La physique quantique est un sujet récurrent sur ce blog du fait des passionnantes questions qu’elle pose à nos esprits stupéfaits. L’une de ces questions est: que ce passe-t-il au sein de ce monde mystérieux quand nous ne regardons pas? Plus précisément, les “choses” que nous observons, telles les particules, existent-elles aussi quand nous ne les observons pas?
Les débats font rage à ce sujet depuis l’aube de la physique quantique, les réalistes cherchant à prouver qu’elles existent effectivement indépendamment de nos observations et que l’apparente étrangeté du monde quantique n’est que le fruit de notre incapacité à le comprendre. Face aux réalistes, les tenants de l’interprétation de Copenhague et dérivés (1) acceptent l’idée que ce que nous mesurons dans le monde quantique se “condense” en quelque chose de mesurable à ce moment-là, et le reste du temps cette “chose” n’existe que sous la forme d’une onde de probabilité.
Les réalistes, dont faisait partie Einstein, semblent avoir perdu le débat au sens où l’un des comportements les plus bizarres, l’intrication quantique, impliquant une forme de communication instantanée (donc plus rapide que la lumière, chose incompatible avec le point de vue réaliste) semble bien être “vraie” et non pas le simple reflet de notre ignorance (2).
Reste que rien n’est noir ou blanc en matière quantique et qu’il faut sans doute prendre en compte un concept à priori simple: la contextualité. Ceci dit que le résultat d’une mesure au sein d’un système quantique, telle la mesure de position ou de vitesse d’une particule, va dépendre – aussi – du contexte de la mesure. De ce qui se passe en parallèle de la mesure en cours.
Analogie imaginaire du monde classique: si l’on tentait de mesurer la taille d’une personne tout en en mesurant (ou observant) aussi autre chose, tel son poids ou sa couleur, la mesure de la taille serait influencée par cette autre observation. La mesure de la taille est ici influencée par le contexte de l’opération.
Relation entre observateur et chose observée.
La contextualité pose la question centrale de la relation entre l’observateur et la chose observée. Notre instinct serait de trouver cela bizarre car ce qui a été mesuré est censé exister de manière stable avant comme après la mesure, pourtant l’idée que l’observation influence la chose observée existe aussi dans le monde classique: ouvrir un four pour voir l’état d’un soufflet influence le soufflet car on laisse entrer du froid dans le four. Par exemple.
Le principe contextuel en physique quantique est un peu le même, et il fut formalisé mathématiquement dans les années 60 par le tendem Kocher-Specker, ainsi que John Bell et d’autres depuis. Si l’on part du principe que les éléments quantiques que l’on mesure à l’instant t avaient les mêmes caractéristiques à l’instant t-1, autrement dit que les caractéristiques de ces éléments possèdent des valeurs intrinsèques (value definiteness), on n’échappe pas à la conclusion que ces valeurs sont dépendantes des conditions de la mesure – du contexte.
Le type de mesure, le type d’appareil de mesure, les observations faites en parallèle affectent toutes le résultat final.
Si l’on refuse cette solution et que l’on veut exclure l’effet contextuel sur le résultat de la mesure – elle doit être la même quel que soit l’équipement utilisé, par exemple – alors, toujours selon cette démonstration, il faut accepter que ces caractéristiques ne possèdent pas de valeurs intrinsèques. La caractéristique mesurée n’existera qu’au moment de la mesure.
C’est assez subtil mais fondamental. Dans le premier cas on part de l’idée que ce qui est observé existe par lui-même mais que l’image que nous nous en faisons, via la mesure, dépend néanmoins du contexte de la mesure. On peut y penser sous la forme d’un puzzle dont on aurait perdu le modèle. Selon que l’on commence le puzzle en partant du bord ou du centre on va arriver à des morceaux d’images différents. Le contexte influence le résultat.
Dans le second cas on part de l’idée que c’est la mesure qui crée la chose, plus précisément qui condense une probabilité en une réalité mesurable peu importe comment est réalisée cette mesure. Ce cas est le plus troublant des deux car il ne laisse aucune information sur ce qu’il se passe dans le réel lorsqu’il n’est pas observé. Inutile de préciser que ce choix ne satisfait pas tout le monde et que d’autres pistes sont proposées.
Rétrocausalité
La relativité permet d’imaginer un univers non plus basé sur une ligne du temps mais sur une correspondance entre espace et temps, où dire que quelques chose est “ailleurs dans le temps” serait synonyme d’être “ailleurs dans l’espace”. C’est le principe du block universe, a priori incompatible avec la physique quantique (qui a, elle, une flèche du temps).
Cependant certains tels Matthew Leifer, du Perimeter Institute, proposent que les éléments quantiques observables soient vu comme les pièces de notre fameux puzzle. Le choix d’une pièce du puzzle posé sur la table conditionne les choix possibles suivants, dans le futur mais également dans le passé vu la correspondance entre espace et temps (3).
Ce principe de rétrocausalité pourrait éliminer la nécessité de celui de contextualité, chaque événement ou mesure quantique reconditionnant une partie de la chaîne spatio-temporelle au sein d’un univers fondamentalement relativiste, mais il n’est pas certain que cela simplifie réellement les choses …
Voici pour terminer une interview du physicien Jeremy Butterfield sur la question de la contextualité (en anglais):
Jeremy Butterfield: What is contextuality?
La contextualité pourrait être le pont entre la physique quantique et le monde classique au sens où ce principe semble exister dans les deux mondes. Elle pourrait être l’élément central, le principe le plus profond du monde quantique, la “chose” quantique par essence. Et le point de départ, peut-être, d’une refondation philosophique de notre rapport au monde.
Liens et sources:
(1)
(2)
(3)
https://fqxi.org/grants/large/awardees/view/__details/2015/leifer
Source principale:
https://plus.maths.org/content/contextuality-most-quantum-thing
Sur la question du réalisme: https://sciencetonnante.wordpress.com/2019/03/04/la-physique-theorique-et-la-vraie-nature-profonde-de-la-realite/
[…] ENTITÉ CONSCIENTE ?http://www.guillaume-delaage.com: Les origines secrètes de l’humanitéhttps://zerhubarbeblog.net/2019/04/28/contextualite-et-physique-quantique/?fbclid=IwAR0VDwk6QIX8t9ME…: contextualité et physique […]