Matière noire, miroir de l’Univers?

Métaphore apparemment dénuée de sens car ce ne serait pas, en réalité, une métaphore. Il y aurait un univers, au contact du nôtre, qui en serait l’image inversée, l’image miroir. Le seul effet possible de cet univers-là sur le nôtre serait gravitationnel et ceci pourrait, je dis bien pourrait, être l’explication de la matière noire.

Reprenons.

La matière noire.

La matière noire, thème récurrent de ce blog, serait une forme de matière n’ayant aucune interaction avec la matière “normale” dite baryonique, donc invisible et indétectable a priori sauf de par son action gravitationnelle. La forme observée et la dynamique des galaxies n’étant pas correctement explicable sur base de ce que nous savons de l’Univers, la matière noire a été “inventée” afin que la théorie corresponde aux observations, mais sa nature reste indéfinie.

D’autres hypothèse existent pour éviter de recourir à cette mystérieuse matière noire (1), mais elle reste pour le moment la candidate la plus populaire.

L’espace miroir et la symétrie.

L’idée d’un univers miroir vient d’un problème de symétrie. En physique tous les processus doivent obéir à certaines symétries, c’est-à-dire qu’ils (ces processus) ne sont pas modifiés par des changements d’autres choses. La trajectoire d’un ballon, par exemple, est liée à la gravité de la Terre, peu importe la couleur du ballon.

L’une de ces symétries est la parité, qui dit que tous ces processus ne sont pas non plus affectés par l’inversion des positions telles qu’on les verrait dans un miroir: les directions et positions s’inversent dans l’image du miroir, mais les processus physiques se déroulent de manière identique.

Sauf qu’en 1956 des chercheurs chinois et sino-américains démontrèrent que cette parité pouvait parfois être violée, ce qui valu le prix Nobel à deux d’entre eux (Tsung Dao Lee et Chen Ning Yang) en 1957. Ces derniers fournirent alors une explication que l’on dirait aujourd’hui quelque peu capillo-tractée, et qui fut longtemps ignorée, mais qui revient actuellement au pas de charge:

La violation de parité ici est compensée par une violation opposée ailleurs, faisant en sorte que la parité globale soit respectée.

“Ailleurs”? Dans une région de l’univers relevant des mêmes lois que la nôtre mais selon des directions inversées, un espace miroir. Cette hypothèse revient sur le devant de la scène du fait qu’elle pourrait expliquer un certain nombre de phénomènes mystérieux: la matière noire mais aussi le rayonnement cosmique de haute énergie, la faible abondance du lithium-7, la surabondance de matière par rapport à l’antimatière ou la double vie du neutron.

La double vie du neutron.

Libéré d’un noyau nucléaire, tout neutron normalement constitué se désintègre en électron et proton – la radiation beta. Il existe deux grandes méthodes de mesure du temps de désintégration du neutron, celle de la “bouteille” où l’on emprisonne des neutrons sous haute surveillance dans un champ magnétique faible, et celle du faisceau formé par un champ magnétique fort où l’on compte le nombre de protons (issus de la désintégration du neutron) en provenance d’une source nucléaire (source radioactive émettant des neutrons). En théorie les deux méthodes doivent donner le même résultat, or il y a un léger décalage entre les deux: 14 minutes 39 secondes d’un côté et 14 minutes 48 secondes de l’autre.

On a longtemps mis cela sur le compte d’une imprécision de la mesure elle-même, mais aujourd’hui il faut se rendre à l’évidence: les deux mesures sont parfaitement précises, et rien n’explique cette différence. D’où l’hypothèse suivante:

Les neutrons oscillent entre notre univers et son espace miroir selon une certaine probabilité, et cette probabilité augmente pour les neutrons pris dans un champ magnétique fort. Ils sont donc “ailleurs” un peu plus longtemps, d’où la mesure un peu plus longue de leur désintégration.

Par “osciller” il faut entendre passer de notre monde au monde du miroir. Je ne sais pas si le choix, fait de longue date pour toutes les expériences quantiques, de nommer les deux partenaires d’une paire de particules enchevêtrées Alice et Bob relève de la pure coïncidence où si quelqu’un savait déjà quelque chose, mais l’idée qu’un neutron nommé Alice se balade “en vrai” de l’autre côté du miroir me donne un peu le vertige. Qui était vraiment Lewis Carroll?

Bref. L’hypothèse du miroir n’est pas seulement associée au mystère des neutrons. Il eut suffit qu’une partie de l’univers originel, pendant l’expansion initiale, se retrouve plus froide que celle d’où nous sommes issus pour permettre le création de particules “miroir”. L’antimatière en est un indice, mais un espace plus froid aurait attiré un grand nombre de particules originelles, qui seraient restées de ce côté-là du miroir pendant que les particules de l’espace “chaud” évoluaient jusqu’à notre espace actuel.

De l’autre côté du miroir.

Evolution qui a bien pu se développer en parallèle dans cet autre espace, les lois fondamentales y étant les mêmes. Il existe alors peut-être, juste à côté de nous, un univers parallèle où les aiguilles des montres tournent dans l’autre sens mais où des gens se posent les mêmes questions sur l’origine du monde. A la différence près que les masses en jeu sont différentes: selon l’hypothèse d’une partie plus froide faisant office de miroir, les physiciens estiment que la majorité des particules disponibles auraient migré du chaud vers le froid, cinq fois plus que celles qui seraient restées “ici”. Et ce ratio de 1 à 5 et bien le ratio requis par l’hypothèse de la matière noire: il faudrait cinq fois plus de matière noire que de matière “normale” pour justifier le comportement de l’univers (le nôtre) tel qu’on l’observe.

De l’autre côté du miroir donc, les observateurs se posent une question un peu différente: qu’est ce que cette matière noire qui compte pour seulement un cinquième de leur matière “normale” à eux?

Où sont les preuves?

Fort bien, mais où sont les preuves? Pour l’instant inexistantes mais plusieurs expériences sont en cours. L’une d’elle cherche à détecter les traces de champs magnétiques miroirs, une autre un peu plus radicale: l’idée est de projeter un faisceau de neutrons contre un mur qu’ils ne peuvent traverser, et mesurer derrière ce mur si certains neutrons passent quand même. S’ils passent, l’explication serait la suivante:

Le champ magnétique faisant osciller les neutrons selon une certaine probabilité, certains neutrons en route vers le mur oscilleront vers l’espace miroir avant de le toucher, passeront ce point car le mur n’existe pas dans l’espace miroir, pour osciller à nouveau dans notre espace et être vus par le détecteur.

Rotferdoum aurait dit mon moitié flamand de père, et j’acquiesce.

D’autres indices étayent l’hypothèse du miroir, par exemple le rayonnement cosmique de très haute énergie qui provient de l’extérieur de notre galaxie, donc de très très loin. On n’explique pas comment une telle énergie pourrait être maintenue sur de si longues distances, mais si les particules qui constituent ce rayonnement oscillent entre notre espace et l’espace miroir, là où la température est plus basse, ils y perdraient moins d’énergie et au moment de réapparaître dans notre espace ils seraient plus énergétiques que s’ils y avaient tout le temps voyagé.

L’espace miroir est donc à comprendre non pas comme une région de l’univers géographiquement séparée de la notre, mais comme un espace parallèle doté de processus physiques identiques mais a parité inversée, et indiscernables autrement que par leur effet gravitationnel – ce que nous appelons matière noire.

D’ici quelques mois nous aurons, peut-être, des indices voire des arguments concrets en faveur de l’hypothèse de l’univers miroir, et il sera alors temps de relire Lewis Carroll dans un tout autre esprit.

Liens et sources:

(1)

Source: https://www.newscientist.com/article/mg24232330-200-weve-seen-signs-of-a-mirror-image-universe-that-is-touching-our-own/

A propos Vincent Verschoore

Animateur de Ze Rhubarbe Blog depuis 2008.

3 réponses

  1. […] La moitié du prix Nobel de physique est attribué cette année à James Peebles pour ses travaux sur la structure de l’univers. Il a notamment contribué à développer l’idée de matière noire et d’énergie noire, mais reconnaît que même s’il y a eu de grandes avancées dans notre compréhension, il reste de nombreux mystères – à commencer par la nature de ces fameuses matières et énergies noires, sinon leur existence même…(1) […]

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