Brexit Poker 15 – Le naufrage du Titanuk.

Mayday, expression internationale connue de tout marin signalant une situation de naufrage. Outre-Manche c’est aussi un jour de mai, ou un jour associé à la – bientôt ex – première ministre Theresa May.

La claque prévue prise par les partis dits de gouvernement, Tories et Labour, aux européennes du week-end dernier a planté le dernier clou dans le cercueil politique de Theresa May qui s’en ira le 7 juin. En larmes car elle aura passé près de trois ans à tenter l’impossible: mettre en oeuvre le Brexit, pour lequel elle n’a pas voté, en essayant de réconcilier la réalité économique de la proximité du RU avec l’Europe, la réalité politique des accords de Good Friday ayant mis un terme à la guerre en Irlande du Nord, et la réalité politicienne des jeux de pouvoir au sein des partis et du Parlement britannique.

May a essayé d’extraire un accord avec le Labour de Jeremy Corbyn juste avant ces élections, jetant dans la balance son poste de PM afin d’obtenir de Corbyn un front commun en faveur de son accord négocié avec l’UE (1). Peine perdue.

Sur ce, Nigel Farage et son Brexit Party ont remporté la plus grosse part du gâteau européen, élection surréaliste s’il en est où les opposants les plus farouches à l’UE obtiennent le plus de sièges et bénéficieront le plus des largesses et des privilèges que la technocratie européenne octroie à ses députés. Ou comment profiter de la soupe tout en crachant dedans.

Naufrage en May.

May partira donc en juin et laissera derrière elle un champ de ruines sur lequel John Bercow, le Speaker des Communes, entonne chaque jour ou presque son chant funèbre “Order, Oooordeeer” tel un Hartley Band solitaire accompagnant le naufrage du Titanuk.

La bataille fait déjà rage pour la succession, notamment entre les vrais et faucons de la droite pro-Brexit la plus dure qui promet déjà une sortie de l’UE pour le 31 octobre 2019, quoi qu’il arrive, avec ou sans accord. Et donc, a priori, sans passer par le Parlement.

L’un des candidats au poste, un certain Boris Johnson, architecte de la campagne pro-Brexit, est actuellement aux prises avec la justice britannique pour mensonges et abus de confiance d’une personne en position d’autorité: maire de Londres à l’époque, il avait insisté sur l’idée que le RU donnait chaque semaine 350 millions de livres sterling à l’UE (2). Fake news bien évidemment, mais ayant influencé le vote populaire pro-Brexit. Un peu comme si Castaner ou Macron affirmaient qu’il n’existe pas de violences policières envers les Gilets jaunes, mensonge éhonté d’irresponsables politiques évidemment impensable en France.

Les mensonges de Johnson, Farage & Cie associés à la manipulation via Facebook / Cambridge Analytica (3) auront influencé ce référendum de 2016 d’une manière ou d’une autre, et cela fera un beau cas d’étude pour les historiens de demain. Aujourd’hui cependant, la réalité est que la crise du Brexit dépasse assez largement du cadre d’une réponse technique à une décision plus ou moins démocratique. C’est tout le système politique britannique qui est en train de sombrer.

Crise existentielle.

Michel Barnier, le négociateur en chef de l’UE sur la question du Brexit, parle d’une crise existentielle. Une crise qui s’enracine dans les décennies de Thatchérisme ayant mené à une société hautement inégalitaire où, selon le Institute for Fiscal Studies britannique, le premier indicateur de la prospérité individuelle est la valeur héritée (4).

Dans une société matérialiste qui valorise fortement la méritocratie et l’indépendance financière, une part croissante des ménages britanniques (38% contre 28% au début du Thatchérisme, selon cette étude mentionnée par le Guardian (5)) dépend de l’Etat pour clôturer ses fins de mois.

La population britannique n’en peut plus de ses représentants incapables de mener à bien le Brexit. Le système des partis traditionnels est sur la sellette et il n’est pas dit que le prochain Premier Ministre, poussé par la vague populiste en appelant à une action, quelle qu’elle soit, respecte les institutions.

En Ecosse, terre britannique pro-européenne, le gouvernement régional de Nicola Sturgeon vient de publier l’acte de naissance d’un second référendum d’indépendance. Ce vote devrait avoir lieu avant 2021 et, pour Sturgeon, ouvrir la voie à une nouvelle Nation indépendante au sein de l’UE plutôt qu’au statut de vassal devant subir la décision, essentiellement anglaise, du Brexit (bon, elle ne le dit pas tout à fait ainsi mais c’est le sens général (6)).

Brexit et élections européennes.

Que disent les résultats britanniques de ces élections européennes (7) sur le Brexit, et plus particulièrement sur la position populaire “pour ou contre”? C’est peu concluant: le bloc en faveur d’un Brexit dur (Brexit party + UKIP, le petit parti nord-irlandais allié des Conservateurs) faisant 35%, le bloc Remain (centristes du LibDem, verts, SNP écossais, Plaid gallois et Change UK) faisant lui 40%. Ce sont donc les 25% restant associés aux Conservateurs (Tories) et aux travaillistes (Labour) qui font la différence, mais ces deux partis traditionnels de gouvernement sont fortement divisés entre les pro-Brexit “durs”, les pro-Brexit avec accord, les tenants d’un second référendum et les Remainers.

De savants calculs semblent indiquer qu’en cas de second référendum, Remain l’emporterait mais avec une faible marge, de l’ordre d’un demi-million de voix sur un total de 17 millions exprimées.

La saga du Brexit accouche donc d’une course pour l’élection, au sein des Conservateurs, d’un nouveau Premier Ministre dans le courant de l’été. La prochaine (et dernière?) date butoir sera le 31 octobre. Tout le monde, côté britannique comme européen, en a ras-le-bol et il peut se passer n’importe quoi. Restez sur le canal 16 “Mayday”.

Liens et sources:

(1)

(2) https://www.theguardian.com/politics/2019/may/29/boris-johnson-appear-court-eu-referendum-misconduct-claims

(3)

(4) https://www.moneymarketing.co.uk/ifs-director-inheritance-increasingly-determines-wealth-uk/

(5) https://www.theguardian.com/commentisfree/2015/may/18/britain-political-elite-fooled-us-again

(6) https://www.theguardian.com/uk-news/2019/may/29/scotland-publishes-second-independence-referendum-bill

(7) https://www.theguardian.com/politics/2019/may/27/remain-hard-brexit-what-uk-european-election-results-tell-us

A propos Vincent Verschoore

Animateur de Ze Rhubarbe Blog depuis 2008.

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