Au temps qu’emporte le vent.

De toute évidence le temps passe, laisse des traces que l’Histoire ressasse, et suppose un avenir où tout trépasse. De toute évidence, et pourtant. L’idée que le temps serait un flux continu inhérent à l’Univers, pareil pour tout et en tous lieux est assez récente: elle date de Newton. Avant lui la définition par défaut restait celle d’Aristote qui voyait le temps non pas comme quelque chose qui “est” en soi mais comme le fait de compter les choses qui changent (1).

Le temps relatif.

La remise en cause du temps newtonien, qui reste malgré tout la définition que nous intégrons tous par habitude culturelle, fut lancée par Einstein et la Relativité qui, comme son nom l’indique, démontre d’une part que les positions relatives dans le temps de plusieurs événements dépendent de la position de l’observateur, et d’autre part que le temps lui-même s’écoule différemment selon la force du champ gravitationnel.

Toutes choses largement vérifiées expérimentalement: on sait que des horloges placées en orbite et au sol se désynchronisent, celle au sol ralentissant par rapport à celle en orbite car dans un champ gravitationnel plus puissant. De même, une horloge se déplaçant à grande vitesse ralentit par rapport à une horloge fixe pour des raisons parfaitement entendues, et si vous en voulez une belle illustration rien ne vaut le film Interstellar de Christopher Nolan.

La marche du temps, donc, est relative. L’univers n’a pas un métronome général mais chaque endroit ou élément a le sien en fonction de son cas particulier de gravité et de vitesse. Le problème reste que notre impression du temps est irréversible, le temps nous paraît avoir une flèche en sens unique or, en physique, toutes les fonctions sont réversibles. Seule exception, la seconde loi de la thermodynamique qui distingue entre un “avant” et un “après” par le biais de l’entropie.

Le temps comme marqueur de l’entropie.

L’entropie est une mesure de l’ordre d’un système. Un système ordonné a une entropie faible, un système désordonné une entropie haute et l’univers tend vers une entropie de plus en plus haute du fait que son énergie se dissipe au fil du temps. Pour faire court.

Pour Carlo Rovelli, spécialiste mondialement reconnu de la gravité quantique, le temps n’est autre chose que la manifestation du changement entropique, et ceci ne joue qu’au niveau macroscopique. Non seulement cela mais l’entropie elle-même est un reflet de notre interaction avec le monde.

En ce sens le passé n’existe que sous la forme de souvenirs qui eux-mêmes ne sont que les traces de l’inflation entropique. Plus précisément ces traces sont le fruit de processus physiques ayant généré de l’entropie: l’écriture d’un livre implique un frottement de la plume sur le papier qui génère de la chaleur via la friction, et chaleur ainsi dissipée = entropie.

Cette flèche entropique pose aussi la question de la causalité: telle action engendre tel effet, mais du point de vue de la physique cela n’a guère de sens vu que toutes les interactions sont réversibles. Il n’y a donc pas plus de causes que d’effets, seulement des associations. Or nous constatons néanmoins des mécanismes de cause à effet, que Rovelli réduit également à la génération d’entropie: dire que A cause B c’est dire que l’entropie de A seul est inférieure à celle de A+B.

La notion de causalité est un problème philosophique traité, notamment, par Bertrand Russel:

Les lois de la physique sont en effet, des lois d’association et sont, par conséquent, causalement neutres. En effet, rien dans la physique ne se conforme à la notion de cause. Que les agents cognitifs soient engagés dans une détermination du passé vers le futur, ne doit effectivement avoir aucun impact sur les descriptions scientifiques. Mais peut-on inférer de cela un argument ontologique éliminativiste concernant les causes ? Est-ce que du fait que la science fondamentale n’est pas justifiée à utiliser des concepts causaux, il s’ensuit que la cause n’existe pas ? Que penser d’une telle inférence ?

https://francoisloth.wordpress.com/2007/11/27/doit-on-eliminer-la-relation-de-causalite/

Ce que nous considérons comme “ordonné” ou “désordonné” dépend des caractéristiques du système que nous sommes capables de percevoir, mais peut-être qu’un autre “œil”, une autre forme de perception ne “verrait” pas la même entropie. Est-ce à dire que le temps, ou du moins sa perception, serait différente de la nôtre? Sans doute.

Ce qui pose une question plus fondamentale: pourquoi l’univers est-il, selon notre perception, sur un chemin allant de l’ordre au désordre, de la faible entropie vers la haute entropie? Qui l’a “rangé” au début de sa vie?

Le temps quantique.

Un autre aspect inattendu du temps, tel vu par la physique, est qu’il est discontinu. L’intervalle de temps minimal est lié à la longueur de Planck, ce qui lui donne une certaine granularité. Pire, à cette échelle les événements sont quantiques et donc le temps subit aussi l’effet quantique de superposition. Dans ce contexte, le temps n’a d’autre sens que la manière de compter les événements; ce n’est pas une variable intrinsèque à l’univers mais une méthode. Ce qui, comme le dit Rovelli, nous ramène à la notion du temps vu par Aristote.

Le temps, donc, n’existe pas au niveau microscopique mais pour nous, dans le monde macroscopique, il existe et il a une direction liée à l’entropie qui va toujours vers le haut – vers plus de désordre. L’entropie permet de comprendre la flèche du temps, mais n’explique pas l’impression que le temps passe. Et là il est sans doute nécessaire de sortir de l’explication physique pour entrer dans la psychologie et la structure du cerveau.

Le temps neurologique.

L’objectif premier du cerveau est de nous permettre de survivre, et pour cela il a besoin d’anticiper. De prédire le futur. Il doit associer l’instant présent à une mémoire du passé afin d’évaluer les probabilités de divers futurs. Cette discussion-là mène à la question de la conscience et de la nature de la “réalité” que nous percevons, qui n’est pas nécessairement LA réalité qui existe en dehors de nos têtes (2).

Reste que le temps est nécessaire au travail du cerveau et il est donc normal qu’il nous semble être une caractéristique ontologique de l’univers. L’impression de temps serait alors une création de notre esprit, un élément constitutif de la conscience dont la flèche serait donnée par l’entropie. Entropie qui elle-même découle de notre perception, sans doute partielle, du monde physique.

Partielle car, en ce qui concerne son fondement, nous sommes toujours incapables d’affirmer avec certitude si ce qui est décrit par la mécanique quantique est un modèle d’une réalité sous-jacente, ou si c’est la réalité elle-même (3). Pire, la gravité issue de l’espace-temps d’Einstein ne colle pas avec la gravité quantique, même si les deux décrivent correctement la réalité observable. Mais on progresse dans la réconciliation, à en croire Carlo Rovelli.

Le temps ontologique.

L’idée de l’inexistence fondamentale du temps est ancrée dans les modèles mathématiques qui décrivent, très correctement, la réalité observable. Ces modèles sont-ils pour autant des descriptions fidèles de la nature de la réalité? Une carte peut être extrêmement précise, mais une carte d’un territoire n’est pas le territoire. D’où l’idée que le temps existe peut-être dans la réalité, qu’il est un élément ontologique de la réalité mais qu’il n’est simplement pas capturé par nos modèles, simplifications idéalisées d’une réalité autrement plus subtile.

Ce point de vue, notamment développé par Lee Smolin (4), implique que les lois de la nature évoluent au fil du temps. En effet, si le temps n’existe pas les lois fondamentales n’ont pas eu de temps pour évoluer, alors d’où viennent-elles?

D’un côté la vérité est intemporelle, éternelle. De l’autre il n’existe pas de vérités intemporelles hors le temps lui-même. Pour notre esprit il existe des vérités, des abstractions intemporelles mais pas d’éternité car tout a un début et une fin. Mais la question reste: si le temps existe, est-il une conséquence de l’univers, ou l’univers est-il une conséquence de son existence? Et si le temps n’existe pas, que sommes-nous?

Liens et sources:

(1)
https://www.persee.fr/doc/phlou_0035-3841_1948_num_46_9_4129

(2)

(3)

(4) https://en.wikipedia.org/wiki/Time_Reborn

A propos Vincent Verschoore

Animateur de Ze Rhubarbe Blog depuis 2008.

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