Où va l’Europe?

J’assistais hier, à dix jours des prochaines élections européennes, à une conférence-débat organisée par la Maison des Européennes et des Européens Cluny – Bourgogne du Sud et animée par Sébastien Maillard, actuel directeur du think-tank Institut Jacques Delors et ex-journaliste au journal La Croix.

Le titre de l’entretien qui s’est déroulé devant une cinquantaine de personnes était “Où va l’Europe?”. Sans répondre à cette question, Sébastien Maillard proposa quelques thèmes sur le mode abécédaire, donnant son point de vue sur la position de l’Allemagne, le Brexit, la Chine, la Démocratie et, bien sûr, l’Europe.

Le point de vue de Mr Maillard sur l’avenir européen est sans doute bien résumé par cette introduction à son dernier livre, Faire l’Europe dans un monde de brutes:

Dans un monde chahuté, marqué par le retour des empires et les replis nationalistes, il revient à l’Europe de prendre en main son destin. Face aux ambitions de la Chine, au jeu trouble du Kremlin et à l’unilatéralisme décomplexé de Trump, l’Union européenne doit s’affirmer comme une puissance de valeurs. Celles du respect de la démocratie et de l’Etat de droit, de l’environnement et de son modèle social, celles par-dessus tout du respect de la dignité de la personne.

https://www.amazon.fr/Faire-lEurope-dans-monde-brutes/dp/2818505976/ref=la_B00DNIFRT0_1_1?s=books&ie=UTF8&qid=1558001849&sr=1-1

Des thèmes à considérer.

Son abécédaire n’est donc pas du tout choisi au hasard. Sa critique de l’attentisme allemand, qui profite amplement de l’UE telle qu’elle existe aujourd’hui, est tout à fait pertinente, tout comme sa critique en demi-teinte du “feu d’artifice” macronien qui remue beaucoup d’air mais ne fait rien avancer de conséquent dans les faits – et ce en partie du fait de la froideur germanique du moment (1).

Sur le Brexit, sujet largement couvert dans ce blog (2), Sébastien Maillard y voit une perte pour l’UE et le signe que le référendum, du fait de la facilité avec laquelle la population peut être manipulée par des fausses infos, relève de la caricature plutôt que d’une vraie démocratie directe. Ce qui est vrai dans le cas du Brexit (3), qui n’était au départ qu’une manœuvre politicienne de David Cameron qui a mal tourné, mais à mon avis certainement pas dans le cas général!

Sur la Chine, S. Maillard constate que ce pays est devenu un réel danger pour l’UE au sens où il s’y introduit, par l’achat d’actifs tels les ports, aéroports, terres etc… , dans une visée purement prédatrice à laquelle l’Europe doit absolument réagir. Même avis sur la Russie et les USA, dont les manœuvres commerciales et militaires unilatérales imposent une très sérieuse remise en cause du positionnement européen. Remise en cause qui ne se fait pas du fait du déficit de représentativité politique de l’Union Européenne.

Sur la démocratie, S. Maillard estime que l’UE “coche toutes les cases” en matière de processus démocratique: les commissaires européens sont nommés par les Etats membres, le Président de la Commission est élu par le Parlement, et le pouvoir législatif est partagé entre le Conseil des Ministres et le Parlement. Chapeautant tout cela pour y impulser une ligne politique, le Conseil Européen regroupe les chefs d’Etats et de gouvernement.

Le problème central des lobbies et de la corruption.

Tout cela est bien beau sur le papier, mais en réalité les nominations des commissaires relèvent d’enjeux politiciens entre Etats membres, la Commission européenne souffre d’un grave degré de corruption (4), le Conseil des ministres fonctionne de manière relativement opaque, et le Parlement n’a en réalité que peu de pouvoir tout en étant lui aussi soumis à la pression constante d’armées de lobbyistes.

Et là se situe, me semble-t-il, le problème fondamental de la communication pro-Europe des bénéficiaires du “système” tel Sébastien Maillard: le refus systématique de considérer la pyramide des institutions européennes comme fondamentalement inacceptable, dotée d’une démocratie de pure façade. En réalité les Etats tirent les ficelles, le Parlement joue à la marge, et les intérêts privés (lobbies) pèsent lourd à tous les échelons institutionnels.

L’Union Européenne, dans son état actuel, n’est en réalité qu’un ensemble de Nations autour d’un marché commun sur lequel s’est greffée une énorme technostructure parasitaire. Technostructure qui transfère une partie importante de la valeur ajoutée de l’Union vers des intérêts particuliers. On ne peut pas prétendre que l’institution européenne est démocratique quand elle “négocie” des traités, genre CETA ou TAFTA, dans le dos des populations concernées.

On ne peut pas parler de transparence des institutions européennes quand on ne se penche pas sur l’affaire de la nomination frauduleuse, au poste de secrétaire général de la Commission Européenne, de Martin Selmayr. Nomination ayant entraîné le suicide de la juriste en chef de ladite Commission, Laura Pignataro, en décembre dernier (5).

Tout ceci est la partie visible de l’iceberg d’une corruption menée par une armée de 30 000 lobbyistes à Bruxelles (6), en plus de la corruption inhérente à toute bureaucratie livrée à elle-même qui finit par n’exister qu’au nom de ses propres intérêts (7).

Où peut aller l’Europe à part le mur?

Face à cela, malgré l’aveuglement institutionnel incapable de se remettre en question (et pour cause), toutes les postures sont possibles. De continuer à foncer dans le mur mode LREM, à la sortie sans issue du Frexit sauce UPR, en passant par toutes sortes de politiques plus ou moins réformistes, on évite toujours la question centrale: Voulons-nous un marché commun entre Etats souverains avec des règles garantissant une prospérité raisonnable pour tous les membres (donc une forme de protectionnisme contre les pays qui, eux, n’appliquent pas les mêmes règles sociales, fiscales et environnementales que les membres du marché commun), ou voulons-nous un ensemble intégré politiquement, des Etats-Unis d’Europe disposant d’un siège à l’ONU, d’une politique étrangère commune, d’une intégration des régimes sociaux et fiscaux?

Le pire est de rester entre les deux, accumulant les défauts des deux régimes sans en bénéficier des avantages. Si rien ne change, si on se contente de rester dans le système actuel malgré quelques changements de façade, le tout va avoir tendance à se désagréger de par son impotence ontologique et le mauvais usage qui en est fait.

Ce mauvais usage est déjà visible au sens où les pays utilisent l’Europe pour se dégager de leurs réelles responsabilités: Dublin pour se débarrasser du problème migratoire sur le dos des Italiens et des Grecs, les traités négociés en cachette et imposés ensuite à tous, les 3% pour justifier de politiques d’austérité qui enrichissent en réalité le haut du panier, une monnaie commune qui étouffe une partie de l’économie européenne au profit, essentiellement, de l’Allemagne et des banques privées.

Selon Sébastien Maillard la raison pour laquelle l’Europe est restée au milieu du gué vient d’une erreur d’appréciation faite à l’époque du marché commun puis de l’introduction de l’Euro: la croyance que l’intégration économique allait naturellement provoquer l’intégration sociale et politique. Or ce n’est pas du tout ce qu’il s’est passé. C’est bien de faire ce constat, mais ensuite il faut faire quelque chose avec.

Tant que tout cela ne sera pas mis sur la table de manière visible et prioritaire, par les grands médias et les gouvernements eux-mêmes, voter à ce genre d’élections ne sert à rien d’autre que valider la continuité d’un système inopérant voire dangereux.

Liens et sources:

(1)
https://www.latribune.fr/economie/union-europeenne/relation-entre-merkel-et-macron-y-a-t-il-de-l-eau-dans-le-gaz-817340.html

(2)

(3)

(4)
https://www.sudouest.fr/2015/10/30/la-commission-europeenne-gangrenee-par-les-lobbys-et-conflits-d-interets-2170583-710.php?fbclid=IwAR1kg1Bp7TqR0CR4PfWOzA5OB4nciVQK6l3P7lUa67elWz2JFmoonzMwyfU

(5)
https://www.liberation.fr/planete/2019/03/14/selmayrgate-conflit-d-interets-mensonges-et-suicide_1715168

(6)
https://www.alter-eu.org/book/bursting-the-brussels-bubble

(7)

A propos Vincent Verschoore

Animateur de Ze Rhubarbe Blog depuis 2008.

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