Il est vraiment amusant de voir les différentes idées prééminentes dans les esprits des naturalistes quand ils parlent d’espèces. Tout cela se réduit, je crois, à une tentative de définir l’indéfinissable.
Darwin, trois ans avant la publication de l’Origine des Espèces en 1859. Et depuis lors la notion d’espèce s’est complexifiée au point où il en existe aujourd’hui 32 définitions concurrentes (1) et une inflation correspondante du nombre d’espèces. En 2011 Nature publiait un papier estimant à 8,7 millions le nombres d’espèces terrestres (2). sans qu’il existe une définition universelle de la notion d’espèce.
La notion la plus commune, habituellement utilisée dans ce blog, est l’espèce en tant que population d’individus capables de se reproduire, produisant une descendance fertile génétiquement isolée des autres populations. Mais il existe une définition génétique de l’espèce, une définition morphologique, une définition écologique associée à la manière dont les organismes s’adaptent à un environnement particulier,
Une autre définition est basée sur la reconnaissance entre individus de leur possibilité de se reproduire ensemble, et une plus récente définition nommée “Concept unifié des espèces” associe une espèce à chaque branchement sur l’arbre de l’évolution.
L’introduction de l’analyse génétique a semé la confusion dans le concept d’espèces en faisant apparaître la notion d’hybride. Le loup rouge américain, espèce en voie de disparition, est en réalité un hybride entre le loup gris et le coyote. Le grolar, aussi nommé prizzly, est une espèce hybride issue du croisement entre le grizzly et l’ours blanc. Cette hybridation est en réalité très courante au sein de la nature, et nous-mêmes sommes pour la plupart des hybrides issus du croisement d’homo sapiens, de néandertals et de denisovans. Mais nous ne le sommes pas tous, les Africains étant, pour faire simple, des homo sapiens “purs” (3).
D’où une contradiction fatale: si les hybrides viables forment une nouvelle espèce, et la plupart des espèces sont en réalité des hybrides, alors il existerait différentes espèces humaines. Pourtant nous savons que ce n’est pas le cas vu que tous les humains sont morphologiquement compatibles et peuvent se reproduire entre eux.
Cette confusion conceptuelle a des conséquences: il n’existe plus que deux rhinocéros blancs, tous les deux du genre femelle. Le choix est de soit les laisser disparaître et décréter cette espèce éteinte, soit les laisser se reproduire avec des rhinocéros gris afin de produire un hybride. Est-ce pour autant une nouvelle espèce, où la continuation de l’espèce blanche sous une autre forme?
Cette question se pose pour bon nombre d’espèces en voie de disparition, telle la salamandre géante de Chine (4) qui n’est en fait pas une mais cinq espèces dont l’une en particulier est en danger. La mesure de protection consiste à créer des “fermes” où des salamandres peuvent se reproduire, et une partie est ensuite rejetée dans la nature mais sans faire de distinction entre les cinq espèces. Le résultat sera sans doute la disparition de l’espèce menacée au profit d’hybrides.
Il semble que Darwin avait raison: la recherche d’une définition de l’espèce semble futile, source de confusion et de complexité taxinomique tout à fait artificielle sans lien réel avec la réalité naturelle. D’où la proposition par certains biologistes de repenser la notion d’espèce en partant tout simplement des branchements sur l’arbre de l’évolution – ou les arbres, vu que l’évolution relève plutôt de la forêt que d’un seul arbre.
Chaque branchement, ou “clade”, est défini par le dernier ancêtre commun connu pour un ensemble de populations (5). Ce ne sont plus des espèces au sens où des clades différentes peuvent (ou non) se reproduire entre elles. On élimine en fait complètement la notion d’espèce au profit d’une simple géographie de l’évolution. Dans le cas humain par exemple Sapiens, Néandertal et Denisovans seraient trois clades distinctes.
Une clade peut donc en intégrer d’autres, et en 2018 les chercheurs australiens Brent Mishler et John Wilkins proposèrent de nommer spécifiquement les “terminaisons” de chaque clade, là où actuellement on observe pas de sous-ensemble, le Smallest Named And Registerd Clade ou SNaRC. Étiquette purement épistémologique car s’il s’avère un jour qu’un SNaRC donné est en réalité constitué de plusieurs branchements, il perd son statut de SNaRC mais garde son nom, l’étiquette SNaRC passant alors à la nouvelle terminaison (6).
L’idée est simplement de sortir de la confusion engendrée par les rangs taxinomiques classiques, notamment genres et espèces, et de s’en tenir à des lignées qui se divisent en clades et se terminent en SNaRCs. A chaque nouvelle découverte d’un ancêtre commun on précise le périmètre du SNaRC sans se préoccuper des aspects reproductifs, morphologiques ou écologiques particuliers, qui deviennent purement descriptifs plutôt que catégoriels.
La représentation classique du genre humain qui se serait divisé en un certain nombre d’espèces dont nous serions la seule survivante disparaîtrait, au profit d’une lignée humaine divisée en clades et SNaRCS définies par l’existence d’un ancêtre commun.
Pour certains de leurs collègues cette nouvelle classification est un peu une manière d’escamoter la réalité du problème des espèces si bien illustré par Charles Darwin, mais la combinaison du darwinisme et de la génétique ayant rendu cette classification inextricable il faudra bien en changer. Et pourquoi ne pas commencer par un petit SNaRC.
Liens et sources:
(1) https://www.springer.com/gp/book/9783319449647
(2) https://www.nature.com/news/2011/110823/full/news.2011.498.html
(3) https://zerhubarbeblog.net/2018/11/11/les-fantomes-des-origines-humaines/
(4) https://fr.wikipedia.org/wiki/Salamandre_g%C3%A9ante_de_Chine
[…] De l’origine des espèces à la fin d’un genre. […]
Drôle de crabe… https://www.nationalgeographic.fr/animaux/2019/04/evolution-la-decouverte-dun-fossile-de-crabe-bouleverse-les-theories-etablies?fbclid=IwAR00zIaEHvDOKLOturfCcangYyuvlc4E_recDitUKTyYxm7BrtfruBsLoQI