L’épidémie d’addictions mortelles aux opiacés, dérivés de l’opium, décime la société américaine. Avec un taux de mortalité de l’ordre de 150 personnes par jour, cette addiction nourrie par l’industrie pharmaceutique est un symbole de la corruption, de la vénalité, de la déchéance morale des sociétés qui fabriquent et vendent ces produits, ainsi que de l’organisme d’Etat censé réguler la mise sur le marché de tout médicament aux USA: la FDA.
Tout comme l’ANSM français, ce genre d’organisation régulatrice en prise directe avec les intérêts commerciaux des riches et puissantes entreprises pharmaceutiques sont généralement des modèles de corruption, mais dans le cas des opiacés on peut même parler d’homicide à grande échelle.
Le problème date de la fin des années 90 et la vente légale d’opiacés en tant que médicaments contre la douleur. Hautement addictifs, ces produits sont achetés par des malades qui deviennent toxicomanes et en meurent. Du fait de la résistance croissante de la population aux effets calmant des produits, les laboratoires sortent régulièrement des produits de plus en plus puissants.
Le dernier en date est le Dsuvia, une version gonflée du Fentanyl fabriqué par la société AcelRx. Mais la mise sur le marché de ce produit hautement toxique a finalement fait réagir des membres de la FDA elle-même, plus précisément des membres du comité de spécialistes appelés à donner un avis sur la mise sur le marché de tout nouvel anti-douleur.
Le responsable de ce comité, le Dr Raeford Brown, a donné une interview publiée dans le Guardian du 24 janvier 2019 sur la manière de procéder de la FDA, sur la proximité de ses dirigeants avec l’industrie pharmaceutique, et le désintérêt absolu de ces gens face aux milliers de morts annuelles directement liées à la consommation d’opiacés (1).
La FDA avvait déjà été inquiétée suite à des révélations sur un système dit pay to play où les laboratoires payent pour participer aux réunions de définition des critères d’approbation des produits. Un ancien directeur des hôpitaux de New York, Andrew Kolodny, milite depuis 2004 contre ce système:
En arrivant au pouvoir Donald Trump avait dit vouloir s’attaquer à ce problème et il avait nommé un certain Dr Scott Gottlieb à la tête de l’agence pour y mettre de l’ordre. Le rapport initial de Gottlieb confirmait l’étendue du problème et promettait d’y remédier, mais un an plus tard rien n’a changé et le Dsuvia, qui avait été refusé par le conseil en 2017, fut à nouveau proposé à l’agence en 2018 – cette fois le conseil du Dr Brown ne fut pas invité et le Dsuvia fut approuvé.
A sa décharge le Dr Gottleib a précisé que le Dsuvia, développé en partenariat avec le ministère américain de la Défense, aurait une distribution très restreinte et principalement dans le domaine militaire, mais le Dr Brown reste sceptique. Ce dernier accuse la FDA d’entretenir des rapports bien trop étroits avec les laboratoires, surtout depuis que la division de la FDA en charge des opiacés est financée à 75% par cette même industrie.
L’addiction aux opiacés est l’un des éléments qui contribuent à ce que
Umair Hague, entre autres, décrit comme l’effondrement de la société américaine, sur lequel j’ai publié cet article (2) où Hague fait le constat suivant:
Hague note que l’accès à de tels produits n’est pas unique aux USA, pourtant cette épidémie addictive ne se voit pas ailleurs. Cette nécessité américaine de se shooter à l’opium est donc pour lui un second signe d’effondrement sociétal, un phénomène qu’il associe au fait de vivre des vies traumatisantes et désespérées, dans un pays offrant peu de services de santé accessibles aux moins fortunés, et où la drogue relève de l’auto-médication par défaut.
Cette industrie nécessite également une fourniture abondante de matière première, l’opium, et on est vite tenté de faire un lien entre ce marché et la préservation par l’armée US des énormes champs de pavots de l’Afghanistan, pays qui produit 90% de la consommation mondiale. En 17 ans de guerre le pays a été détruit mais pas l’agriculture du pavot, qui permet certes à de nombreux Afghans de survivre mais participe également du financement des Talibans. Situation qui ne changera pas en cas de retrait des troupes US (3).
Le commerce de l’opium fut au XIXème siècle l’arme de destruction massive qui permit aux Anglais de contrôler la Chine. Aujourd’hui il est une arme “légale” de destruction massive de la société américaine aux mains des laboratoires pharmaceutiques américains et de la FDA. 200 000 morts en 20 ans, sans parler des ravages du trafic de drogue illégal bien sûr. Un problème de corruption qui recouvre une problématique sociétale beaucoup plus large.
Liens et sources:
(1) https://www.theguardian.com/us-news/2019/jan/24/fda-opioids-big-pharma-prescriptions
(2) https://zerhubarbeblog.net/2018/01/29/la-societe-americaine-au-bord-de-leffondrement-et-nous/
(3) https://zerhubarbeblog.net/2019/01/24/vers-une-solution-en-afghanistan/
La réalité dépasse la fiction… https://www.motherjones.com/crime-justice/2019/02/opioid-epidemic-rehab-recruiters/
La catastrophe touche aussi le Canada: https://www.facebook.com/konbininews/videos/2419116501639358/UzpfSTEwMTAyNjgwNjE6MTAyMTkwNzIxMzY5NjY5MDY/
[…] (3) https://zerhubarbeblog.net/2019/01/25/fda-opiaces-et-corruption/ […]
[…] (1) https://zerhubarbeblog.net/2019/01/25/fda-opiaces-et-corruption/ […]
Le groupe pharmaceutique Johnson & Johnson a été condamné à payer 572 millions de dollars par un tribunal d’Oklahoma, aux États-Unis. En cause : sa responsabilité dans la crise des opioïdes, qui a provoqué la mort de centaines de milliers de personnes par overdose. S’il s’agit de la première condamnation d’un laboratoire aux États-Unis sur ce sujet, d’autres pourraient venir. Les laboratoires sont visés par plus de 2 000 plaintes en cours.
https://www.novethic.fr/actualite/gouvernance-dentreprise/entreprises-controversees/isr-rse/crise-des-opioides-johnson-johnson-condamne-a-payer-une-amende-record-de-572-millions-de-dollars-147628.html?fbclid=IwAR1DWZv-FVUdk8TF3L0e5Xge_FPNNFAptvAnHZpB01Ki0jC10uAjyYmDNcc
McKinsey paie pour liquider le dossier:
https://www.lefigaro.fr/societes/crise-des-opiaces-mckinsey-paie-573-millions-de-dollars-pour-solder-des-poursuites-20210204?fbclid=IwAR3MKJ3idgBAFynu3cVxNFEOW2aN-6Xq7zFamNElAjcuqyKVNKDbieAet-A