Laden plane encore sur les troupes talibanes comme la figure même du héro face aux démons occidentaux, soviétiques ou américains.

Mais l’article du WSJ ce matin semble indiquer qu’une avancée importante est en cours: les Américains accepteraient de se retirer de l’Afghanistan, en contre-partie les Talibans promettraient de ne pas tolérer les autres factions islamistes dans les zones qu’ils contrôlent.

Tout ça pour ça. Après un million de milliards de dollars gaspillés dans cette guerre, 3 500 soldats alliés tués, 111 000 afghans (civils, Talibans et police/militaires) tués, un régime entièrement sous tutelle et financement américain qui s’effondrera dès le départ américain, une population traumatisée pour des générations, et un business de l’opium en mode turbo qui aliment plus de 90% du marché mondial des opiacés, le bilan de la guerre lancée par G.W. Bush au lendemain des événements du 11 septembre 2001 est un désastre complet. Enfin sauf pour les marchés de l’armement et de l’opium, bien sûr.

Une plongée dans l’enfer afghan nous fut offerte par Elie Paul Cohen avec son livre “la guerre sans front”, dont je fis un compte-rendu dans le billet éponyme (3). Engagé en 2011 comme médecin du côté britannique, basé dans une forteresse nommée The Bastion au cœur du Helmand, voici ce qu’en concluait l’auteur en 2014 lors de la parution du livre:


En treize ans de guerre, les opérations militaires britanniques auraient coûté 50 milliards d’euros, peut-être les plus chères de leur histoire. Ce conflit aurait fait près de 37 000 morts dont 453 Britanniques, 2 357 Américains, 675 soldats de la coalition dont 89 français, 13 000 soldats afghans et 21 000 civils. Sans compter les innombrables blessés, souvent très graves et impotents pour le restant de leur vie. Les talibans sont toujours sur le terrain, presque aux portes de Kaboul, le trafic d’opium continue, le pays reste corrompu et la condition de la femme n’a pas vraiment changé. 

Peut-être pouvons-nous enfin entrevoir une fin à cette catastrophe, du moins une fin des combats liés à la présence de la coalition US, et un pays qui redeviendra rapidement ce qu’il était avant l’invasion: un pays islamiste dominé par les Talibans et premier producteur mondial d’opium. Peu importe d’ailleurs que la drogue soit interdite par le Coran: business is business, faut pas charia quand même.

Liens et sources:

(1) https://www.wsj.com/articles/taliban-agrees-to-bar-al-qaeda-and-islamic-state-from-afghanistan-11548330242?ns=prod/accounts-wsj

(2) http://www.lefigaro.fr/international/2018/09/14/01003-20180914ARTFIG00238-le-conflit-afghan-pourrait-etre-le-plus-meurtrier-de-2018.php

(3) https://zerhubarbeblog.net/2017/10/08/la-guerre-sans-front-par-elie-paul-cohen/

A propos Vincent Verschoore

Animateur de Ze Rhubarbe Blog depuis 2008.

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